ESSAI – Jean Ziegler, un homme rare ! Cet intellectuel, sociologue, homme politique altermondialiste de renommée mondiale, est-il vraiment si dérangeant ? Lui qui a rencontré le Che Guevara à l’âge de 35 ans au tout début de sa carrière n’a jamais démenti son franc-parler et ses prises de position parfois fulgurantes, ou tout bonnement sans concessions.
Le 17/03/2020 à 16:18 par Jean-Luc Favre
Publié le :
17/03/2020 à 16:18
L’auteur de L’empire de la honte et de La haine de l’occident a toujours mis en garde contre les dérives d’un capitalisme sauvage et outrancier, taclant régulièrement les organisations financières internationales au point de se faire un nombre considérable d’ennemis dans les sphères dirigeantes occidentales.
Respect tout de même, pour ce propagateur d’idées nouvelles au sens noble du terme, et qui continue avec courage d’interpeller les masses sur le caractère intangible des inhumanités comme en témoigne son dernier ouvrage intitulé, Lesbos, la honte de l’Europe avec en ligne de mire la situation des migrants en Grèce tout particulièrement. Un ouvrage qui tombe à pic en pleine pandémie planétaire dixit le coronavirus et qui interroge désormais sur la situation sanitaire de certains camps d’internement, en dénonçant significativement l’hypocrisie européenne en la matière.
En avril 2015, un accord conclu entre la Commission européenne et le gouvernement grec a donné naissance sur les cinq îles de la mer Égée les plus proches de l’Asie Mineure, Lesbos, Kos, Leros, Samos et Chios, aux » hots spots » autrement dénommés « ponts chauds » ; point d’accueil de milliers de réfugiés venus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, mais aussi du Pakistan, de l’Afrique subsaharienne et d’ailleurs, fuyant la guerre, la torture, de régimes dictatoriaux impitoyables et sans vergogne.
Destination pour ces milliers d’âmes perdues et bafouées dans leur condition d’être au monde : L’Europe ! Pointée d’abord du doigt une organisation qui s’apparente à une nébuleuse administrative jugée partiale, l’EAOSL, European Asylum Support Office. Bureau européen d’appui en matière d’asile, fondée en 2011 et dont le siège est situé à Malte. C’est cette organisation qui procède aux premiers examens des demandes d’asile. Elle exclut et renvoie ceux qui selon elle, n’ont aucune chance d’obtenir l’asile en transférant les plus chanceux au Lesbos Committee Asylum, une autorité grecque dont les modes de financement singulièrement opaques, là encore, interpellent.
Jean Ziegler sait d’ailleurs de quoi il parle puisqu’il s’est rendu lui-même en mission en mai 2019 sur l’île de Lesbos afin de se rendre personnellement compte de la situation.
Aujourd’hui ce sont environ plus de 35 000 personnes qui s’entassent depuis de nombreux mois, voire depuis trois ou quatre ans, dans d’anciennes casernes pouvant accueillir 3000 migrants au maximum. Le camp de Moria avec environ 22 000 réfugiés, est aujourd’hui le plus grand camp d’Europe et le symbole manifeste de l’échec de cette soi-disant solidarité entre pays européens.
En clair chacun paie ce qu’il veut, à sa guise selon des circonstances aléatoires cela va de soi, pourvu de refouler les moribonds hors de leurs frontières, dans des conditions humaines scandaleuses en termes sanitaires, insalubrité, malnutrition, maladies, etc. Des chiffres effarants : Une toilette pour cent personnes (toilettes souvent bouchées et puantes), une douche pour cent cinquante personnes, absence de soins médicaux avec un seul médecin militaire.
Sans compter les cas fréquents d’automutilation chez les enfants et les adolescents, et des suicides en progression constante. « Jamais, je n’ai été confronté à des habitations aussi sordides, à des familles aussi désespérées, que dans les oliveraies de Moria », affirme l’auteur. De quoi vomir en effet !
