Pendant quelques jours, les bibliothèques et médiathèques auront été sous les feux médiatiques et au centre du débat public : le rapport d'Erik Orsenna et de l'inspecteur général des affaires culturelles Noël Corbin a été remis au président Emmanuel Macron. Retour sur le tour de France des bibliothèques, le rapport, ce qu'il aborde et ce qu'il n'aborde pas, avec Noël Corbin, coauteur.
Le 23/02/2018 à 09:18 par Antoine Oury
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23/02/2018 à 09:18
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Noël Corbin : Nous n'avons pas fait de relevé des personnes rencontrées, car nous ne sommes pas dans un rapport d'inspection, l'objectif était de faire un état des lieux, de rendre compte de l'état des bibliothèques et de leurs besoins. Nous avons rencontré des directeurs de bibliothèques, des élus, des professionnels, des personnes du secteur associatif... Nous n'avons pas vu de lecteurs, si ce n'est lors de certains passages, pour un échange informel.
Établir un relevé aurait d'ailleurs été beaucoup trop fastidieux : à l'occasion d'un déplacement à Toulouse, par exemple, nous avons rencontré plusieurs dizaines de responsables culturels, car la direction régionale des affaires culturelles, à la manœuvre, avait préparé notre arrivée.
Noël Corbin : Ce rapport n'est pas destiné à une catégorie de personnes, mais à toutes celles et ceux qui vivent dans et pour les bibliothèques, élus, professionnels, champs associatifs et aussi pour les ministères, pas seulement celui de la Culture. Ce rapport n'est pas plus pour les professionnels que pour les élus.
Noël Corbin : Certes, la dotation générale de décentralisation est limitée à une période de 3 à 5 ans, mais c'est parce que les collectivités locales doivent ensuite prendre le relais de l'État, ce ne sont pas des dépenses qui lui reviennent. Rappelons que les bibliothèques municipales font partie des compétences décentralisées depuis toujours et que, depuis 1982, il en est de même pour les bibliothèques départementales.
Les 80 millions de la DGD sont une source importante pour l'investissement et, depuis 2016, pour les dépenses de fonctionnement des établissements, avec les 8 millions supplémentaires de cette année. Ensuite, il y a l'engagement de l'État pour accompagner au mieux les extensions d'horaires. Enfin, ce que l'on observe, c'est qu'une vingtaine de collectivités a fait appel à la DGD en 2016, contre 56 en 2017. En 2018, on pourrait atteindre le cap des 200, selon les directions régionales des affaires culturelles.
Noël Corbin : Pour commencer, je redis ici que rien ne remplace les professionnels, dans le rapport au texte, au livre, mais plus largement à tout ce qui fait vivre une bibliothèque, le catalogage, la définition d'un champ couvert, l'animation... Je sais aussi, car je l'ai vu à Paris, que l'ouverture le dimanche, si elle vient mettre en péril l'articulation entre vie privée et vie professionnelle, c'est très mauvais.
Une ouverture dominicale de 3 ou 4 heures ne nécessite pas forcément un agent permanent toute l'année : avoir recours à des étudiants vacataires est alors possible, en prenant garde de ne pas aller au-delà des 50 % d'étudiants pour 50 % de professionnels. Cela peut permettre la mise en place d'un système où le professionnel ne travaille pas plus d'un dimanche sur 5 ou 6. Pour les étudiants, outre le complément de revenus, cela constitue une très bonne formation. Et pour le professionnel, le contact avec cette classe d'âge n'est pas à négliger non plus.
Noël Corbin : Le dialogue social est vital : si on dit que ça prend entre 6 et 18 mois pour mettre en place une extension des horaires d'ouverture, c'est parce qu'on touche vraiment au rythme de travail des agents, et on ne dira jamais assez notre admiration pour le travail qu'ils fournissent dans les établissements.
Néanmoins, beaucoup de rapports parlent de ces dialogues sociaux : celui de Georges Perrin en 2008, celui de Dominique Arot en 2012 ou encore celui de Sylvie Robert en 2015. Nous avons voulu faire quelque chose qui ne soit pas limité aux horaires, mais porte sur l'évolution des établissements en général, d'un point de vue littéraire et anthropologique. L'objectif du rapport n'était pas d'entrer dans une mise en œuvre, mais d'insister sur le travail de proximité nécessaire, avec les DRAC.
