ROMAN FRANCOPHONE - Court premier roman très dense et très pur, débarrassé des scories de l’affect, L’atelier de Sarah Manigne donne voix à Odile, fille en déréliction d’un couple d’artistes flamboyants.

Il aura fallu qu'elle soit adulte pour que son père pour la première fois lui demande de poser pour lui.
Lui, peintre ignoré et incertain de son art, a trouvé en Educhka la muse, la mère, l’agent, la mondaine qui lui a permis de naître et d’exister en tant qu’artiste ; elle, dans ses rôles dont elle donne elle-même la définition, se réalise dans la création de son propre personnage, folcoche esthétique et déterminée à tout mettre en œuvre pour la reconnaissance du peintre. Entre eux, une petite fille, Odile, qui grandit sans tendresse, sous leurs yeux qui ne la voient pas
« Moi je suis mal fagotée. Je l’ai toujours entendu dire. Elle déteste ces vêtements que l’on trouve partout. Elle est terrifiée à l’idée de ressembler à quelqu’un d’autre. Tout se doit d’être nouveau. Les noms, les choses et elle. »
Muse et peintre n’ont d’yeux que l’un pour l’autre, et négligent, parfois jusqu’à la maltraitance psychique, leur fille Odile, transparente innocente qui ne perçoit pas la perversion, mais sait tout de l’absence d’amour. Jusqu’à ce que ce père et peintre décide, au bord de l’étouffement, de partir. Au terme de quelques années, parfois glaçantes tant le lien entre mère et fille est vide de substance, dans un fuyant face à face, Odile partira, envoyée en exil en pension en Suisse.
Et un soir, entrant dans sa chambre, le directeur de la pension découvrira les fresques qu’elle a peintes sur les murs.
Tuant le père, tuant la mère par la couleur symbolique, c’est par l’art qu’elle finira par trouver rédemption.
Texte intimiste sur l’art, selon un rythme vif qui parvient à évoquer la nécessite des choses et des étapes à franchir, la structure du texte alterne époques et scènes artistiques et familiales, témoignage de la grande maîtrise narrative de l'auteure, professionnelle du cinéma.
Sarah Manigne parvient à composer dans une grande délicatesse, à l’image du bandeau de couverture, un autoportrait fictionnel paradoxalement apaisé, où se détache enfin le visage de l’héroïne, à mesure qu’elle accède à elle-même.
Remarquable.
Sarah Manigne - L’atelier - Mercure de France - 9782715247796 - 10 €
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