ROMAN ÉTRANGER – Figure de proue de l’agence littéraire Balcells, Javier Cercas remonte le temps dans son histoire de famille. Et celle de son pays. En proie à une guerre fratricide, c’est au sud de l’Espagne qu’il nous emporte, dans le village de ses parents : Ibahernando.
Quelle fut la vie de Manuel Mena ? Mort à 19 ans, il avait pris le parti du franquisme. Héros familial, il interroge : était-ce un partisan fasciste ou un jeune naïf, pris par l’illusion idéaliste — et qui aura choisi le mauvais camp ? Et quel regard peut être posé par les descendants, sans plonger immédiatement dans la condamnation qu’a apportée l’Histoire ?
Vae victis. Malheur aux vaincus. Mais Javier Cercas ne préjuge pas : le drame familial de cet ancêtre fait l’objet d’une enquête scrupuleuse, apportant son lot de révélations et de témoignages. Entre la guerre, l’héroïsme et la mort, c’est avant tout un périple dans la mémoire commune et plus encore, vers les racines.
Car il s’agit non de juger, mais de comprendre. Non de trancher, mais de trouver.
Le roman à sa sortie fut décrié : le franquisme est une période sombre pour le pays, et il ne semble pas permis de soulever le voile pour autre chose que le dénoncer. Sauf qu’à prendre le parcours d’un individu, Cercas parvient sur des sentiers inattendus. « Les vérités de la littérature ne sont pas comme celles du journalisme ou de l’histoire, qui sont claires et précises », avait-il rétorqué.
À juste titre. La littérature devient cet espace d’expression où le gris peut dominer, mais surtout, « l’unique manière de nous empêcher de commettre les mêmes erreurs ». Et quand on touche à de si douloureux sujets, il est compréhensible que le peuple se révolte — que les lecteurs s’affolent.
Dans cette Guerre civile – le retour pour l’auteur à ce sujet, qui tenait son quatrième livre, Les soldats de Salamine (Actes Sud, 2004, trad. Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic) — place est faite à ce qui touche, frappe, affecte. Une fois plongé dans cette vie de famille et le récit de ses propres origines, c’est surtout le portrait de sa mère qui apparaît. Elle qui participe à revenir dans le temps, dévoiler ses souvenirs.
Pour les héritiers espagnols de ce pan historique, chargé de souffrance et de choses probablement encore non-dites, ce récit ne pouvait que faire un choc. En allant chercher dans les zones obscures, c’est une autre vérité qui émerge.
Parce qu’il parle de famille — rendant par là même, un hommage puissant à sa propre mère — Javier Cercas touche également à l’universel. Ce grand-père paternel, ce petit village espagnol et la guerre qui partout faisait rage. On ne trouve pas ici de rédemption : aucune condescendance, des éléments biographiques qui entraînent la fiction et l’alimentent.
Sa mère, Blanquita, avait tant parlé de ce grand-père mort, qu’il fallait le faire revivre, et lui consacrer l’attention due.
Impossible de ne pas saisir, au passage, l’allusion du titre à L’odyssée, et la rencontre entre Ulysse et Achille, le premier parti pour regagner Ithaque, le second mort au plus fort de son âge. Et qui, désormais, ne côtoient plus que les morts du royaume d’Hadès, avec ce titre humiliant de « Monarque des ombres ».
Javier Cercas, trad. Aleksandar Grujicic et Karine Louesdan – Le monarque des ombres – Actes Sud – 9782330109196 – 22,50 €
Pour approfondir
Editeur : Actes Sud
Genre :
Total pages : 320
Traducteur : karine louesdon et aleksandar grujicic
ISBN : 9782330109196
Le monarque des ombres
de Javier Cercas