Au détour d’échanges sur Instagram, Camilla Patruno, propriétaire de la librairie Maipiu (Tonnerre, dans l’Yonne), décide d’inviter Colombe Schneck à une dédicace. Son dernier roman, Nuits d’été à Brooklyn (Stock), sortait le 26 février. Et comme d’autres, a subi le confinement et les restrictions liées à la fermeture des librairies. Finalement, la rencontre aura bien lieu, ce 13 juin, après quelques ajustements.
Le 11/06/2020 à 12:54 par Nicolas Gary
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11/06/2020 à 12:54
Durant ces mois passés à la maison, Colombe Schneck décide de s’emparer d’Instagram « pour raconter les coulisses du livre ». Un réseau qu’elle fréquentait depuis quelques années sans trop y prêter attention et qui deviendra un compagnon de route. « Je ne sais pas comment c’est venu, mais l’idée de pouvoir répondre à des questions imaginaires, de donner aux lecteurs une vision différente… Et puis, il fallait trouver des solutions, alors que les rencontres n’étaient plus possibles », nous explique-t-elle.
Une forme de paratexte, ou d'exégèse, qui aura multiplié les témoignages et les éléments de contexte historique autour du livre.
C’est là toute la magie des réseaux : Camilla Patruno suit Colombe Schneck depuis un moment, et un post, particulièrement inspirant, la convainc. « J’ai pris mon courage à deux mains, oubliant la bienséance et les règles, pour lui écrire. Et lui demander de venir à Tonnerre. Elle a répondu immédiatement, avec une gentillesse exquise », nous indique la librairie.
Mais la Covid contraint à la fermeture de l’établissement. « Je m’attendais à tout annuler ou décaler de plusieurs mois. C’est tout le contraire. » L’autrice confirme sa venue, mais toute la logistique intervient : la SNCF aura-t-elle repris un rythme normal, les hôtels seront-ils ouverts ? « Nous avons avancé, toutes deux, au jour le jour. »
Or, le plus délicat devient d’obtenir les livres : commande passée par Dilicom le 18 mai — pour une rencontre en librairie le 13 juin, à 11 h 30. Quatre semaines plus tard, c’est l’angoisse : « D’excuses en silences, impossible d’avoir des informations concrètes. » La maison d’édition, Stock, finit par intervenir en direct, pour garantir la présence des livres au jour dit. Soulagement.
Ce premier rendez-vous, après le confinement, représente beaucoup pour l’établissement — et plus encore avec une auteure de la notoriété de Colombe Schneck. « Oui, le prix du livre est le même, partout, mais la rencontre avec une auteure, l’animation culturelle, la découverte, les échanges, cela n’existe ni chez Amazon ni dans les grandes surfaces. »
La confiance et la solidarité de la romancière, deux aspects « importants et significatifs », estime la libraire. « Maipiu peut redevenir, malgré ces temps difficiles et incertains, le lieu de discussion, le lieu vital, qu’il incarnait avant, pas seulement un point de vente. D’autres auteurs vont suivre en juillet, je vis avec une boule au ventre parce que ma librairie est en sérieuses difficultés, mais on va se battre ! »
Pour Colombe Schneck, l'état d'esprit est identique. Ces moments privilégiés, où les lecteurs s’emparent du livre, « c’est une relation qui me manque : on passe trois ans à écrire, et là, le livre ne vous appartient plus. Pour moi c’est extrêmement important : je partage ce qu’ils ont découvert, leur lecture. Le travail réalisé ne nous appartient plus ». Et au sortir du confinement, reprendre ce contact devenait essentiel, « vital pour eux, comme pour nous, auteurs ».
Nuits d’été à Brooklyn a un écho tout particulier : cette enquête se déroule en 1991 aux États-Unis, suite à un voyage que la romancière avait effectué. Il est question des relations entre noirs et juifs, et plus spécifiquement de la situation encore catastrophique vécue par les premiers à cette période.
« Personnellement, j’ai beaucoup regretté la fermeture des librairies : ce lien entretenu avec ces lieux du livre — et je le dis vraiment en tant que lectrice —, chacun a pu se rendre compte de son importance », reprend Colombe Schneck. « Alors, reprendre les tournées, les rencontres, les dédicaces, c’était essentiel, pour leur apporter mon soutien. »
Et parce que dans toute librairie, il y a un lecteur, « j’aime cet échange qui se crée ».
Avec la mort de Georges Floyd, le roman apporte un regard plus pertinent sur la société américaine. « La réalité se résume simplement : des morts, des assassinats de noirs, c’est au quotidien que cela survient. » La police, un voisin inquiet, se trouver au mauvais moment dans le mauvais quartier…
1991 est une date symbolique : le 3 mars, Rodney King est poursuivi pour excès de vitesse par la police de Los Angeles. Arrêté, il sera passé à tabac. Un an plus tard, au terme d’un procès expédié, la police sera acquittée, entraînant des émeutes alors inconnues dans la Cité des Anges. Mais à la différence d’autres drames similaires, toute la scène fut filmée, durant près de 10 minutes.
« À l’époque, on se dit qu’avec les caméras, tout cela n’arrivera plus. En fait, rien n’a évolué », déplore l’auteure.
Arrivée aux États-Unis un an avant les manifestations, elle reconnait avoir une vision encore innocente de la situation des Afro-américains. « Martin Luther King était mort à peine 25 ans plus tôt, mais j’ignorais bien des choses. »
Il faudra une rencontre — un noir, travaillant comme cadre dans une maison d’édition, toujours en costume — pour que la jeune journaliste mesure l’étendue du désastre social. « À notre premier rendez-vous, il arrive en retard. Je m’en agace un peu. Mais il m’explique qu’il ne peut pas courir : un noir, même en costume, qui court dans la rue, c’est louche, cela intrigue et devient suspect. Venue de France, j’ai entretenu l’image d’une police qui protège les citoyens. Lui me détrompe : ici, il baisse la tête, il est souriant, il faut des efforts pour ne pas attirer l’attention et ne pas susciter la peur. »
La peur, chez les policiers en premier lieu, mais également pour les passants, les femmes… « Il me racontait que, seul dans une rue, si une femme marchait devant lui, il préférait changer de trottoir, par prudence. » Des réflexes qui s’instaurent, pour modeler une existence. « Et pourtant, il avait tous les aspects de l’homme pleinement intégré dans une société, avec un métier intellectuel. »
De cette rencontre viendra, indirectement l’histoire de Frederik, professeur de littérature, spécialiste de Flaubert, et de sa maîtresse Esther. Lui est noir, elle est juive. Et si un monde les sépare, « ils se retrouvent dans cet amour qui nait entre eux. Dans l’intimité, toutes les différences s’estompent, mais en sortant de leur chambre, la société les rattrape. »
Roman d’amour et de haine, il est avant tout celui « d’une rencontre de deux êtres réunis autour d’une peur commune. Celle qui va cimenter leur histoire d’amour, par-delà les difficultés sociétales qu’ils rencontrent », reprend Colombe Schneck. « L’histoire américaine, pour les noirs, ce sont l’esclavage, les lynchages, la ségrégation. Et après huit années de présidence Obama — il y avait un article en 2016 dans le New York Times qui le racontait très bien —, dans les faits, rien n’a changé. »
photo : Colombe Schneck © Francesca Mantovani
Paru le 26/02/2020
304 pages
Stock
20,00 €
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