Roman : Une balade dans la nuit, de George P. Pelecanos
Le 08/04/2013 à 17:36 par k-libre Julien Vedrenne
Publié le :
08/04/2013 à 17:36
Chaque semaine k-libre et ActuaLitté vous proposent par le biais d'une sombre collaboration une revue de presse croisée, qui filtre l'actualité des littératures policières et du monde qui les entoure. Vous aurez d'un côté des chroniques littéraires d'ouvrages très récents, et de l'autre des informations concernant cet étrange monde. Comment il vit, de quoi il est fait, et comment parfois il meurt. Le tout formant une ActuaLitté policière bien k-librée !
Les romanciers américains sont marqués par les guerres de leur pays. Dans ce nouveau roman de George P. Pelecanos, son héros, l'enquêteur Spero Lucas, est un ex-marine revenu de la guerre d'Irak avec encore toute une variation d'images dans sa tête. Être froid et implacable, c'est une machine de guerre en puissance dotée cependant de sentiments - ses origines grecques, sûrement. Sa manière à lui d'éviter la crise financière, c'est de récupérer des objets ou de l'argent que l'on a dérobé à ses clients. Sa rémunération : quarante pour cent du bien. Les dealers se sont accaparé les évolutions technologiques. Avec leurs smartphones, ils sont capables de suivre à la seconde les livraisons de colis par Fedex, donc de se trouver des adresses honnêtes pour des livraisons malhonnêtes. Mais le dealer Anwan Hawkins, qui dirige ses petites affaires depuis la prison où il est incarcéré en attente de jugement, apprend que l'un de ses colis s'est fait la malle.
Roman : Le Crépuscule des Gueux, de Hervé Sard
Parfois je me représente le travail des historiens du futur – disons du XXIII ou XXIVe siècle pour compter large – et je les vois, penchés sur leur table de travail (eh oui, ils ont encore des tables de travail, sans doute dotées d'écrans hologrammes ou de gadgets du même genre, certes, mais table de travail quand même). Ils ont récupéré plein de livres publiés dans les premières années du XXIe siècle (derniers spécimens du genre, car les livres en papier disparaîtront définitivement quelques décennies plus tard) et ils s'efforcent de comprendre à quoi ressemblait la vie quotidienne en ces temps reculés et barbares. Devant eux : des ouvrages scientifiques, des essais sociologiques, philosophiques, économiques, des mémoires de footballeurs milliardaires, des portraits d'hommes politiques, des romans par milliers, mettant en scène des héros improbables aux destins peu crédibles. Et, au milieu de cette masse indigeste, des romans noirs. J'imagine ces historiens du futur hésiter quelques instants, balancer à la corbeille (enfin dans leur broyeur électro-moléculaire) tous les ouvrages inutiles, et ne garder que ceux qui leur parlent vraiment des hommes tels qu'ils sont, humains et trop humains : les romans noirs.
Roman : Les Nuits de Patience, de Tobie Nathan
Universitaire et médecin, Tobie Nathan travaille autour des différences culturelles avec comme point de départ la question de comment soigner si l'autre n'a pas la même vision du monde, si l'autre n'a pas les mêmes croyances. Toute la théorie psychiatrique occidentale part d'invariants comme le complexe d'Œdipe mais quid de son universalité ? Avec Les Nuits de Patience, l'ethnopsychiatre propose une mise en pratique extrêmement romancée de ce fossé culturel à travers la figure de deux personnages, Ernesto Sanchez, psychiatre occidental, bien dans sa peau et sa vie, et la jeune Patience, originaire de Guinée et qui avoue "manger des gens la nuit". Qu'est-ce que cela recouvre exactement ? Est-elle une sorcière ? Pourquoi deux policiers français cherchent-ils à l'arrêter ? Quel rapport entre cette jeune femme et le président de Guinée, un militaire un peu lunatique qui veut la récupérer ? Maitrisé stylistiquement, le roman ne cherche pas à asséner des vérités, mais à nous faire progresser vers une meilleure compréhension des différences.
Roman : La Ville des ombres, de James Thomas Grady
Washington fin de l'année 1968. L'assassinat de Martin Luther King est encore dans toutes les têtes, l'Amérique est en pleine guerre du Vietnam, et le jeune John Quinn sort tout juste diplômé de l'école de police... Une relation de famille lui demande d'enquêter sur une femme disparue. Cette histoire le marquera à jamais. Deux ans plus tard, il n'est plus que Q., transformé en hippie, pour infiltrer les milieux contestataires, et il commence à entre-apercevoir les rouages de l'espionnage : "Ce que je sais maintenant, c'est qu'il y a des secrets derrière la réalité des choses. Des mensonges à l'intérieur de la vérité. Des règles à l'intérieur des règles". Il sera amené à rencontrer Nathan Holloway, ancien marine, pour qui la vie se résume à "comment, pas pourquoi". Holloway est chargé d'espionner la Maison Blanche pour le compte du Pentagone. "Encore plus top secret que tu puisses l'imaginer. Ici la pire chose que tu puisses faire, c'est d'en parler à quelqu'un. Si tu fais ça, tu n'auras même pas à craindre de passer en cour martiale." Tous deux croiseront Vaughn Carter, idéaliste travaillant au service d'un sénateur lui-même travaillant à la sous-commission des enquêtes permanentes.
