BIOGRAPHIE - Jacqueline Kennedy, Jacques Chirac, Romain Gary, Françoise Sagan, Germaine Krull, Vladimir Horowitz, mais aussi Maurice Schumann, Françoise Gilot, la femme de Picasso… Autant de personnalités et de célébrités, qu’aura côtoyé André Malraux, homme de lettres, devenu l’un des ministres les plus emblématiques et turbulents du Général de Gaulle, auquel il voua tout au long de sa vie une loyauté et une admiration sans faille.
Il n’en fallait pas moins pour qu’Alain Malraux, fils de Roland Malraux, neveu et fils adoptif d’André, auteur d’un précédent ouvrage intitulé Les marronniers de Boulogne, lui consacre un nouveau livre sur un ton plus intimiste cette fois-ci. Porté par une certaine pudeur qui relate cette période faste de la reconstruction nationale aux côtés des plus grands esprits de son temps, hommes politiques, résistants, artistes, écrivains, que l’intellectuel et homme d’État a eu la chance de rencontrer, d’encourager parfois.
Même si l’on sait que Malraux entretenait avec certains d’entre eux des relations parfois difficiles.
Ses proches aussi, au sein d’une famille recomposée au gré des circonstances et des faits ; aussi bien les jours heureux que les moments tragiques dont il gardera en dépit des apparences un goût amer de la vie. Ainsi évoquées, Clara Malraux, Florence sa fille dite la mal-aimée, auquel Alain Malraux rend un hommage particulièrement émouvant et secret, sa seconde épouse, Madeleine, la mère de l’auteur dont le banquier André Meyer tomba fou amoureux après leur divorce, et dont on oublie trop souvent qu’elle fut également une pianiste concertiste de renommée qui faisait vibrer les cœurs.
J’ai eu la chance quant à moi de rencontrer Madeleine Malraux lors d’un déjeuner privé à leur domicile, avec Alain, Anne, Céline, ses petites filles. Je me souviens d’une femme affable et effacée, évoquant peu ses souvenirs d’antan, comme par prudence réfléchie. J’ai en mémoire cependant une parole qui m’avait marqué. « Avec sa famille, Malraux se comportait parfois comme un goujat, surtout quand il est devenu ministre. »
On soupçonne alors en filigrane que Madeleine n’a pas été toujours très heureuse dans ce couple si singulier et tourmenté. « Il imposait ses propres règles, on ne voyait que lui », m’a-t-elle dit encore discrètement, comme pour justifier d’une certaine rancœur ; et qui justifie un tant soit peu le titre choisi par son fils, Au passage des grelots, dans le cercle des Malraux : « Parce que vous êtes dans ce paysage assez informe, assez inconnu, de préférence hivernal, les grelots d’un traineau qui s’approche de plus en plus avant de s’éloigner peu à peu, est une image métaphorique de la vie. On apparaît, on vit, on disparaît. Ce titre s’est imposé à moi. »
À tel point que l’on peut légitimement se demander, s’il n’y a pas dans cette pudique formulation, quelques profondes amertumes et quelques lourds regrets, voire une certaine nostalgie d’un passé presque oublié avec ses faits marquants et minutieusement datés où l’histoire pourtant était en marche ; commencée aux abords des années 1930, jusqu’à la fin des années 1970.
L’auteur naît le 11 juin 1944. « Après la libération, en une famille aussi meurtrie, la vie peu à peu reprendrait quelques droits… André et Madeleine suivraient sans y penser la prescription biblique du lévirat, selon laquelle une famille décimée peut se reconstruire, si la situation le permet et y incite, en refaisant leur vie ensemble pour élever leurs trois garçons. Dans l’ombre était pourtant tenacement demeurées des rancœurs sans merci », écrit encore l’auteur dans le chapitre consacré à Florence Malraux.
Un hommage émouvant à celle qui, durant de longues années, entretint avec son père des rapports ombrageux, « André et Flo se serraient la main et ne s’embrassaient pas. » L’indifférence mutuelle parfois prédominait à une relation plus sereine et plus aimante, comme certainement tous deux l’auraient souhaité.
“Je n’en veux pas de ton chou-fleur ! Il est trop mauvais !” Tels furent les premiers mots que ma mère, à l’automne 1942, entendit lancés par une petite fille âgée de neuf ans à la sienne ». « On a toujours mal mangé chez moi » (…) Les deux femmes avaient sympathisé et ma future mère avait trouvé la fillette plus que mignonne : craquante, tel que son promis la lui avait décrite ». Et il est certain que Madeleine fut une mère exemplaire avec ses enfants qui n’étaient pas les siens, et qui lui permettraient souvent par la suite de s’évader de la vie officielle imposée par le protocole de la République qu’elle n’appréciait guère.
[Premières pages] Au passage des grelots
Et l’histoire continue. « Trente ans plus tard j’apprendrai par sa mère qu’en revenant de Boulogne, la première fois qu’elle (Florence) avait découvert ses petits demi-frères Gauthier et Vincent, de sept et dix ans ses cadets en regagnant la rue Tournefort, où mère et fille avaient échoué, Flo lui avait dit qu’elle venait de comprendre la remarque de Gréty Goldschmidt, son aïeule maternelle penchée sur son propre berceau, l’année 1938 : “L’enfant de sa fille, c’est autre chose que l’enfant de son fils venu d’une autre mère que celle issue de ses entrailles”. » Et c’est bien dans ce cas la malheureuse réalité.
Au fur et à mesure de l’ouvrage, on apprend à propos de l’auteur que Malraux « n’était pas un père particulièrement attentif ni affectueux, mais au cours des repas dominicaux, il partage avec Alain des propos qu’il lui donne avec parcimonie, des éléments pour construire sa vie. En particulier, il lui dit une chose essentielle encore très présente aujourd’hui, c’est d’avoir le sens de l’admiration.
Admirer, les gens admirables, les actions admirables, les lieux admirables, les œuvres admirables ». Peut-être alors tout le sens de l’œuvre d’André Malraux est-il contenu dans cette proposition. L’admiration apparaît ainsi comme une clé de voûte d’où le génie peut surgir indistinctement tout en laissant des traces indélébiles dans la mémoire des hommes avec en arrière plan, « les coulisses d’un théâtre où la célébrité, le pouvoir, l’argent, l’héroïsme, l’amour, la fidélité » occupent la place centrale, mais aussi les incessantes trahisons, les inimitiés, les revers de fortune, qui sont souvent le propre des hommes importants.
Une grande scène de théâtre en somme où les protagonistes occupent un rôle toujours vacant. « À l’ombre portée par cette figure d’exception, monument public qui ne se visitait que sur rendez-vous et se protégeait d’autrui de son mieux, et à sa façon singulière à l’extrême. Il n’a guère cessé d’être la caisse de résonance chargée de magnétisme, tout à tour provocante ou attirante. Avouons-le ici, sans complaisance aucune : presque irrésistible ».
C’est ainsi qu’Alain Malraux décrit son père adoptif avec des mots qui se veulent teintés « d’une mélodie qui encore aujourd’hui, et de loin me berce doucement ».
Alain Malraux – Au passage des grelots, dans le cercle des Malraux – Larousse – 9782035979926 – 18,95 €
Paru le 12/02/2020
303 pages
Larousse
18,95 €
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