BIOGRAPHIE —Néron, le tyran. Néron, l’incendiaire, qui fit brûler Rome pour composer un poème. Néron, l’antéchrist. Le moins que nous puissions dire est que l’image du fils d’Agrippine, et fils adoptif de l’empereur Claude, n’est pas très reluisante. Et ça n’est pas le jeu impeccable de Peter Ustinov dans le péplum Quo Vadis, tiré du livre éponyme écrit par Henryk Sienkiewicz, qui arrangera les choses. Mais qu’en est-il réellement ?
Catherine Salles — agrégée et docteur d’État, enseignant la langue et la civilisation latine à Paris X — remet, dans cette biographie publiée chez Perrin, Néron à sa place. Celle d’un empereur de son époque, menteur, tueur avec une ligne de vie somme toute assez courte.
La première notion à accepter est que « la vie politique à Rome est brutale, Néron n’a fait que suivre l’exemple de ses prédécesseurs, Caligula, Claude, Tibère et Auguste. » Cela n’excuse en rien ses actes mais cela aide à recontextualiser. Lire dans les pages nécro du quotidien de l’époque que Monsieur N avait tué son frère, pour un petit désaccord lié à un héritage, ne surprenait plus les Romains depuis longtemps. Il s’agit par ailleurs de l’histoire même de la naissance de la citée, alors ma foi …
Il s’agit, ici, de dresser le portrait psychologique de Néron, or comme souvent l’analyse commence par l’enfance du sujet. Et l’on peut dire qu’il y a de quoi faire, son père est d’une rare cruauté, il n’hésite pas à arracher l’œil d’un homme avec lequel il est en querelle ou bien à écraser sciemment un enfant jouant sur le bord de la chaussée. Charmant ! Côté maternel, nous vous renvoyons à la biographie d’Agrippine signée, par l’historienne, spécialiste de l'Antiquité romaine, de l'histoire des femmes et de la sexualité, Virginie Girod et qui avait fait l’objet d’une chronique à sa sortie, chez Tallandier.
En deux mots, néanmoins. Agrippine la Jeune, est un être remarquable à une époque bien difficile, qui plus est quand on est femme. Ne reculant devant rien pour assurer le plus brillant des avenirs à son fils, elle ne sera pas, il est vrai, l’incarnation de la douceur maternelle mais, soyons honnêtes, celle-ci ne lui aurait été d’aucune aide pour accéder au pouvoir.
Cependant nous ne pouvons pas ignorer que Néron manqua indéniablement d’amour parental et que l’exemple qu’il avait sous les yeux risquait effectivement d’avoir des conséquences assez désastreuses, son père aurait dit : « il n’a pu naître d’Agrippine et de moi qu’un être détestable et funeste pour Rome ! »
Pour autant le jeune homme aura une éducation soignée et se montrera tout particulièrement intéressé par les arts : théâtre, chant, musique, architecture, etc. Il sera entouré de précepteurs qui sauront pallier tant que possible le manque affectif. En définitive il a eu une enfance comme l’ont la plupart des enfants de l’aristocratie romaine.
De cabales en champignons, Agrippine va réussir à hisser son tendre fils au sommet et le 13 octobre 54, après une indigestion fatale au pauvre Claude, il est proclamé empereur et « dans l’ensemble de l’Empire, l’avènement de Néron est salué positivement. »
Tant que celui-ci sera « secondé » par Sénèque et Burrus – nous ne sommes pas loin d’un triumvirat – sa politique sera relativement satisfaisante. Sa mère a été gentiment écartée des affaires et Néron se plaît à être clément avec son peuple. Il sépare la sphère privée de la sphère politique, souhaite rendre au Sénat ses anciennes prérogatives et diminue les impôts.
Qu’a-t-il bien pu se passer pour que Néron le clément devienne Néron le tyran ? Un mot, un seul : le pouvoir ! « Peu à peu, le jeune empereur découvre que l’exercice de son pouvoir ne connaît en fait aucune limite humaine. »
Chaque médaille a son revers et celui du pouvoir, dans le cas de Néron, est la paranoïa. « Dès qu’il soupçonne un complot contre sa personne, l’empereur est saisi de panique et la résolution du problème se trouve bien souvent dans le crime. »
Agrippine n’est pas femme à se laisser mettre de côté, elle va évidemment essayer de reprendre sa place aux côtés de son fils. Mais dans l’entourage de ce dernier, on ne l’entend pas ainsi. Il ne sera pas difficile de convaincre Néron que sa mère essaie de fomenter un coup d’État contre lui. Qui plus est, elle s’est rapprochée d’Octavia, l’infortunée femme de l’Empereur que celui-ci n’aime pas.
