En ces premiers jours du mois de juin, j’ai pris mes quartiers sur un cumulonimbus orienté plein sud à l’ombre d’un joli parasol multicolore que je viens tout juste de ressortir du grenier. Et quelle allégresse à la vue de ces petites choses, qui annoncent l’arrivée de l’été, bien que ce dernier tarde à poindre le bout de son museau, en raison de ces flux thermiques qui entrent en collision et déchaînent les foudres célestes ?
Le 05/06/2018 à 09:48 par La Licorne qui lit
Publié le :
05/06/2018 à 09:48
Un autre effet pervers du réchauffement climatique, paraît-il. Un joli flacon de Château Minuty sur la table, quelques gariguettes généreusement enrobées de crème double de gruyère (spécialité helvétique totalement régressive) et un morceau de pain grillé tartiné de tapenade, il ne manque plus que la lecture qui accompagnera ces menus plaisirs.
Faisant fi des discordes qui tiraillent le milieu littéraire – rémunération des auteurs, statut de l’écrivain – et des grandes manœuvres politiques du petit Emmanuel qui a subitement fait de la défense de la Francophonie une priorité nationale (sans pour autant réellement s’intéresser aux vrais enjeux), votre copine ailée a décidé de se laisser aller à la facilité. Fissa, je me constitue une PAL « spéciale blockbusters ». Levy, Musso, Thilliez, Grimaldi, Valognes, Martin-Lugand… Mais, c’est Byzance !
Amstramgram, je tombe sur qui ? Sur Michel Bussi. J’avoue avoir longuement hésité à relire Roth et me plonger dans Portnoy, American Pastoral ou Un Homme, mais une fois encore j’ai cédé. Va pour le divertissement et la détente, je laisse les classiques pour un peu plus tard. Et je m’octroie le temps de la réflexion afin de considérer si oui ou non, ce monument de la littérature aurait fait les frais de #metoo...
Dans Sang famille, Michel Bussi ne déroge pas à ses habitudes : 500 pages, chapitres courts, intrigue chronométrée, deux histoires en parallèle qui sont au final intimement liées et un héros attachant à la recherche de ses racines. Car oui, notre Michou est un peu obsédé par la quête identitaire, l’exhumation de souvenirs que l’on a préférés enfouir au fond de sa mémoire et la reconstruction d’un passé trouble et troublé. Dans ce onzième roman, qui est en réalité le premier écrit par Bussi, le personnage principal, c’est Colin, Colin Rémy.
Non, je corrige, les personnages principaux sont Colin et l’île Mornesey, ancien lieu de transit des malfrats condamnés au bagne, toute droite sortie de l’imaginaire de l’auteur. Colin y est né et y a grandi. Il quitte Mornesey suite au décès, suicide, de ses parents pour aller vivre avec son oncle et sa tante. Tombant sur un prospectus de camps de vacances, le jeune homme, à l’aube de ses 16, s’en va voguer sur les traces et les terres de son enfance, guidé par l’intime conviction qu’on lui ment depuis toujours.
Son père est vivant, il le sait. Et, son père n’est pas coupable des faits qui lui ont été reprochés et pour lesquels il se serait donné la mort.
Aidé par ses comparses de colo, le garçon manqué Madi et le frêle et irrésistible Armand, Colin se donne la mission de recomposer le puzzle de sa vie : que s’est-il réellement passé il y a 10 ans ? pourquoi hérite-t-il le jour de son anniversaire d’une portion de territoire étrangement appelée les Sanguinaires ? Le choix de l’île comme lieu des évènements n’est pas anodin. L’île représente l’enfermement, le vase clos, l’impossibilité de s’échapper. L’île protège sa communauté contre les scandales, les machinations et les crimes. En effet, ce qui se passe à Mornesey reste à Mornesey.
L’île est aussi le symbole du voyage initiatique. (Je rends ici hommage à un autre Michel et à son Vendredi, dont les limbes ont assurément fait de moi la lectrice que je suis aujourd’hui.) Et Michel Bussi l’annonce dans les prolégomènes : Sang famille est construit comme une aventure dont Colin sera le héros. Si, si, souvenez-vous de ces livres qui nous permettaient de choisir le chemin à prendre et qui nous renvoyaient soit à la page 8 – pas de chance, vous êtes tombé dans un trou – soit à la page 142 : le Graal, vous avez trouvé les pièces d’or qui vous donnent la possibilité de continuer !
Car Colin découvre que l’île recèle un trésor, qui est au cœur de toute son histoire : le trésor Mazarin, du nom du cardinal tombé en amour pour Mornesey. Le père de Colin, en charge d’un chantier de fouilles à l’Abbaye Saint-Antoine, avait percé le secret du fameux magot et confié à son fils la clef du mystère. Mais Colin ne se souvient plus, mémoire trouble et troublée par des années de fausses vérités. Il ne lui reste que des photographies, images d’un bonheur familial qui lui semble si lointain.
Simultanément, deux détenus s’échappent du centre pénitentiaire de l’île. Le charmant Simon Casanova, auxiliaire d’été à vélo dépêché sur Mornesey pour en assurer la sécurité, se prend lui aussi pour un héros et va tenter d’élucider le meurtre de l’un des deux évadés, enquête qui le mènera tout droit sur la piste de Colin. C’est d’ailleurs Simon qui comprendra le premier ce que renferme le trésor tant convoité. Comment me direz-vous : simplement en quittant Mornesey pour quelques heures. Un peu de recul et distance permettent souvent de voir les choses et les faits sous un angle différent et sortir d’un confinement qui obscurcit le raisonnement.
Étant une fan inconditionnelle de Bussi, je m’autorise une minuscule critique. J’ai certes été tenue en haleine comme à chaque fois que je me plonge dans l’univers de l’auteur, mais le dénouement me laisse un peu sur ma faim, du coup j’ai mangé beaucoup de fraises, et beaucoup de crème. Plus prévisible, plus lisible, plus immature, on sent la jeunesse, Sang famille demeure une excellente lecture, au rythme effréné, qui a fait mon bonheur, et qui fera assurément le vôtre et celui de vos ados parfois réticents à lâcher leur smartphone pour un livre.
Note à Michel Bussi : surtout ne vous arrêtez jamais d’écrire, car, pour moi, vous êtes l’oiseau de bon augure qui ouvre avec solennité le début de la saison estivale.
Alors, mes licornettes et mes licorneaux, débouchez une petite bouteille de rosé – dépêchez-vous, apparemment on s’achemine vers une rupture de stock — et trinquez à vos futures vacances ! Comme je l’ai énoncé si intelligemment quelques lignes plus haut, un peu de recul et de distance, ajoutez-y quelques châteaux de sable et une énorme dose de soleil, permettent de relativiser nos futiles tracas du quotidien. Quant à moi, Roth or not Roth ? Je reviens très vite, promis !
Michel Bussi – Sang famille – Presses de la Cité – 9782258113091 – 21,90 € | Ebook 9782258113114 – 14,99 €
Paru le 16/05/2018
494 pages
Presses de la Cité
21,90 €
Paru le 08/01/2019
70 pages
Lemaître Editions
9,99 €
Commenter cet article