La Commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale s’apprête à expliquer à l’Europe sa manière de penser. Ayant reçu de la Commission européenne le document portant sur la réforme du droit auteur, les députés Marietta Karamanli et Hervé Gaymard présentent leur réponse. Cette dernière, exposée dans un document qu'ActuaLitté a pu consulter, s’opère dans une proposition de résolution pour répondre point par point aux velléités européennes.
Le 02/05/2016 à 19:09 par Nicolas Gary
Publié le :
02/05/2016 à 19:09
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Les députés français ont reçu ce 2 avril la proposition de résolution pour ajouter, avant demain matin, leurs propres commentaires. « Habituellement les députés ne sont pas présents le lundi », s’amuse un attaché parlementaire. Autrement dit, le timing est plus qu’improbable.
La Commission des Affaires européennes indique toutefois prendre acte des différentes perspectives de la Commission européenne. Qu’il s’agisse du « programme de réforme du cadre juridique actuel des droits d’auteurs» à travers «la portabilité de l’accès aux œuvres et une proposition de directive pour adapter les exceptions aux environnements numérique et transfrontière».
Toutefois, elle rappelle «le caractère actuellement facultatif des exceptions au droit d’auteurs, en droit européen, confère aux États membres une souplesse suffisamment grande pour protéger les créateurs et assurer la circulation des œuvres». Par ailleurs, les Affaires européennes se montrent préoccupées de ce que la CE puisse ouvrir la voie à une possible « prolifération des exceptions obligatoires aux droits d’auteur, susceptible de restreindre le potentiel d’adaptation des États membres».
Et surtout, que le maintien de l’actuelle durée de protection des droits d’auteurs est un point auquel les députés sont très attachés. On pourrait ajouter que les ayants droit ne le sont pas moins. À travers un article unique, composant la résolution, la Commission des Affaires européennes pose ainsi une série de principes.
Tout cela sous-entend évidemment que ces différents points ne seraient pas assez respectés dans le cadre du document européen et les députés souhaitent ainsi une rectification. Voici les demandes formulées par la France :
le respect du principe de territorialité des droits et, partant, une définition précise et adéquate de la durée de portabilité transfrontière des contenus culturels,
On se souviendra qu’Audrey Azoulay, ministre de la Culture, a déjà pris position, avec son homologue allemand, considérant que la diversité culturelle devait être défendue à travers des modèles économiques «en particulier dans l’audiovisuel et le cinéma, qui sont nécessairement fondés sur la territorialité des droits »
la valorisation des solutions contractuelles transfrontières existantes,
Puis l'on découvre :
la mise en œuvre de l’exception permettant l’accès au « livre numérique » pour le plus grand nombre dans les bibliothèques publiques et autres institutions analogues,
Là, on s’interroge sincèrement : en France, un modèle contractuel a été privilégié pour le livre numérique (PNB), alors que les livres papier ont bénéficié de la loi du 18 juin 2003 – et par la suite de l’exception dite Bibliothèque. Cette dernière étendait au droit de représentation le pouvoir des bibliothèques, qui étaient alors restreintes au droit de reproduction.
Toute la question est aujourd’hui de résoudre les interrogations juridiques pour les exceptions concernant les livres papier soient applicables au prêt numérique.
« C’est précisément ce qui se trouvait dans le rapport Reda », s’étonne un proche du dossier. « Le fondement de la “prétabilité” des livres ne serait donc pas dans les contrats, mais à travers un modèle instauré dans la loi. » Presque une révolution : non seulement l’Assemblée nationale va dans le sens de l’eurodéputée vivement contestée, mais s’oppose également au modèle Prêt Numérique en Bibliothèque, que l’édition semble soutenir. Julia Reda proposait en effet « d’adopter une exception pour le prêt de livres au format numérique ».
Le PDG du groupe Hachette était intervenu pour dénoncer la prolifération d’exceptions dans le modèle européen. « C’est comme si la Commission avait fait une priorité d’affaiblir la seule industrie culturelle européenne qui a obtenu un leadership mondial », expliquait Arnaud Nourry récemment. Les bibliothèques avaient alors manqué de s'étrangler.
