ROMAN FRANCOPHONE - Pauline Clavière est journaliste et auteure. En janvier dernier, elle signe son premier roman intitulé Laissez-nous la nuit aux Éditions Grasset. Un premier texte fort, puissant, abrupt sur l'univers des prisons françaises. Portée par un style soigné, la jeune romancière surprend par son audace et sa maitrise.
« Les rayons du soleil filtrent à travers les branches du vieux cèdre… » En cette première page, on se dit que c'est une belle journée de printemps qui s'annonce...
Pourtant, l'univers auquel sera bientôt confronté Maxime Nedelec, 56 ans, imprimeur, n'a rien de poétique. Pour une stupide histoire d'impayé, et parce que sa société connaît des difficultés de trésorerie, il va passer de l'autre côté, là où c'est gris, là où ça sent mauvais...
Au tribunal, Nedelec se défend mal. Lors d'une première affaire, il a écopé de deux ans de prison avec sursis et d'une amende de 30.000 €. Suite à une nouvelle condamnation pour facture impayée son sursis est révoqué. La sanction tombe. C'est la prison.
Nedelec ne comprend pas ce qui lui arrive, cet univers sombre et glauque dans lequel il est tombé. Un univers dans lequel les portes claquent avec un bruit de métal, les mauvaises odeurs qui traînent dans les couloirs, les pièces étroites, humides et sombres l'hiver, étouffantes et irrespirables l'été.
En prison, Nedelec devient Max. Les autres détenus l'ont affublé d'un pseudonyme ridicule. « Le déporté », à cause de sa maigreur et aussi de « son jean qui se fait la malle ». Car ici, les hommes n'ont plus de nom, plus d'identité. Ils perdent même leur humanité et finissent par ressembler à des bêtes. En prison, on ne se désigne que par un sobriquet.
Dans le récit, Max est parfois le narrateur. Avec lui, on découvre le monde inquiétant de la prison. Un monde qu'on ne souhaite pas connaître et dont on n'aime pas s'approcher. Un monde qui suinte la peur et qu'on préfère ignorer.
Dans cet espace clos, on réalise très vite qu'il y a deux catégories de détenus. Les bourreaux, à la carrure imposante, qui s'octroient des privilèges, qui rackettent, qui humilient les plus faibles et qui se livrent à leurs petits trafics, et les soumis. Ceux-ci, par crainte légitime, se taisent, obéissent, acceptent les humiliations. Ils se font discrets et rasent les murs en silence...
Les surveillants, eux, interviennent rarement dans les histoires de détenus. Ils laissent faire.
En prison, les personnages évoluent dans un univers où les valeurs morales n'ont plus cours. Seule, compte la survie, même si pour beaucoup d'entre eux, elle n'a plus aucune signification.
Dans le bâtiment B où il a été transféré, Max côtoie d'étranges personnages tous très menaçants.
Sarko, une masse noire qui en impose. Sarko, c'est le mâle dominant. Il parle peu. Il n'a pas besoin de parler. Pourtant, tous le craignent et tous lui obéissent. Curieusement, à l'extérieur des grilles, dans le monde des hommes libres, les Noirs sont souvent des victimes, discriminées par la société blanche, mais en prison, ce sont eux les maîtres qui dictent leurs lois aux Blancs qui font preuve d'une docilité affligeante. Sarko, mêmes les surveillants le redoutent.
Le Serbe, c'est autre chose. C'est un pervers, un violent qui aime manipuler les gens et qui s'est mis au service de Sarko. Et cette chose, qu'on appelle la Bête... Un trio sournois et malfaisant qui inspire la terreur aux autres détenus.
Il y a aussi Bambi, un jeune migrant syrien devenu la proie du Serbe, la Taupe, un Kabyle aux manies douteuses, Winnie l'ourson, Tortilla et pleins d'autres...
Tous ces détenus sinistres et angoissants, Max devra faire avec.
Et puis, il y a Marcos. C'est un Porto ou peut-être un gitan, on ne sait plus. Ça n'a pas d’importance. Bâti comme un géant. Pas d'éducation, il sait à peine lire. Il se montre violent et colérique, mais il a gardé au fond de lui une naïveté qui le fait ressembler parfois à un enfant. Marcos est un catholique fervent. Il garde précieusement dans ses affaires une photo de la Vierge Marie.
Quand il apprend que sa femme souhaite le divorce, il entre dans une rage folle. Pour lui, quand on se marie, c'est pour la vie. Il a pour sa fille Laura la tendresse des gens simples. Il répète avec fierté qu'elle est la première de sa classe.
Au cours de la promenade, Marcos, on le craint. On le respecte et on l'évite. Il est différent des autres détenus. Il ne se plie pas à cette règle stupide qui impose un choix inique : devenir bourreau pour ne pas être victime.
Est-ce pour cette raison qu'il suscite une affection sincère de la part de l'aumônier, Nicolae Vladistov ?
Françoise Rosier, le médecin de la prison, qui passe son temps à distribuer des neuroleptiques puissants, elle aussi, n'est pas insensible à la personnalité attachante de Marcos. Elle est la seule femme dans ce monde d'hommes, où la sexualité refoulée n'ose pas s'exprimer ouvertement et se manifeste par des comportements suspects et sournois.
Quel parcours étrange a conduit ces deux personnages dans ce lieu clos, sans espoir, où pourrit une humanité que la société a pris soin d'enfermer pour assurer sa tranquillité ?
Max partage sa cellule avec Marcos. Entre les deux hommes va se nouer une étrange relation. Marcos servira de protecteur à Max. Avec le temps, ils apprendront à se connaître. Mais ils sont trop différents pour que cette relation débouche sur une véritable amitié.
En prison, les saisons passent... On se nourrit de souvenirs...
En prison, la nuit... l'âme est saisie d'une incompréhensible angoisse.
Dans le tunnel sombre où il croupit, Max égrène les souvenirs d'avant... Il s'accroche à cette petite lumière qu'il entrevoit. C'est son unique espoir. Cette petite lumière qui vacille au bout du tunnel s'appelle Mélo. Mélodie, sa fille...
Max n'accepte pas la sanction qu'on lui a infligé. C'est par erreur qu'on l'a condamné à cette lourde peine. Il a réglé les 30.000 € et pour lui, on ne doit pas tenir compte de sa première condamnation. Mais nulle part, on ne trouve trace de ce règlement.
Mélodie, avec l'aide de son cousin Gino, jeune avocat, fera tout pour retrouver la preuve de ce règlement. Elle veut réduire sa peine. Le sortir de l'enfer. Mais les arcanes du monde judiciaire ne sont pas faciles à démêler. Y parviendra-t-elle ?
Dans ce roman écrit avec une incroyable justesse, avec des mots forts, parfois crus, Max est un héros très ordinaire, et s'il est parfois touchant, il reste faible et sans grande envergure. Ce qui est effrayant, c'est que ce Max, ça pourrait être n'importe lequel d'entre nous.
Une suggestion. Au nouveau Ministre de la Justice, en charge des prisons, nous lui recommandons vivement la lecture de ce très beau livre, témoignage bouleversant de la vie à l'intérieur de l'univers carcéral.
Pauline Claviere - Laissez-nous la nuit - 9782246822127 - Grasset - 21.50 €
Paru le 15/01/2020
616 pages
Grasset & Fasquelle
21,50 €
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