« Longtemps, je fus directeur de collection de bonne humeur », dirait-on en mâchouillant une madeleine, avec tasse de thé. Parmi les annonces les plus ubuesques du ministre de la Culture, suite au rapport Racine, la situation des directeurs de collection laisse sans voix. Surtout que la Cour de cassation vient de publier un arrêt des plus limpides, en lien avec le sujet.
“Oui, je suis dircoll : le ministre a dit que je risquais rien à cette place !” - pixabay licence
La Cour de cassation n’a pas pris le train en marche : sollicitée pour définir la relation contractuelle entre un chauffeur Uber et la société du même nom, elle a décidé de flasher la firme en flagrant délit d’excès de vitesse.
Un conducteur, inscrit au registre des métiers comme travailleur indépendant, est-il lié par un lien de subordination avec Uber, demandait-on ? Selon l’analyse formulée, la chose ne fait aucun doute, et plutôt deux fois qu’une.
Le miracle de la Cour (et non la Cour des Miracles) repose d’ailleurs sur la méthodologie inédite appliquée autour du chauffeur Uber : bosser pour une plateforme ne fait pas de lui un indépendant, parce que ce dernier constitue une clientèle, fixe ses tarifs et définit l’exécution de sa prestation. Or, s’il n’est pas indépendant, il est bien salarié de la plateforme.
En effet, la Cour pointe que le lien de subordination repose sur le fait qu’un employeur donne des instructions, et sanctionne si elles ne sont pas respectées. Pour les directeurs de collection, le modèle est identique et le faisceau d’indices, comme disent les juges, en matière de subordination, est considérable :
Et on en passe, et on en oublie.
Alors, que s’est-il passé avec les directeurs de collection, et les directrices ? Souvenirs, souvenirs : en mars 2019, lors de Livre Paris, la rue de Valois avait demandé que ce statut soit repensé. Depuis juillet 2017, l’Agessa avait en effet considéré que rémunérer les dircolls en droit d’auteur n’était plus tenable – du fait d’abus reconnus par le SNE même. Emploi déguisé, arrivait-on à faire dire, du bout des livres et des lèvres.
Il faut ensuite revenir sur les propos du ministre de la Culture, lors de la présentation des mesures découlant du rapport Racine. Et tout d’abord insister sur un point : les directeurs de collection étaient exclus du champ d’examen du rapport. Le fait que Franck Riester évoque leur cas ne révèle qu’une chose : le Syndicat national de l’édition était discrètement passé par là.
Dans son discours, Franck Riester avait, magnanime, revendiqué « un geste important qui démontre les choix volontaristes du Gouvernement en faveur des artistes auteurs ». Lequel ? Celui d’étendre le champ des activités principales, à travers un décret, en intégrant la direction de collection.
Or, non seulement le ministre n’a jamais déclaré officiellement qu’il s’engageait à élargir ce périmètre, mais plus encore, il avait invité les éditeurs à faire des propositions, « dans l’esprit du droit de la sécurité sociale et pour respecter les principes historiques du droit d’auteur ».
Et leur demandait alors « une définition claire, argumentée et raisonnable des situations qui devraient nécessairement être admises comme des directeurs de collection ». Difficile d’y voir là un engagement pris à autoriser le paiement en droits d’auteur ce 18 février 2020. Surtout quand le Conseil d’État a rendu une décision contraire, fin octobre 2019.
Rappelons que, dans le principe, les maisons d’édition ayant recours à des dircolls bénéficient de l’allégement de cotisations sociales, propre au régime des artistes auteurs. Ce qui devient amusant, c’est qu’au hasard des calendriers, la Cour de cassation avait été saisie, quelques jours auparavant d’un cas de redressement social (ou URSSAF), concernant les Éditions de L’Olivier — lauréate du prix Goncourt de l’année. Elle indiquait alors que les directeurs de collection, s’ils ne sont pas “auteurs”, ne peuvent pas percevoir de rémunération en droits d’auteur.
Quelques jours plus tard, le Conseil d’État abondait en ce sens. Et la demande du SNE se trouvait alors rejetée. « Un récent arrêt du Conseil d’État a jugé que les directeurs de collection étaient hors du champ du régime, sauf si leur activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection qu’ils dirigent », notait d'ailleurs le rapport Racine sur la question.
Dans l’intervalle entre la décision des Sages et le discours du ministre, le syndicat a communiqué trois solutions pour sortir de l’impasse, que l’arrivée d’un décret permettra d’écarter définitivement, et en toute quiétude.