Noël Corbin : Le droit d'accès aux bibliothèques est en effet inaliénable. Nous ne l'avons pas rappelé dans le rapport, car c'est la parole politique qui doit le faire. La ministre de la Culture Françoise Nyssen a souligné, avec énormément de fermeté, combien cela est un droit inaliénable au moment de la remise du rapport au président Macron.
Faire payer l'entrée dans les bibliothèques, c'est la mort des bibliothèques et de la vie dans la cité. Pour le prêt, c'est une autre question : certaines communes le font payer, d'autres non, tout dépend des politiques des collectivités locales.
Noël Corbin, Erik Orsenna, Françoise Nyssen, Emmanuel Macron
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Noël Corbin : Nous appelons dans le rapport à relancer le travail, à poursuivre ce qui a donné lieu aux 12 recommandations. Il est évident que le monde est en train de bouger sur le numérique, et que les bibliothèques doivent s'y adapter : nous avons fait le choix dans ce rapport de ne pas être trop orientant ou catégorique. Ce dossier est interministériel, et il se double d'une concertation au sein de la profession, avec les éditeurs et le Syndicat de la Librairie française. Notre souhait est que la décision de la Cour de Justice soit appliquée, car nous devons nous adapter aux usages dans tous les domaines.
Noël Corbin : Nous avons choisi Erik Orsenna pour sa force de frappe, sa réputation et sa renommée. Si Erik Orsenna n'était pas Erik Orsenna, tout cela n'aurait pas eu lieu. Comme on vous l'a indiqué, tous les déplacements d'Erik Orsenna ont été faits avec des moyens qui n'étaient pas ceux du ministère de la Culture. Au total, le ministère a dû engager moins de 400 € pour Erik Orsenna.
Le circuit du Tour de France a été défini sur la base de nombreux paramètres : les directions régionales des affaires culturelles ont guidé les choix, nous avons ensuite examiné ces derniers avec le ministère de la Culture et Erik a ensuite vu avec son éditeur s'il était pertinent d'organiser des opérations sur place, pour son livre. Je peux vous dire qu'après notre passage à la prison de Fleury-Mérogis, il n'est pas allé signer d'ouvrages à la librairie.
À mon avis, il est difficile de penser que cette mission ait pu aider la promotion du livre d'Erik Orsenna, qui a tenu ce rôle d'ambassadeur de manière bénévole. Nous avons été à chaque instant dans deux temps, celui de la mission d'un côté, celui d'Erik Orsenna écrivain de l'autre.
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koinsky
25/02/2018 à 07:10
Il n'est pas de droits inaliénables en dehors de ceux de l'Homme.
C'est la seule volonté politique de sanctuarisation des bibliothèques qui leur confère ce caractère privilégié d'inaliénabilité. Il n'y a pas d'autre raison qu'elles le soient. Mais, n'est-ce pas justement cette sanctuarisation imposée d'en haut qui les tuent à petit feu : Il suffit de se rendre dans une bibliothèque un samedi après-midi pour constater de visu à quel point ce sont des lieux chiants et moribonds d'où la vie de la cité est systématiquement exclue, des lieux aseptisés, exsangues parce que coupés des réalités du monde. La preuve c'est qu'on doit y faire silence comme dans une église, que tout brille comme dans un couloir d'hôpital ou d'école. Pas de trace de vie mais des traces de naphtaline, pas de paroles, pas d'odeurs mais un silence coupable et des parfums de chiotte, pas d'échanges ou alors sous le manteau, en catimini, comme dans le confessionnal d'une église, des lieux de culte froids, distants et repoussants. Moi j'en ferais des agoras, des lieux de débats agités sur la société, des lieux de révolte contre les injustices, des lieux de création, pas des lieux culturels aseptisés qui font effet de repoussoir... Bref, si vous voulez en faire des lieux de vie attractifs, des lieux de rencontre et de création, laissez-y entrer la vie et arrêtez de vouloir les protéger du vivant. La culture c'est le vivant, pas un musée, pas un espace d'archivage et de conservation. Faites-en des lieux de consummation au sens de ce qui se consume. Les médiathèques sont chiantes parce que leur caractère "sanctuarisé" les a mis sous cloche, placé sous assistance respiratoire. La culture ça s'agite ça se fout pas sous vide... Les écrivains sont des révoltés, pas des bourgeois poudrés, propres sur soi et bien pensants...
