La France aime les sociétés savantes, les institutions, les académies, surtout lorsqu’elles s’attachent à la chose littéraire. On se plaît à commenter leur actualité, à moquer ses membres, à ironiser sur le décorum dont elles se parent. On leur consacre des livres. On en écrit l’histoire. Aussi ne manque-t-on pas de littérature sur les Académies Française et Goncourt, probablement les plus prestigieuses, les plus durablement ancrées dans notre imaginaire collectif, les plus médiatiquement présentes. On connaît moins, sans doute, pour ne pas dire qu’on l’ignorait totalement, l’Académie Mallarmé.
Le 02/05/2016 à 00:02 par Mikaël Lugan
Publié le :
02/05/2016 à 00:02
Pourtant, elle ne date pas d’hier, puisqu’elle fut créée en 1937. Pourtant, elle vit toujours. Il est vrai que née dans le siècle du roman triomphant, à l’aube d’un conflit mondial qui devait malmener ses membres et interrompre son action, cette académie de poètes, tout entière dédiée à la poésie, luttait à armes inégales avec la Goncourt, plus ancienne, mieux dotée, et vouée intégralement à la cause romanesque. Il était donc temps, alors qu’on fêtera l’an prochain les 80 ans de cette déjà vieille dame, qu’un audacieux écrive et nous donne à lire l’histoire mouvementée, chaotique même souvent, de l’attachante Académie Mallarmé.
Cet audacieux, c’est Bernard Fournier. Poète, président de l’Association des Amis de Jacques Audiberti et secrétaire général adjoint de l’Académie Mallarmé, tout le désignait pour en devenir l’historien. Défi relevé : après des années de recherche et de collecte d’informations qu’il lui a fallu dénicher dans des fonds d’archives publics ou privés ou dans la presse de l’époque, les éditions du Petit Pavé viennent de publier son Histoire de l’Académie Mallarmé (1913-1993) forte de 414 pages (2016, 28 €).
C’est à un bien charmant voyage temporel en terres poétiques, dans les marges de la grande histoire littéraire, auquel nous convie Bernard Fournier. Car tout est affaire de mémoire. Tout commence en effet en 1898 à la mort de Mallarmé qui laisse orpheline toute la génération symboliste. C’était le dernier maître : Verlaine était mort deux ans plus tôt, Rimbaud, que les jeunes poètes ne purent qu’admirer à distance, en 1891, Villiers de l’Isle-Adam en 1889. Ce fut aussi le plus influent. La plupart des protagonistes qui animèrent et imposèrent à la fin du siècle le Symbolisme s’étaient régulièrement retrouvés les mardis, rue de Rome, autour de l’auteur d’Hérodiade pour entendre, au milieu d’un brouillard de fumées de cigarettes et de bouffardes, son enseignement qui n’avait rien de magistral mais qui prenait, fort éloigné de la syntaxe mystérieuse de ses vers, le ton de la plus aimable conversation. Mallarmé avait su fédérer toute une jeunesse et créer, comme le rappelle Paul Valéry dans une lettre à Henri de Régnier, une sorte de « Loge intellectuelle ».
Fréquenter le salon de la rue de Rome revenait à recevoir une initiation. Personne ne songea alors à noter les paroles du maître, à rédiger les procès-verbaux des séances. Verba volant… La mort de Mallarmé menaçait ainsi de disséminer son enseignement dans les souvenirs de chacun des disciples, et, à la longue, de le faire disparaître. Très rapidement, l’idée vient à quelques-uns de perpétuer sa mémoire : c’est d’abord un projet de statue, qui n’aboutira pas, puis, moins coûteuse, l’apposition d’une plaque, le 9 juin 1912, rue de Rome, qui réunit quelques fidèles, et, l’année suivante, sur une idée d’Édouard Dujardin, qu’on retrouvera bientôt, la constitution toute officieuse des « Poètes des Mardis de Mallarmé », dont le but est d’organiser des lectures d’œuvres du maître et de mardistes. Ces manifestations, aussi anecdotiques soient-elles, témoignent de la vivacité du culte mallarméen et de la nécessité pour ceux qui l’ont connu de se retrouver autour de sa mémoire.