Reste que la rémunération d'un directeur de collection en droits d'auteur était condamnée à tomber. Fraude à la loi évidente. A défaut de contrat de travail (lourd pour une maison d'édition), quelle autre solution ?
— Antoine Kwasi Maubreuil (@lavoixduregard) January 30, 2020
Le problème demeure pourtant, et l’affaire Uber est bien là pour nous le démontrer. En requalifiant le statut du chauffeur en travailleur salarié, le risque pour les maisons d’édition s’engouffrant dans la voie, qu’ouvrir le décret reste réel. Et dangereux. Le risque de redressement social, s’il est avéré qu’un lien de subordination existe entre la maison et le dircoll, conduisant inéluctablement à ce que l’on requalifie en salaire ses revenus. Et le décret n’y changera rien.
Et si le législateur et le juge se sont déjà affrontés sur la question, le second l’a emporté. En effet, la loi Mobilités avait tenté d’introduire une solution pour empêcher la requalification judiciaire – mais le Conseil d’État, toujours lui, censurait alors le principe dans une décision du 20 décembre 2019. L’article 44 s’en retournait alors, penaud, à ses études et à pied (voir ici, n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019).
Que le directeur de collection soit le chauffeur Uber de l’édition ne faisait déjà pas trop de doutes. Et l’on comprend, en regard des cotisations économisées par un potentiel employeur, que le lobbying du SNE se soit méthodiquement appliqué.
Sauf que là encore, le juge n’apprécie pas vraiment l’ingérence : la jurisprudence de la Cour de cass’ indique depuis le 19 décembre 2000 que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».
Et plus encore, le 13 novembre 1996, la même juridiction qualifiait précisément le lien de subordination comme découlant de :
l’éxecution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail (voir ici)
Selon les éléments indiqués par le ministère de la Culture, le projet concernera strictement les auteurs agissant comme directeurs de collection. Et d’après les données chiffrées, cela ne toucherait que 250 à 300 personnes — le SNE évoquait pour sa part 800 à 900 dircolls.
Le décret promis par le locataire de Valois a tout du miroir aux alouettes, et plus encore, ne fait qu’apposer un pansement sur une jambe de bois. Parce qu’un salarié grimé en auteur ne résistera pas bien longtemps à l’examen de l’Agessa — avec des conséquences et des sanctions économiques qui n’auront rien d’une belle histoire.
Dossier - De l'auteur à la création : le rapport Racine, une nouvelle politique publique
3 Commentaires
Mise en trope
06/03/2020 à 08:13
Nicolas Gary, je ne le fais pas pour vous harceler, ce que vous dites est fort intéressant, mais apprenez à écrire! Quand vous écrivez:
"bosser pour une plateforme ne fait pas de lui un indépendant, parce que ce dernier constitue une clientèle, fixe ses tarifs et définit l’exécution de sa prestation"
la virgule avant "parce que" DIT EXACTEMENT LE CONTRAIRE de ce que vous écrivez. Déplacez la proposition au début de la phrase et vous comprendrez. Ce serait la cause du fait qu'il n'est pas indépendant. Alors que sans virgule cela signifie que c'est insuffisant, et c'est bien cela que vous voulez dire, non?
Laetibou
07/03/2020 à 10:37
Parce ce qu’un indépendant choisit sa clientèle, fixe ses tarifs et définit l’exécution de sa prestation, travailler pour une plateforme n’est pas compatible avec ce statut ...
Jujube
06/03/2020 à 18:40
Je constate un phénomène récurrent dans un pourcentage élevé des commentaires qui font suite aux articles: la mise en relief (parfois agressive) "d'erreurs"- possibles, réelles ou non - et qui s'attache plus à la forme (orthographe, syntaxe, etc.) qu'au fond (valeur informative, originalité, exclusivité, honnêteté, etc.) du texte.
Souvent, ce genre de commentaires est repris, en chaîne ou en boucle, par d'autres commentateurs et, à la longue, le thème du texte original mystérieusement disparaît sous l'avalanche des projectiles.
On en vient à se demander à quoi et qui on a affaire. Est-ce un synode de censeurs? Une brigade de profs adeptes de la correction impérieuse? Un club chercheur de la petite bête ou détecteur de poux dans la tignasse des autres? Une poignée de chalands bagarreurs?
La négativité, ma foi, c'est lassant.
Heureusement qu'apparaissent aussi des remerciements aux professionnels.Pour leur travail bien fait, leur style stimulant, leurs bonnes nouvelles. Leur message quotidien est généreux, fruit de l'effort, de l'imagination. Il ouvre des portes sur la connaissance, l'actualité. Merci à tous.