ROMAN ETRANGER- Un chien est le héros surprenant de ce roman américain qui a obtenu le prestigieux National Book Award en 2018 et nous parle du deuil : celui d’une femme écrivain qui tente de s’accommoder à la perte de son meilleur ami, écrivain lui aussi – peut-être même en a-t-elle été amoureuse. Il s’est suicidé. C’était son chien à lui, un vieux chien arthritique. Le voilà dorénavant chez elle, qui a toujours été plutôt une femme à chats.

Dans son petit appartement, elle doit caser ce grand danois arlequin nommé Apollon. Tous deux s’apprivoisent, finissent par se soutenir mutuellement. Au point que l’on se demande qui est vraiment « l’ami » auquel se réfère le titre.
Ce récit, écrit à la première personne du singulier, nous transporte dans le monde des écrivains new-yorkais et de leurs étudiants à l’université. Avec beaucoup d’humour, de la tendresse, un brin de cruauté aussi lorsqu’il décrit les mœurs de ce qui ressemble à “un canot de sauvetage sur lequel trop de gens essaient de monter”. Ainsi, une cérémonie en mémoire de l’ami, à laquelle assistent ses trois épouses successives, se transforme en cocktail avec ragots et spéculations sur les prix littéraires.
Sigrid Nunez nous fait ressentir son désarroi à l’écoute de ses étudiants (“ne devrions-nous pas étudier des écrivains à succès ?”) ou la réception d’un email lui proposant une offre spéciale : un calendrier photo où douze écrivains ont posé nus. Ce que devient la littérature lui reste sur l’estomac.
Mais ce qu’elle nous dépeint surtout, avec beaucoup de finesse, ce sont les méandres de son deuil, des souvenirs, de l’amitié et de l’amour. Et de l’écriture. « Coucher quelque chose sur le papier, c’est espérer s’en emparer. Écrire ses expériences, c’est tenter d’en saisir le sens, ne pas les laisser se déliter dans le temps. Dans l’oubli. Mais le contraire est toujours possible. Le souvenir de l’expérience peut s’évanouir au profit de ce qu’on a écrit dessus », nous confie-t-elle. « C’est donc une possibilité : en écrivant sur un être cher - ou même juste en parlant trop de lui - peut-être qu’on l’enterre pour de bon. »
Née en 1951 d’une mère allemande et d’un père sino-panaméen, Sigrid Nunez vit à New York et écrit depuis 24 ans. Son septième roman est son huitième ouvrage. Elle a publié un essai sur Susan Sontag qu’elle a bien connue puisqu’elle fut son assistante et la petite amie de son fils, traduit en français en 2012 sous le titre Sempre Susan. Souvenirs sur Sontag (éditions 13e note). Deux de ses romans ont également été traduits en français, Pour Rouenna (Flammarion, 2002) ainsi qu’ Et nos yeux doivent accueillir l’aurore (Rue Fromentin, 2014).
« Je suis devenue écrivain non parce que j’étais en quête d’une communauté mais plutôt parce que je pensais que c’était une chose que je pouvais faire toute seule », a déclaré cette femme discrète en recevant son prix en novembre dernier. « Quelle chance d’avoir découvert qu’écrire des livres rendait possible le miracle d’être retranchée du monde et de faire partie du monde tout à la fois. »
Laure Amblesec
Sigrid Nunez, trad. anglais (US) Mathilde Bach – L’ami – Stock – 9782234088344 – 20.90 €
Dossier : Découvrir toute la rentrée littéraire 2019
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Editeur : Stock
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Total pages : 288
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ISBN : 9782234088344
L'ami
de Sigrid Nunez(Auteur) Mathilde Bach(Traducteur)
" - Je vais te dire pourquoi j'ai tenu à te parler.A ces mots, pour une raison mystérieuse, mon coeur se met à battre dans ma poitrine.- C'est au sujet du chien.- Du chien ?"