Stephanie
25/02/2018 à 11:18
Vos propos pointent un danger réel : celui de bibliothèques poussiéreuses, aux collections vieillottes, au dynamisme absent... Elles existent, certes, mais de moins en moins. Allez voir, à l'inverse, les médiathèques parisiennes, qui fourmillent de dynamisme et d'inventivité, ou la splendide BMI d'Épinal qui ouvre le dimanche après-midi (record d'affluence), bâtit de multiples partenariats (avec l'Université de Lorraine, avec le festival des mondes imaginaires d'Épinal, les Imaginales, organise une « murder party », expose John Howe (oui, celui qui a travaillé sur Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit !), tout en disposant d'une collection d'ouvrages anciens très impressionnante... Sans oublier une équipe disponible. Ah oui, pour finir : la BMI d'Épinal et la Médiathèque départementale des Vosges sont partie prenante du tout nouveau Prix Imaginales des bibliothécaires (Fantasy, fantastique, science-fiction) :
https://www.imaginales.fr/prix-litteraires/prix-imaginales-bibliothecaires/
Vous voyez : dans les médiathèques et bibliothèques des Vosges, on sait ouvrir les portes et les fenêtres !
koinsky
25/02/2018 à 11:50
Ouf, au moins une ! :cheese:
Nan, je rigole, mais avouez qu'il y a globalement quelque chose à renouveler, peut-être que le livre n'est pas sexy, est hermétique, que l'alignement de signes cabalistiques encrés ordonnés les uns au dessus des autres en rangs d'oignons comme des p'tits soldats obéissants est obsolète, indigeste ? Le livre audio va-t-il pallier à cette opacité ? Moi qui écrit et qui ne suis pas lecteur, je sais que l'écriture est vivante à l'intérieur et c'est vers ça qu'il faut tendre à mon avis : amener le lecteur à voir et à jouir du film qu'il se fait lui-même... soyez votre propre metteur en scène, entrez en littérature, ouvrez des livres et jouissez avec ou sans préliminaires ! Et que vivent les médiathèques et bibliothèques des Vosges et d'ailleurs ! :)
Steph
25/02/2018 à 20:47
@koinsky
Pourriez-vous nous donner un indice sur la bibliothèque que vous fréquentez? Chez nous ça grouille de gamins, ça tchatche et ça fouille, ça drague aussi un peu, la poussière, oui on ne la fait plus, elle fait partie des meubles, pas des livres et encore moins du personnel d'accueil. Quant à vos débats échevelés et votre bouillon de culture, encore faudrait-il que les élus les valident: argent, politique... etc etc
koinsky
26/02/2018 à 06:21
Oui on est d'accord c'est un problème éminament politique. Le pouvoir veut quelque chose de calme et d'obéissant. La culture pour lui c'est une sucrerie le dimanche, écharpé sur les quais de scène au bras de sa précieuse. Non Monsieur Orsenna, la culture n'a rien d'un long fleuve tranquille, c'est le sang qui coule dans nos veines, le flot impétueux et irrévérencieux de ce fleuve puissant et incontrôlable qui brasse et fouette nos préjugés et nos vies d'ébauche avec ses lianes électriques qui circulent sous l'eau comme des bolides. Le pouvoir ? Il veut des lieux aseptisés, chloroformés, propres et sans rapport avec nos instincts et nos peurs ancillaires, voilà pourquoi il n'aime pas la culture, celle qui dérange, celle qui provoque, bouscule et interroge nos belles certitudes et viole nos zones de confort. J'aime la façon dont vous parlez de votre médiathèque. J'aime votre esprit indomptable. Ca me rassure sur la capacité de révolte de ses personnels. Ma médiathèque est située dans une ville bourgeoise des Yvelines. Elle est splendide, sans accroc, sans odeurs, sans vie. On y trouve tout, même des caissières en bout de piste. On y voit des bandes de vieillards loqueteux qui s'emmerdent à feuilleter l'Equipe ou le Figaro Magazine en attendant de mourrir, on y trouve une salle de travail studieuse et capitonnée où rêvent de futurs Rimbaud. On s'y emmerde à deux sous mais j'avoue y traîner parfois pour feuilleter la presse ou pour caresser l'espoir de lire un jour "Le bruit et la fureur", "Absalon, Absalon", ou "Pylônes"... bref, de retrouver la compagnie des auteurs coincés entre d'autres auteurs au fond d'une allée lumineuse et sans vie, sauf celle d'une bande d'acariens voraces et tutélaires... bien à vous :)
MIRITA66
26/02/2018 à 09:06