Frontex, une organisation paramilitaire qui sème la panique dans les eaux territoriales ! Pourvue de bateaux de guerre, et des gardes-côtes grecs et turcs qui interceptent violemment les Zodiacs en perdition et les embarcations fragiles en pleine mer en les forçant à aborder en Turquie avec pour objectif d’empêcher les migrants d’atteindre l’Europe et demander le droit d’asile en vertu des réglementations internationales, à l’exception de huit pays de l’Europe de l’Est qui refusent de jouer le jeu, alors que lesdits pays perçoivent 80% d’aides financières européennes.
Une véritable et sordide moquerie ! Or les dépenses investies dans la technologie des frontières s’élèvent de leur côté à 15 milliards d’euros, avec des murs érigés aux abords des frontières dotés de mitrailleuses auto-déclenchables à l’être humain qui s’en approche à moins de 300 mètres avec un avertissement émis en trois langues à plusieurs reprises et qui « lui ordonne de faire demi-tour, s’il continue d’avancer, il est abattu par la mitrailleuse qui se déclenche automatiquement ».
On croit cauchemarder ! Les dépenses pour la sécurisation des frontières atteindraient en 2022, environ 29 milliards d’euros, qui profiteront aux marchands d’armes. Jean Ziegler en conclut alors en ces termes, « Ce qui nous sépare des persécutés syriens, afghans, irakiens, ce n’est que le hasard de la naissance. Ce sont des gens comme vous et moi », à condition de reconnaître au sein de l’espèce humaine le principe d’égalité et de solidarité. Et ce n’est malheureusement pas le cas pour le moment !
Témoignage exclusif pour ActuaLitté, de Falmarès, « réfugié poétique », en France, âgé de 18 ans nommé tout récemment Ambassadeur de la Paix (Cercle Universel des Ambassadeurs de la Paix, Genève/France).
« En 2016, quelques mois après le décès de ma maman, plusieurs événements se succédèrent. J’étais alors contraint de quitter la Guinée. Pour me réfugier en Algérie en passant par le désert du Mali, subissant de nombreuses bastonnades inhumaines. Arrivé en Algérie pour trouver un abri que je ne savais pas comment trouver.
Au bout de la rue. C’est alors qu’un chef de chantier est venu me demander si je cherchais du travail, je lui ai répondu par l’affirmative. Je suis monté à bord de son véhicule. Arrivé au chantier il a dit que je pouvais dormir avec les autres et travailler dans la journée. Après six mois de travail dans ce chantier, il a dit qu’il avait tout organisé, qu’il avait des contacts sûrs qui pourront m’embarquer pour l’Italie sans problème.
À la frontière, il y avait un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants. Nous avons été arrêtés plusieurs fois. Nous étions dans des pick-up entassés comme des sardines dans des boites de conserve.
En Libye, des bastonnades sans aucune forme de procès parfois, d’autres conduisaient à la mort quelque temps après des tortures affreuses. Bref, le pire se répétait de jour en jour. Moi je suis resté trois mois bien sonné sans aucune nouvelle de mon chef de chantier.
Un soir à 22H déjà passé, on nous réveilla. En nous disant “Tambour”, c’était le mot de passe pour désigner le départ. Avec, au final, peu de perspectives. Soit tu atteins l’Europe, soit tu meurs en mer méditerranée. Seul le ciel décidera de notre sort.
C’est à minuit qu’on nous a embarqués, 180 personnes dans un Zodiac de sept mètres (hommes, femmes, enfants) et deux femmes enceintes. Après deux jours dans la mer méditerranée, nous avons été secourus par un bateau italien qui nous a ramenés à Catane, en tout quatre jours de mer.
À Catane, on nous a orientés un peu partout en Italie et moi j’ai été orienté à Bolzano dans une ville au nord de l’Italie. De là j’ai fait plusieurs mois. Et c’est là que j’ai commencé à écrire, avant de venir en France à Nantes où j’ai été évacué et pris en charge.
D’abord l’association m’a envoyé dans une famille. Après trois mois à Nantes, le juge m’a de nouveau orienté pour poursuivre mon insertion dans le Morbihan où je suis depuis deux ans désormais. Et où j’ai écrit mes deux recueils de poésie (Éditions les Mandarines). »
Jean Ziegler — Lesbos, La honte de l’Europe — Seuil — 9782021451993 – 14 €
Paru le 09/01/2020
131 pages
Seuil
14,00 €
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