Roman : Dark horse, de Craig Johnson
Avec Dark horse, l'Américain Craig Johnson revient à la source de ce qui a fait le charme de sa série orchestrée par Walt Longmire, shérif du comté d'Absaroka dans le Wyoming. Oubliés les deux précédents volets dont Enfants de poussière qui, ironie de l'histoire, est le plus plébiscité aux États-Unis. L'on avait alors eu l'impression que Craig Johnson voulait faire comme tous les Américains SON roman sur la guerre du Vietnam, mais que du coup il essayait en prime de le faire coller avec ses personnages en forçant l'intrigue. Dark horse, en cela, est tout le contraire d'Enfants de poussière. L'auteur traite de ce qu'il connait le mieux : son environnement, les grandes étendues où l'on erre solitaires, les chevaux, et les relations humaines fuyantes. Au départ de son intrigue, Mary Barsad, une femme accusée d'avoir logé six balles dans la tête de Wade, son mari, car il avait mis le feu à une grange et ainsi brûlé vif ses chevaux. Une petite ruse envoie cette femme dans la prison du comté d'Absaroka et, juste retour des choses, Walt Longmire sur les lieux du crime, dans le très hostile comté de Campbell pour enquêter sous couverture.
Jeunesse : Justin Case, 1. Terminus New York City, de Jean-Luc Bizien
Justin Case fait de certaines injustices une affaire personnelle. Jeune homme richissime, ses parents sont morts brutalement. Sa mère a été tuée, son père a été injustement accusé du meurtre et condamné à mort. Ce lourd héritage le marque de façon indélébile et il utilise son argent pour venir au secours de ceux qui sont victimes du même genre de jugement inique. Sorte de Zoro moderne, il nous entraîne dans une course poursuite contre le temps à travers New York. Pour accomplir sa mission, il s'est entouré d'une équipe impressionnante : Helena, son assistante, maîtrise parfaitement les arts martiaux et les armes, c'est la wonder woman du livre. Sonny Boy est un ancien joueur de football américain en fauteuil roulant qui a été victime d'un accident de voiture. Les ordinateurs n'ont aucun secret qu'il ne saurait percevoir, même ceux de la police ou du FBI. Matthew Slides avocat du père de Justin, et son meilleur ami, avec ses allures gothiques, il est devenu le protecteur du jeune homme, une sorte de figure paternelle de substitution. Pour ce premier volume, Justin Case veut innocenter Lamar Dawson, accusé d'avoir commis un double meurtre.
BD : Castilla Drive, de Anthony Pastor
Castilla Drive est une bande dessinée hard boiled mélancolique et sentimentale où l'on suit les pas et les investigations de Salinger. Non pas ceux de Jerome David, le romancier de L'Attrape-cœurs, ni même ceux de Robert, détective privé de son état, mais ceux de Sally, la femme que Robert a abandonnée avec ses deux enfants pour en suivre une de vingt ans sa cadette. Osvaldo Brown, dit le Survivant depuis que deux coups de feu l'ont transpercé emportant même une de ses oreilles, poète de vocation, mais homme de ménage dans un entrepôt de profession, cherche à connaître l'identité de celui qui l'a presque tué. Mais, comme tous les hommes qui côtoient Sally Salinger (même son mari, ne vous y trompez pas), il est raide dingue de cette femme désabusée, désordonnée et débordée, qui avance à contre-courant et prend les choses à contre-pied. Elle va finir par accepter une enquête dont elle ne veut pas, et tomber dans les bras de son client bien avant la fin de l'album - une hérésie dans les codes du polar qu'Anthony Pastor s'est abrogé avec talent et maîtrise.
Essai : Reconstitution : jeux d'histoire, de Noëlle Pujol, Andreas Bolm & Philippe Artières
Ce petit livre est une nouvelle production de "Jeux d'histoire" due à un historien de renom chercheur au CNRS et auteur de nombreux ouvrages sur les sens de l'écrit. En droite ligne d'un autre "Jeu d'histoire", Le Dossier Bertrand, paru dans la même maison d'édition en collaboration avec quatre autres historiens, il est aussi le pendant d'un texte plus important paru en 2013 au Seuil dans la collection "Fictions et Cie" : Vie et Mort de Paul Géry. Reconstitution est aussi centré sur le Père Paul Géry, titulaire de la chaire de philosophie à l'Université Grégorienne de Rome, assassiné d'un coup de baïonnette dans le dos le 12 octobre 1925 par un soldat qui le suivit alors qu'il s'en revenait d'un rendez-vous raté avec ses neveux. Il se trouve que le Père Paul Géry est le grand-oncle de Philippe Artières, et que c'est la découverte des archives de cette histoire qui suscita son livre au Seuil et cet étrange album annexe. L'auteur s'y livre à un étrange cérémonial : revêtir une soutane et refaire, dans les mêmes lieux de Rome, le parcours de son grand-oncle jusqu'à son assassinat.
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