En 1923, est fondée une « Société Mallarmé ». Dujardin, auteur aujourd’hui oublié – comme la plupart des symbolistes – mais qui fut l’un des plus farouches défenseurs de Wagner en France et l’inventeur, avec Les lauriers sont coupés, du monologue intérieur, est à l’initiative. Son ambition : réunir les mardistes et mener des pèlerinages annuels à Valvins. Rien de bien héroïque. La Société organisera la cérémonie d’inauguration du médaillon, qu’elle aura permis de financer, sur la maison de Mallarmé à Valvins, et fera frapper une médaille à l’effigie du maître, réalisée par le sculpteur Raoul Lamourdedieu. Ce sont là ses seuls titres de gloire. C’est peu, mais il y a là les prémices de ce que sera la future Académie.
1936. Le cinquantenaire du Symbolisme connaît un beau succès. La presse a assuré une importante couverture médiatique de l’événement et de ses manifestations. Le nom de Mallarmé n’est plus, depuis quelques années déjà, méprisé par la critique littéraire officielle. Il n’en faut pas plus à cet organisateur né d’Édouard Dujardin pour relancer son idée de 1923. D’autant que les dissensions d’hier, entre Paul Valéry et Edmond Bonniot d’une part et entre Francis Vielé-Griffin et Henri de Régnier d’autre part, qui étaient autant de freins à la bonne conduite de l’entreprise, n’ont plus cours, Bonniot et de Régnier étant respectivement morts en 1930 et 1936.
Oubliée la défunte « Société Mallarmé », place désormais à l’Académie ! « Mais il faut qu’une Académie se manifeste par des œuvres effectives. Il ne suffit pas de déjeuner ensemble et de palabrer », écrit Dujardin à Vielé-Griffin le 4 août 1936, tirant les leçons de l’expérience passée. Son projet : créer « une maison de retraite pour les vieux poètes besogneux (et éventuellement pour les jeunes) » dans sa propriété du Val-Changis, près de Fontainebleau, dont il espère, philanthrope intéressé, le rachat par le Conseil Général de Seine-et-Marne. L’idée de décerner un prix est évoquée mais ne semble pas encore essentielle. Elle sera pourtant – pendant longtemps – sa seule raison d’être.
L’Académie Mallarmé naît officiellement le 19 février 1937, autour d’une table chez Drouant, le restaurant où se réunissent aussi les Goncourt. Les membres fondateurs présents sont Édouard Dujardin, Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, André-Ferdinand Hérold, André Fontainas, Jean Ajalbert, Paul Fort et Saint-Pol-Roux. Se sont excusés Maurice Maeterlinck et Albert Mockel. Tous ont connu Mallarmé à défaut d’avoir fréquenté – comme Saint-Pol-Roux qui l’avouera plus tard à Guy Lavaud – les mardis. Ils ne sont que dix, quand les statuts prévoient quinze membres. Il faut dire que Gide, Claudel et Jammes ont refusé d’en être, les deux premiers après avoir d’abord donné leur accord. On élit, lors du déjeuner fondateur, le bureau : Vielé-Griffin, le beau poète de La chevauchée d’Yeldis, est président, le premier de l’Académie.
On envisage de créer un bulletin qui s’intitulerait Le Souvenir de Mallarmé où chaque mardiste pourrait « fixer les souvenirs personnels » qu’ils conservent de lui. On regrette, a posteriori, que cette publication n’ait pas vu le jour. De nombreux quotidiens rendent compte le lendemain ou les jours qui suivent de la naissance de l’Académie Mallarmé. Elle est accueillie plutôt favorablement par l’ensemble des chroniqueurs qui vont continuer de suivre ses balbutiements et ses premiers pas ; car il faut procéder rapidement à des élections pour combler les défections. Lors de l’assemblée générale du 28 avril 1937 qui a lieu dans le bureau de la Bibliothèque Nationale que Jean Zay a mis à disposition de l’Académie, trois nouveaux membres sont élus : Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud et Charles Vildrac. Voilà, avec ces deux derniers noms, que l’Académie s’ouvre à des poètes qui n’ont pas connu Mallarmé. Le 20 octobre, elle est au complet après l’élection de Gérard d’Houville, nom de plume de Marie de Régnier, et Jean Cocteau.
On aura remarqué le souci d’éclectisme qui préside alors à la constitution de l’Académie Mallarmé qui accueille en son sein, trois belges (Maeterlinck, Mockel, Fontainas), une femme (Gérard d’Houville), et des poètes émancipés du Symbolisme (Vildrac, Larbaud, Cocteau). Malheureusement, Vielé-Griffin meurt trois semaines plus tard. Il faut remettre ça : le 12 mars 1938, Saint-Pol-Roux est élu président et Henry Charpentier, exécuteur testamentaire de Mallarmé, devient membre. Le premier prix Mallarmé peut enfin être décerné. La veuve de Francis Vielé-Griffin l’a doté de 5000 francs. Les noms évoqués sont Audiberti, Eluard, Reverdy, Michaux, Céline Arnauld, André Druelle, Jacques Dyssord, Henri Hertz. Les académiciens se réunissent le 2 juin 1938. Au deuxième tour de scrutin, Jacques Audiberti l’emporte pour son recueil Race des hommes.
