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V.A. : Il faut protéger les auteurs et là est le rôle de l'éditeur.
P.G. @ A.G. : Tu ne veux de moi que ce que je veux.
A.G. : L'éditeur a besoin d'être près de son auteur, notamment entre deux livres, dans les moments de difficultés et lors des moments de questionnement. Il y a au-delà des personnes un attachement aux maisons. Une maison d'édition est la maison de l'écrivain, celle où il se sent chez lui.
Sabine : Nous avons jusqu'à présent évoqué la relation auteur-éditeur sous l'angle de l'image d'Épinal, du lien humain, mais il existe un angle plus conflictuel, celui du contrat. La question n'est pas neuve : les correspondances entre auteurs et écrivains, au fil du siècle dernier, montraient déjà les invectives adressées aux éditeurs par leurs auteurs...
JMR : Je pars du principe que l'éditeur est un mécène qui doit faire en sorte que son actionnaire ne s'en rende pas compte. À moi de jouer pour cela entre les succès et les échecs. Si l'éditeur ne finance pas les projets d'auteurs qui lui font confiance, sa maison est vouée à l'échec. Et il est tout aussi impossible de faire un fond uniquement avec les succès éphémères qui ne durent qu'une ou deux saisons. Le travail est long, mais ce sont les livres qui ne flambent pas en une ou deux saisons qui feront vivre la maison dans la durée. Je suis quelqu'un de dépensier et je n'ai pas peur de le dire.
©Adrien Aszerman
A.G : L'éditeur est un commerçant — pas un mécène —, mais qui a fait un pacte avec l'esprit, qui joue sur le long terme et aime son métier. L'éditeur peut faire des dons à des associations, bien sûr, pour Haïti et jouer au mécène... mais on reste avant tout éditeur. Tout dépend de l'éditeur : on a aujourd'hui 63 000 nouveautés en France par an, dont 14 000 seulement de cuisine... Le rôle de l'éditeur est d'aller dans des voies nouvelles et d'y pousser ses auteurs. L'éditeur est avant tout un artisan, un défricheur, qui doit avoir le temps pour lui.
V.A : L'auteur devant donner de lui-même pour vendre les livres, je me suis toujours proposé de signer dans des salons des livres en tout genre, y compris ceux qui ne sont pas de moi, comme ceux des auteurs grecs de l'Antiquité. Plaisanterie à part, j'estime important d'avoir un contrat avec mon éditeur et de savoir qu'à telle date je dois livrer tel livre. Cela m'aide à écrire, comme les contraintes de l'Oulipo.
Antoine Gallimard (©Adrien Aszerman)
Sabine : Êtes-vous inquiet pour l'avenir du lien auteur/éditeur mis à mal par les débats autour du numérique ?
A.G : L'éditeur est toujours inquiet, par nature. Donc oui je suis inquiet, mais pas pour le numérique. Je suis inquiet pour les ouvrages qu'on ne trouvera pas ou plus, pour les auteurs pas satisfaits qui partiront chez Jean Marc, des collaborateurs qui peuvent déserter la maison, un prix littéraire que l'on aura pas... Plus sérieusement, à partir du moment où l'on aura convaincu Bruxelles qu'il est nécessaire d'avoir un marché égal et attractif pour le numérique, on sera rassuré.
Un livre vit, a différentes formes de couvertures et d'édition, et le rôle de l'éditeur est de le suivre jusqu'au bout. Mais quand j'entends les gens d'un certain courant qui disent "a-t-on besoin d'un éditeur ou d'un intercesseur ? Ne suffirait-il pas d'avoir un blog et un agent pour que ça fonctionne ?" Cette pensée me semble dangereuse. Pour moi personnellement, pas de problème : je pourrais devenir un petit éditeur et ne publier que Pierre Guyotat. Mais cela me semble quand même dangereux. C'est un désordre de l'esprit qui me semble préoccupant pour le moment.
JMR : Tout pareil. Il a tout dit, il a tout résumé.
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