J'ai publié cette semaine un billet sur OWNI intitulé La part d'ombre de Google Livres, que je poste ici à des fins d'archivage, comme je le fais de toutes les chroniques hebdomadaires que j'écrispour OWNI depuis le début de l'année. Mais depuis mercredi, la discussion a eu le temps de s'épanouir, sur Twitter ou dans les commentaires de ce billet sur OWNI, et de nouveaux éléments sont apparus.
Le 18/06/2012 à 14:02 par Clément Solym
Publié le :
18/06/2012 à 14:02
Publié originellement sur S.I.Lex
Initialement dans mon billet, j'ai essayé de réfléchir aux implications de l'accord conclu entre Google et le SNE sur le dispositif de la loi sur l'exploitation des livres indisponibles du XXème, votée en mars dernier.
J'avais essayé d'envisager 3 scénarios :
Mais les commentaires et discussions m'ont montré qu'on pouvait envisager d'autres hypothèses encore plus machiavéliques encore, qu'il me paraît important de faire figurer ici.
Tout d'abord, mes discussions avec @BlankTextField, fin observateur de cette affaire Google, m'ont permis de voir que mon troisième scénario était trop alambiqué et qu'il y a une manière encore plus simple de tordre le dispositif de la loi sur les indisponibles.
Il suffit bien pour les éditeurs de commencer par s'arranger pour que les livres numérisés par Google soient inscrits dans la base de données, pour déclencher le délai de 6 mois d'opt-out. A l'issue de ces 6 mois, la société de gestion collective reçoit l'exercice des droits d'exploitation numérique sur les ouvrages, si aucun auteur ne s'est manifesté pour sortir du système. Ensuite, cette même société est tenue de rechercher et de proposer à l'éditeur d'exploiter son ouvrage (mais pas l'auteur, bien sûr !). L'éditeur peut alors récupérer un droit exclusif d'exploitation à charge pour lui d'exploiter effectivement l'oeuvre dans les deux ans. L'intérêt pour lui, c'est qu'à ce moment, il est difficile pour l'auteur de s'opposer à cette exploitation, comme je l'avais montré ici. En effet, pour ce faire, il doit apporter lui même la preuve qu'il est seul titulaire des droits numériques, ce qui est très complexe.
Et c'est là que Machiavel pointe le bout de son nez, car on peut tout à fait imaginer que l'éditeur, nanti par la magie de ce dispositif indisponible des droits d'exploitation numérique en bonne et due forme, peut alors se tourner vers Google pour “partager” avec lui cette exclusivité, c'est-à-dire l'autoriser à exploiter le fichier et en récupérer une copie pour le faire lui-même Cette manoeuvre machiavélique sera d'autant plus redoutable si l'oeuvre en question est orpheline, car l'auteur par définition ne pourra pas se manifester. Et Google pourra quand même récupérer via l'éditeur un droit d'exploitation, ce qui lui est impossible à l'heure actuelle de l'autre côté de l'Atlantique à cause de l'éhec en justice de son règlement Google Books…
Fascinant ! Tellement tordu, mais tellement efficace !
D'autres que moi, en commentaire du billet sur OWNI, se sont livrés à de petits exercices de science-fiction machiavélique, en combinant tout ceci avec les effets juridiques de l'impression à la demande.
Voyez plutôt :
Commentaire de @TheSFReader :
Machiavélique, certes… moi non plus je n'ose y penser… Seul Méphisto pourrait imaginer le scénario suivant:
Les éditeurs s'assurent que les livres indisponibles soient saisis dans la BD. Ils deviennent prioritaires pour l'exploitation numérique de l'oeuvre.
Exploitation effectuée la main dans la main avec Google, et par laquelle ils obtiennent sans grands frais des exemplaires numérisés.Ces exemplaires servant alors à créer les fichiers pour l'impression à la demande, qui à leur tour servent comme preuve légale de l'exploitation commerciale suivie de l'oeuvre (et oui, indisponible et exploitation suivie ne sont pas opposées il me semble d'un point de vue légal. Je me trompe ?)