À la fin de l’année, la revue L’Âge Nouveau de Marcello-Fabri, en partenariat avec l’Académie, remet un deuxième prix que se partagent André Dez et Roger Lannes. En 1939, le prix revient à Patrice de La Tour du Pin, qui le refuse. Les académiciens honorent alors trois poètes : Henri Hertz, Jean Follain et André Bellivier. Malgré la guerre, puis l’occupation, malgré les décès d’André-Ferdinand Hérold et de Saint-Pol-Roux, l’Académie continue de décerner son prix : à Paul Bulliard en 1940, à Yanette Delétang-Tardif et André Druelle en 1942, à Paul Lorenz en 1943 et à Pierre Reverdy, qui le refuse, en 1944. Après la mort de Saint-Pol-Roux, Édouard Dujardin devient président, Henri Mondor et Félix Fénéon sont élus aux sièges vacants.
Cette régularité dans la distribution des prix cache mal les difficultés auxquelles l’Académie fait face depuis sa création. Ses membres dispersés géographiquement se réunissent peu ; on se retrouve surtout entre Parisiens ; l’Académie Mallarmé n’est par ailleurs à l’initiative d’aucune manifestation en dehors de son prix annuel, et ne parvient donc pas à exister vraiment. Puis, pendant l’occupation, le nouveau président, Édouard Dujardin, germanophile historique et convaincu, n’hésite pas à se compromettre avec l’ennemi : une fête lui est donnée pour ses 80 ans à l’Institut allemand, par son directeur Karl Epting ; le collaborateur Abel Bonnard y prononce un discours. Jean Ajalbert, de son côté, donne également dans la collaboration intellectuelle. C’est toute l’Académie Mallarmé qui s’en trouve entachée.
À la libération, plusieurs de ses membres devront se désolidariser de leur président : Henry Charpentier, André Fontainas, Henri Mondor, Paul Valéry, Charles Vildrac, puis Léon-Paul Fargue, Jean Cocteau et Gérard d’Houville. Cette dernière, une fois Dujardin écarté, devient présidente. Bien que l’Académie, dans les années qui suivent, continue de mener une existence administrative, remplaçant ses membres qui disparaissent progressivement, elle n’a plus réellement de vie publique, ne décernant même plus son prix. Après 1944, l’Académie Mallarmé moribonde entre en hibernation.
Il faudra attendre 1976 pour qu’elle se réveille et s’anime de nouveau, grâce à l’impulsion donnée par Michel Manoll et Geneviève Mallarmé. Tous les « historiques » étaient décédés. Après bien des péripéties, Eugène Guillevic est élu président d’une Académie Mallarmé nouvelle forte d’une trentaine de membres. Elle essuie, comme son aînée, quelques refus, ceux d’Aragon et de René Char notamment, mais nombre de poètes contemporains, français et issus du monde francophone, répondent présents. Yves Rocher, l’industriel bien connu, dote le prix Mallarmé de 10000 francs, une belle somme ; on décide de publier des « sélections trimestrielles » afin de signaler au public les recueils nouveaux qui méritent d’être lus.
Le premier nouveau prix Mallarmé est attribué, en 1976, à Andrée Chédid. Le choix était judicieux. L’Académie honorera, en quarante ans, bien des poètes importants. Citons seulement : Jacques Izoard, Michel Deguy, Henri Meschonnic, Guy Coffette, André Velter, Jacques Chessex, Franck Venaille, Mohammed Dib, Michel Butor, Jean Ristat, Hubert Haddad, etc.
Telle est, retracée à grands traits, l’épopée de cette Académie Mallarmé. Bernard Fournier a fait œuvre utile. Il a su – et on lui pardonnera aisément çà et là quelques coquilles ou erreurs dans les notices nombreuses qu’il consacre aux académiciens historiques – faire revivre une époque et des poètes malheureusement oubliés aujourd’hui, rendre les détails d’une histoire qui n’est pas seulement celle d’une institution, mais qui est aussi l’histoire de l’héritage mallarméen, en partie confondu avec l’histoire de la poésie du XXe siècle.
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