Néron panique, Néron fait tuer et Néron est bien content, dans la foulée de pouvoir se remarier avec Poppée, une femme de caractère qui n’est pas s’en rappeler Agrippine et qui, selon Tacite, « avait absolument tout pour elle, sauf une âme honnête. » (Attention néanmoins à Tacite qui ne portait pas vraiment Néron dans son cœur)
Les assassinats d’Agrippine et d’Octavia seront extrêmement cruels. La mise en scène imaginée pour tuer sa mère semble tout droit sortie d’un film et le supplice infligé à sa pauvre femme fait grincer des dents rien qu’a sa lecture.
Une fois Poppée épousée, celle-ci aura sur lui une emprise telle que même Sénèque n’arrivera plus à se faire entendre. Les années fastes du règne sont bel et bien terminées.
Qu’en est-il de l’incendie qui ravagea Rome pendant une semaine et qui commença dans la nuit du 18 au 19 juillet 64 ? La légende veut que Néron ait mis le feu à Rome pour bâtir une nouvelle ville, Neapolis. Mais cela reste une légende et tout sanguinaire qu’il soit, Néron n’y est pour rien.
Il est depuis quelques jours à Antium, dès qu’il est au courant de la situation il retourne à Rome, il doit y être dès le 20 juillet. « L’Empereur se montre aussitôt comme l’homme de la situation. Il circule seul, sans escorte, dans les rues de la ville pour mieux évaluer l’étendue du désastre » puis décide des mesures à prendre : édification de baraquements provisoires pour loger les victimes ; il ouvre ses propriétés du Vatican dans le même but ; fait venir des vivres ; baisse le prix du blé ; envoie des esclaves déblayer les rues ; etc.
Dès lors pourquoi cette rumeur ? Et de nouveau, rien de surprenant, celle-ci émane d’aristocrates opposés à Néron. Seul Tacite (un comble !) se montre « plus circonspect ». Mais la rumeur est lancée, elle gronde, l’Empereur prend peur et quand Néron à peur… Il lui faut des coupables, les chrétiens feront l’affaire. À noter que c’est la première fois dans l’Empire romain que l’« on fait une distinction entre les Juifs et les chrétiens. »
Le coup de bluff fonctionne, on réclame un châtiment, il sera terrible. Pour ce genre de crime ce sont les fauves qui sont chargés de la mise à mort. Cette fois-ci, Néron transformera cela en spectacle. Quelques voix le déploreront mais dans l’ensemble les Romains sont satisfaits que justice soit rendue.
L’heure est à la reconstruction. Neapolis va pouvoir voir le jour mais Néron va commettre une grave erreur : faire construire, sur les ruines encore fumantes de Rome, un palais tout en démesure. Son manque d’humilité ne passera pas.
Il ne vivra que peu de temps dans celui-ci, « en 66-68, au moment où les travaux ne sont pas entièrement achevés, l’empereur fait sa tournée en Grèce. Lorsqu’il revient, il n’a plus que deux mois à vivre. » Devenu incroyablement impopulaire, Néron est seul, son armée s’est soulevée, il ne lui reste plus que la fuite pour essayer de se sauver. Hélas il est repéré, courageux mais pas téméraire il aura besoin d’aide pour mettre fin à ses jours :
Qualis artifex pereo ! (Quel grand artiste périt avec moi !)
Catherine Salles nous propose une riche biographie fort bien documentée, avec toute la réserve que nous devons avoir face à des sources cependant assez maigres et rarement, pour les sources écrites, objectives. Il ne s’agit pas ici de réhabiliter Néron mais de mieux comprendre ses comportements au regard des événements qui ont émaillé sa vie. Les choses sont souvent bien plus compliquées qu’elles n’y paraissent.
Catherine Salles - Néron - Perrin - 9782262068240 - 23 €
Paru le 06/06/2019
283 pages
Librairie Académique Perrin
23,00 €
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