Bref, par ce tour de passe passe, les éditeurs récupèrent d'un même coup les droits numériques et la prolongation ad vitam eternam du contrat d'édition papier…
Commentaire de @TheSFReader :
Tiens, encore une conséquence supplémentaire, en tirant le raisonnement plus loin : l'éditeur est prioritaire sur l'auteur pour gérer les oeuvres indisponibles.
Le seul moyen de l'auteur de se dégager est “s'il apporte la preuve qu'il est le seul titulaire des droits [numériques]“.
Va prouver que tu n'as pas donné les droits à un autre…
En continuant le contrat papier, (par du POD si nécessaire), l'éditeur peut s'opposer à tout retrait demandé par l'auteur de la base des indisponibles … et donc conserver les droits numériques aussi longtemps … ad-vitam-eternam on disait. + 70 ans bien entendu.
On en est à combien de bandes sur ce billard ? 4 ? 5 ?
Commentaire de Nicolas Ancion :
Encore un peu plus élaboré. Le problème, pour les éditeurs, dans vos propositions machiavéliques, c'est qu'ils ne peuvent appliquer cette stratégie qu'aux oeuvres indisponibles. Or , ce qui est rentable l'est encore plus pour les titres qui vendent bien. On ne va pas les rendre indisponibles pour les numériser à l'oeil, tout de même ? Mais si ! Il suffit pour cela de rendre indisponible l'édition primaire (en grand format) tout en poursuivant l'exploitation du format poche. Le livre est donc indisponible techniquement (puisque le contrat ne parle jamais que de disponibilité de l'édition primaire) mais toujours commercialisé pour l'éditeur… Il suffit que cela dure moins de six mois pour que l'auteur ne puisse avoir le temps, légalement, de récupérer ses droits. Argh !
Commentaire de @TheSFReader
Bien que ça me chagrine, je dois en fait dire qu'en relisant l'article 134-1 il m'est venu un doute sur votre interprétation : “On entend par livre indisponible au sens du présent chapitre un livre publié en France avant le 1er janvier 2001 qui ne fait plus l'objet d'une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas actuellement l'objet d'une publication sous une forme imprimée ou numérique.”
“Sous une forme imprimée ou numérique” : une édition poche rendrait le livre disponible, donc non éligible.
Mais poussons le vice un peu plus loin : qui vérifie effectivement, et selon quelles méthodes, la disponibilité des oeuvres ? En cas d'entrée incorrecte d'une oeuvre disponible dans la base donnant lieu à exploitation numérique, comment sera démêlé l'écheveau ?
Supposons donc notre éditeur malhonnête (nous sommes dans l'hypothétique bien entendu) ne prenant même pas la peine d'arrêter la diffusion du livre papier. Que risquera t'il à faire inscrire le livre dans la base ? Au bout de 6 mois, n'ayant pas lui même objecté à l'inscription du livre, il revient à votre scénario précédent, sans avoir perdu 6 mois de recettes.
Je suppose qu'un juge verra sans soucis (si ce n'est les cheveux perdu par l'auteur dans la bataille) à travers ce genre de stratagèmes, qui pour le coup demande une participation “active” de l'éditeur, mais en attendant il resterait parfaitement légal, même malhonnête.
Commentaire de Franck Macrez :
L'idée c'est qu'on raisonne sur le “livre”. L'édition grand format est épuisée, c'est un “livre” indisponible, même s'il sort en poche. Ce sera à la BNF de juger ce qu'elle inscrit dans la base. Je doute qu'elle aille jusqu'à accepter ce type de dérive, mais c'est que je reste malgré tout d'un naturel optimiste. D'ailleurs quelle légitimité a-t-elle pour juger de quoi que ce soit ?
Alors ? Ca fait peur, non ?
Machiavel au pays de Beaumarchais, quelle combinaison redoutable !
A lire, pour aprofondir
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