C'est bien beau tout ça, mais si vraiment on regarde de plus prêt on se rendra compte que dans les bibliothèques il y a la plus grande partie du temps un personnel passionné à qui on ne donne pas les moyens (pas de personnel en plus pour combler le manque REEL, budget en chute donc moins d'achat de livres...) Les bénévoles ! on les forme pour apprendre le métier, on leur donne un planning, des horaires... mais ne dirait-on pas qu'il s'agit là d'un vrai travail, sait-on qu'il y a des jeunes (ou moins jeunes) qui ont buché pour apprendre ce métier, et qui ne demandent pas mieux que de pouvoir exercer leur métier au sortir des études, il y a aussi les passionnés mais qui ne sont pas encore à la retraite et qui ont besoin de travailler ; bref cela pour dire que pour moi un bénévole ne doit pas prendre la place d'un salarié. Quant au dimanche, mon avis personnel et qui n'appartient qu'à moi (je ne me permettrais pas de parler au nom des autres) je trouve que ceci n'est pas valable dans toutes les communes ou villes, tout dépend de la population, du nombre d'habitant, de l’intérêt porté par les élus, et puis il faut du personnel, et oui dans une bibliothèque on travaille on n'a pas le temps de lire. Pour moi, personnellement, je ne souhaite pas sacrifier ma vie de famille ou mon couple pour mon travail même si je l'adore... :-/ Bref il y a du bien et du moins bien dans ce projet, mais une fois de plus tout dépend de nos élus et leur rapport à la culture. On ne les voit que très rarement fréquenter les bibliothèques. Souvent lorsque je discute avec d'autres collègues il en ressort une vrai souffrance... le manque de reconnaissance, la non écoute, les difficultés à gérer des publics "difficiles", le manque de personnel, et j'en passe. Voilà. Ceci n'est que mon avis
koinsky
26/02/2018 à 11:33
La culture en France ? Qu'une bande de poudrés du nez qui se gargarise de bons mots en dégustant à notre santé une coupe de cet excellent champagne dont je fais mine d'oublier l'inestimable nom. Si en plus c'est assis sur un magot, voire deux, on est aux anges.
Map
28/02/2018 à 11:47
Je viens de suivre une reconversion pour devenir bibliothécaire et les perspectives d'une amplitude d'ouverture plus importante me paraît incontournable. N'oublions pas que les bibliothèques, comme les musées ou les cinémas, sont des espaces culturels. Nous viendrait-il à l'idée que ces derniers soient fermés le dimanche... Bien sûr, cela doit être étudié en fonction du territoire, de ses équipements et de sa population.
Concernant le personnel, il se doit d'être qualifié ; bibliothécaire, c'est un métier. Du conseil à la valorisation des collections, en passant par l'animation, des connaissances sont indispensables. Si un recrutement est nécessaire, privilégions des jeunes issus des filières du livre ou des personnes ayant eu un parcours de bénévole compatible qui seront dès lors rémunérées pour leur savoir et leurs compétences.
Et n'oublions pas que la bibliothèque, ce sont des livres, de la musique, du cinéma, du numérique et des temps de rencontres associés à la politique culturelle locale ou nationale.
Dominique
29/04/2018 à 09:43
En Belgique, le prêt de livres numériques existe et est gratuit pour les usagers des bibliothèques www.lirtuel.be
Stephanie
29/04/2018 à 12:48
L'idée d'un prêt numérique en bibliothèque n'est, en soi, nullement choquante, car un livre – contrairement à un tableau – n'est pas une œuvre unique, mais un support reproductible à l'infini. Ce n'est donc pas sa forme matérielle qui définit un roman, mais son contenu (même si la forme transforme la lecture... Il y aurait sans doute à dire sur cette question, peu traitée en général). La question du prêt numérique relève donc, en réalité, de la question de la rémunération des auteurs : comment un écrivain reçoit-il la juste rémunération d'un prêt numérique ?
P. S. : J'ai noté avec intérêt que, même sur un site littéraire, on trouve des lecteurs qui croient que les écrivains sont « une bande de poudrés du nez [...] dégustant à notre santé une coupe de cet excellent champagne »... Il faut vraiment ne fréquenter assidûment qu'une poignée d'auteurs parisiens à la mode (ce que l'allusion aux Deux Magots laisse deviner) ou la rubrique des faits divers pour confondre le tout (la masse des écrivains paupérisés) et la partie (les fêtards des nuits littéraires... si elles existent). En réalité, 99
koinsky
29/04/2018 à 18:02
@Stéphanie
Je n'évoquais pas les écrivains, bien sûr, mais certains hauts fonctionnaires du Ministère de la Culture adeptes de l'entre-soi et des petits fours...