ESSAI - Ponctué de dessins sombres tracés à grands coups de crayon nerveux par Pascal Lemaître, voilà un recueil d'échanges entre Denis Lafay et Pierre Rabhi qui abordent, sous l'éclairage de sujets d'actualité des premiers mois de 2019, les thèmes chers à l'agroécologue ardéchois.

Les propos sont aussi tourmentés que les dessins qui ne les illustrent pas vraiment mais les accompagnent dans un entrelacement de traits noirs, rarement figuratifs, sonnant comme un écho à des propos toujours aussi déterminés : certes il y a péril en la demeure, mais si chacun fait sa part comme le « colibri », alors la somme des actions infimes deviendra infinie.
Pierre Rabhi se défend d'être un gourou, d'être un exemple iconique derrière lequel nous devrions tous être massés en rangs serrés d'adeptes.
Il se défend également d'être un juge, même s'il ne manque aucune occasion de donner un avis tranché et parfois sans appel sur des postures qui ne sont dictées que par des soifs inextinguibles de pouvoir et d'argent. Quand on a vu le dernier film de Ken Loach, Sorry, we missed you, cette terrible exploitation de l'homme par l'homme prend une infernale dimension (bande annonce ci-dessous). Et les propos de Pierre Rabhi trouvent toute leur justification, toute leur profondeur, toute leur vérité.
Et il est difficile de ne pas songer à cette chanson de Grand Corps Malade qui, en 2012, enjoignait le futur Président à élire, à ne pas oublier que sous les bandes tricolores du drapeau national il y a les mots « égalité » et « fraternité » ? Tellement oubliés, tellement galvaudés !
La pensée de Pierre Rabhi n'a rien de religieux malgré ses racines musulmanes par naissance et catholique par milieu éducatif après la disparition de ses parents. C'est une utopie ! Totale ! Il nous parle d' « amour » ! De conscientisation. De toutes ces expériences qui ont fleuri dans son sillage, sur la base de ses idées, de son message répété à l'envi depuis toutes ces années ! Des choses qui se tentent concrètement ici, ailleurs, là-bas, dans cette Afrique où il a une partie de ses racines et où l’iniquité est, peut-être, encore plus flagrante qu'ailleurs.
Quelle paix humaine pourrait donc bien advenir si l'équité reste un vœu pieux, dit-il en substance.
Les coups de cravache sont distribués sans agressivité mais avec beaucoup de conviction.
À Macron qui ne l'a jamais convaincu avec son Ministère de la Transition Écologique et Solidaire (moi non plus d’ailleurs et finalement Hulot ne l'aura pas été plus). Aux réseaux sociaux qui sont, pour lui, le ferment d'une rupture définitive avec la réalité. À l’Éducation qui oublie le travail manuel dans ses enseignements, qui oublie ce « faire avec les mains » auquel il attache tant d'importance. À ceux qui refusent aux migrants de contribuer à être des atouts pour notre société, rappelant que certaines de ces migrations se sont autrefois traduites par un « nous venons de gré ou de force, quitte à vous exterminer », ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.
À ceux qui, trop souvent encore réduisent les femmes en esclaves, en sous-humaines, en monnaies d'échange, en êtres à qui est refusée une vie de liberté. À l'économie mondiale qui, sous ce nom étymologiquement pondéré et raisonnable, traduit les pires gabegies et le pire gaspillage dont l'humanité est responsable. Cette économie mondiale à qui Costa-Gavras, dans son film Adults in The Room, fait traiter le « système de protection sociale » de « rêve communiste » !!!...
Et tant d'autres !
Jusqu'à considérer que nous pourrions être « une sorte de catastrophe écologique », avec une prolifération dont on peut raisonnablement se demander comment elle va s'arrêter et quel est son intérêt si vivre est seulement connaître une vie de m....e dans un monde où la pompe à fric tirerait toujours plus vers le haut ceux qui y sont déjà, en laissant sur le pavé et toujours plus démunis ceux qui sont en bas, alimentant la déraison de celui qui tire sur une mosquée, pendant que d'autres détruisent des croix dans un cimetière. Alors que les grandes religions monothéistes « regardent ailleurs » ...
Et, fidèle à son refus d'être transformé en gourou, il nous invite à l’introspection personnelle, à la conscientisation, à ce « connais-toi toi-même » qui doit amener à une vision de notre place dans le processus de vie sur Terre, à une perception de notre positionnement et de notre responsabilité propre dans le vivant. À un avènement de l'Amour.
Et là, je décroche de l'Utopie car je n'arrive pas à croire à cet « amour » qui nous ferait subitement devenir bons ! Chose que nous avons tous largement démontré ne pas être.
Mais, n'ayant rien de mieux à proposer et convaincu qu'il ne se « trompe » pas dans ses analyses, je vous recommande la lecture de ces pages où Pierre Rabhi continue de tracer son sillon tellement nécessaire, labourant et semant avec humilité et honnêteté face à ses contradictions humaines.
Pierre Rabhi, conversations avec Denis Lafay, Ill. Pascal Lemaître – J’aimerais tant me tromper - L'Aube – 9782815935166 - 19,90 €
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Pour approfondir
Editeur : Editions De L'Aube
Genre : sciences de la...
Total pages : 192
Traducteur :
ISBN : 9782815935166
J'aimerais tant me tromper
de Pierre Rabhi