Le ministère de la Culture, représenté par le directeur adjoint du Service du livre et de la lecture Nicolas Georges, avait rejoint cette position opposée aux exceptions. Lors des rencontres de l’EPUB Summit à Bordeaux, il déclarait : « Les exceptions au droit d’auteur sont actuellement en vigueur pour répondre aux besoins des publics [en bibliothèque ou empêchés de lire] », rappelait Nicolas Georges, « or, le ministère n’aime pas ces exceptions, car il est aussi le ministère du droit d’auteur. »
la prise en compte de la position française en matière de « liberté de panorama » (l’utilisation de photographies, séquences vidéo ou autres images d’œuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics), telle qu’elle sera définie dans la loi pour une République Numérique,
L’exception Liberté de Panorama a été dernièrement rejetée par les sénateurs, dont la Chambre n’est pas du même bord politique que l’Assemblée nationale. Cependant, les députés avaient adopté l’amendement allant dans ce sens, mais avec une certaine frilosité. La disposition qui avait été soumise aux sénateurs était en effet bien en deçà de ce que l’on pouvait attendre.
l’amélioration de la libre diffusion des résultats de la recherche publique, dans le cadre d’un libre-accès en « voie verte » (dépôt des copies en archives avec un accès ouvert au public), système qui garantit les droits des chercheurs scientifiques et des organismes de recherche tout en permettant l’accessibilité des autres chercheurs aux publications,
Ici aussi, on retrouve l’influence du projet de loi République numérique, à contre-courant de ce que l’édition française tente de défendre. Dans une lettre adressée au Premier ministre, Vincent Montagne, président du SNE, tentait d’expliquer tous les dangers que l’Open Access représentait pour les éditeurs scientifiques.
En effet, « le projet de loi Lemaire de durées d’embargo pour la mise en accès gratuit des articles de 6 mois en Sciences, Techniques et Médecine (STM) et de 12 mois en Sciences Humaines et Sociales (SHS). Aucun pays européen n’a imposé des durées aussi courtes et avec si peu de garde-fous ».
l’ouverture de réflexions destinées à redéfinir le statut et les responsabilités des hébergeurs, au sein de la directive « commerce électronique »,
puis
le respect du système actuel de copie privée,
Sur la question de la Copie privée, on sait combien le modèle français est entré dans le viseur de Bruxelles : le modèle de redevance tel qu’encadré en France pourrait subir, avec la réforme du droit d’auteur, de sévères déconvenues. Si chaque État dispose d’une approche distincte, l’eurodéputée Julia Reda plaidait en faveur d’une harmonisation de ce fonctionnement.
Dernièrement, les éditeurs allemands ont d’ailleurs pris une véritable gifle, en apprenant que le modèle en place n’était plus valide. Le fait de verser aux éditeurs une compensation n’était pas juste en regard de ce que ces derniers n’étaient pas impactés par la reproduction, au même titre que les auteurs.
Elle souhaite par ailleurs :
la prise en compte du traité de Marrakech, signé le 30 avril 2014, dans la réforme des droits d’auteurs, et donc la création d’une exception visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées,
Le Parlement européen a lui-même réclamé la ratification du Traité, et l’on demande depuis longtemps que la Commission européenne modifie la directive de 2001 sur l’exception handicap. Le Parlement avait d’ailleurs intimé à la CE, à travers une résolution, d’agir dans les meilleurs délais.
aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne,
Là encore, on pourra se référer à l'intervention de la ministre de la Culture, début avril.
Enfin, les Affaires européennes appellent :
la Commission européenne à employer tous les moyens à sa disposition pour lutter contre le piratage et la contrefaçon et invite à l’adoption d’une charte de bonnes pratiques pour développer l’usage d’outils technologiques intelligents, destinés à empêcher l’usurpation des droits d’auteurs dans l’environnement numérique.
Sur ce dernier élément, rien que du très classique. Il ne s’agit que des méthodes classiques de repérage et de signalement de liens par des robots, pilotés par des sociétés comme Attributor, racheté par Digimarc en 2012. Or, ces outils sont particulièrement limités dans leurs capacités, et aboutissent régulièrement à des erreurs parfois grotesques.
Mise à jour 3/05 à 15h38 :
Les députés ont corrigé le fameux passage sur le prêt d'ebook en bibliothèque, pour revenir à l'idée de « garantir une viabilité économique à l'édition ».
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