Ça commence par un emballement familial, pour se conclure par un grand déballage de famille : l’histoire de 1144 livres est celle d’un enfant, né sous X et recueilli très jeune par un couple, qui tient un commerce dans un petit village. Et quelques dizaines d’années plus tard, devenu bibliothécaire, le courrier d’un notaire va bousculer cette vie, si bien classée — façon Dewey… Presque un fait divers, cette histoire.
D’un « je » impersonnel — jamais il n’aura de nom ni de prénom — nous voici emportés dans une histoire des plus intimes, suffocantes tant ses tenants et aboutissants se ramifient à l’infini. Notre narrateur avait mis de côté cette autre femme, mère biologique, de même qu’il n’accordait plus grande importance à autre chose que sa propre famille.
Rien ne vaut une vie bien ordonnée quand manquent les racines. Et quoi de plus rassurant que les livres ? Ainsi, l’orphelin devint bibliothécaire, n’ayant pas le goût du mystère pour être éditeur, celui du commerce pour être libraire, ou la créativité de l’auteur. Bibliothécaire, c’est bien.
Il travaille ainsi, conscient d’avoir face à lui, possiblement « ceux qui n’ont pas idée du trésor que sont les livres ». Calme, luxe, volupté, et surtout, aucune effusion : une vie saine et paisible, qu’un courrier de notaire va retourner. Un fantôme surgit, une mère, et avec elle, un héritage, une bibliothèque — l’ironie est presque à son comble ! Elle compte 1144 livres, pas même une formule ésotérique pour allécher le lecteur (encore que... 88 x 13… ?).
Des centaines de livres, qui ont accompagné la vie de cette femme qui le mit au monde avant de l’abandonner : « J’avais beau me répéter qu’une bibiothèque n’offre pas de portrait de son propriétaire, qu’il est vain de penser qu’elle puisse être le chemin qui mène au lecteur, je ne parvenais pas à me résigner qu’elle ne parle pas davantage que des sucriers vides, l’argenterie noircie, les serviettes de toilette et les vases à ne plus savoir qu’en faire des pauvres humains. »
La messe n’est pas dite : le premier mouvement sera celui de rejeter, de refuser l’héritage, avant de se résigner à passer une nuit, dans une chambre d’hôtel, avec les 38 cartons (1144/38 : 30,105…). Presque une nuit d’adultère, aménagée comme telle, pour trois nuits complètes prépayées par le notaire.
Les livres, saintes horreurs : « Sans eux, nous nous serions davantage promenés, nous aurions davantage discuté de tout avec tous », immanquablement. Alors que faire de ce trésor ?
« C’était sa bibliothèque. Elle ne me donnait ni son nom ni son visage, ni d’explications, elle me donnait une bibliothèque sans redevenir ma mère, car d’une mère j’étais pourvu. Elle n’était que livre, elle ne serait que livres », et vogue…
Au-delà du conflit intérieur bouillonnant et de cette torture que provoque l’apparition de profundis – et mêmes des Enfers d’une mémoire qui ne fut jamais – l’écriture délicieuse embarque le lecteur. C’est un voyage de plus en livre, confort idéal et langue audacieuse autant que svelte et légère. Un récit qui ouvre la rentrée de janvier avec grâce et bonheur.
Voici bien plus qu’un éloge à la littérature ou la lecture. C’est une raison de lire.
Jean Berthier — 1144 livres — Éditions Robert Laffont — 9782221203217 – 12 €/ebook 5,99 €
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Editeur : Robert Laffont
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ISBN : 9782221203217
1144 livres
de Jean Berthier