Faire de la culture une arme de tourisme massif, voici la mission confiée à Olivier Poivre d’Arvor par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères. Nommé ambassadeur de l’attractivité culturelle, le voici parti pour un circuit de 46 destinations, jusqu’au mois de juillet. Le Grand Tour ne pouvait pas manquer Angoulême, alors que le festival de la BD battait son plein.
Le 01/02/2016 à 10:39 par Nicolas Gary
Publié le :
01/02/2016 à 10:39
Xavier Bonnefont, maire d’Angoulême, Franck Bondoux, directeur du FIBD, Olivier Poivre d’Arvor et Jean-François Dauré, président du Grand Angoulême
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La mission de OPdA s’articule autour du soft power, notion très en vogue de Joseph Nye, désignant un ensemble de ressources intellectuelles, culturelles et patrimoniales, en mesure de faire resplendir un pays, un territoire, etc. « C’est une attractivité qui, au niveau national, explique que 87 millions de touristes viennent en France chaque année », précise OPdA. Premier rang mondial, à mettre en relation avec la 3e place sur l’accueil des étudiants étrangers – 300.000 en tout.
Or, l’attractivité peut s’exprimer en terme d’image, mais surtout de « PIB, d’emploi, c’est une réalité économique » et plus encore dans le monde de la culture, parfois obligé de rappeler qu’il compte plus d’employés que celui de l’automobile. Commerce extérieur et tourisme seront donc des moteurs dans le développement de l’attractivité.
Angoulême et son Festival inaugurent le Grand Tour
La moitié des touristes viennent en France pour des raisons culturelles – gastronomie, art de vivre, paysages au côté des monuments. Mais peu semblent s’intéresser aux festivals, « qui devraient être classés au patrimoine immatériel de l’humanité », assure l’ambassadeur. Pour ce faire, le MAE a édité un passeport réunissant un agenda de manifestations, « pour valoriser l’attractivité de la France ».
L’intention serait donc qu’un public étranger soit sensibilisé. Xavier Bonnefont abonde : le Festival et les autres événements culturels « représentent toute une économie implantée à Angoulême ». Certes la BD, mais aussi l’image, et des écoles et formations qui se sont développées au fil du temps. « Le Festival de la BD s’est construit dans le temps, avec l’arrivée de sponsors privés dans les années 90, alors qu’il n’était financé qu’avec l’argent public, depuis sa création. »
Les pouvoirs publics ont un rôle d’accompagnement pour pousser les initiatives « toujours portées par des personnes », insiste le maire. Le président de Région vise pour sa part « l’intérêt général [à travers] des coopérations ». Le FIBD a généré une dynamique sociale, financière, « aujourd’hui pleinement reconnue » : l’apport de la manifestation pour le territoire est « désormais incontestable ».
Cependant, la Région doit « faire perdurer et développer », parce que les villes profitent amplement, avec des ramifications. « Un leader mondial du jeu vidéo, un Japonais, est venu à Angoulême, et grâce au Festival, nous sommes peut-être en train de conclure des partenariats intéressants, pour la ville et l’agglomération. »
« Nous sommes d’abord les militants d’une cause », affirme Franck Bondoux. Or, les arbitrages budgétaires qui s’opèrent induisent des diminutions de financement pour les festivals, qui doivent trouver de nouvelles ressources. La puissance publique peut être sollicitée, par le biais d’autres modèles que la subvention. Pour exemple, pourquoi ne pas créer un quartier international, en regard de la fidélité de visiteurs taiwanais ou chinois ?
L’équilibre vient alors d’ajustements entre financements publics et sponsors privés. Or, si la communication est en berne dans les budgets de groupes privés, le sport reste encore l’outil que les annonceurs chérissent le plus. La culture vient ensuite, mais musique et cinéma seraient prioritaires, estime-t-il. « Pour faire venir une entreprise, il faut véritablement être un festival premium. Et ensuite, il faut déployer un savoir-faire, une expertise et une énergie véritables. » D’autant que les partenariats sont cycliques, et toujours à affiner.
Xavier Bonnefont, maire d’Angoulême, Franck Bondoux, directeur du FIBD, Olivier Poivre d’Arvor
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
L’une des pistes, dans le développement du soft power, serait cette Fête du vin, organisée à Bordeaux, et que l’on retrouve maintenant au Canada, à Singapour, en Chine. Pourquoi pas un Festival d’Angoulême... au Japon ? « Vous enlevez le Festival de Cannes, et l’image de la France, troisième pays exportateur de films au monde, se casse la figure », note OPdA. « Vous enlevez Angoulême, il n’y a plus de BD. Il y a une dimension industrielle qui est capitale. Et je pense qu’un jour, vous pourrez présenter ces deux objets à l’UNESCO, pour le patrimoine immatériel de l’humanité. »
Alors bien entendu, exporter ces savoir-faire est crucial. Certes, la période est critique, avec le transfert des responsabilités aux Régions, mais les propositions qui émaneront du Grand Tour seront très concrètes. L’avantage est que des exemples prééxistent, comme La folle journée de Nantes, centrée sur la musique classique, conçue par René Martin. Un artiste japonais, Yumiko Yamamoto, à force de revenir, conquis, a décidé de l’exporter à Tokyo. Un principe de franchise qui rapporte de l’argent à la structure originelle, mais sert également à l’image même de la ville.
« Les gens sur place ne traduisent pas La folle journée en japonais, ils le disent en français. [...] maintenant, comment créer une marque Angoulême, peut-être au Japon », avance alors OPdA. Reste à définir comment accompagner ce mouvement, « avec un deal de départ qui est que cela ne vous coûtera rien, vous les élus, ça vous rapportera en image [...]. En deux trois ans, on peut créer cet objet-là, Angoulême en Chine, au Japon, aux États-Unis : où vous voulez. Vous nous dites, et nous, on vous aide ».
Un cadeau de Noël, à bien des égards, pour la municipalité
« Argent et culture, ce ne sont pas des choses simples, et là aussi, il va falloir que mentalement, on accepte un certain nombre de choses et que l’on se remette en question », intervient Franck Bondoux. Or, insiste OPdA, le grand financeur de la culture, en France, ce n’est pas l’État : « Avec 90 milliards d’euros de dépenses culturelles, c’est le contribuable, c’est le public. »
Qu’Angoulême exporte la marque de son festival intéresse beaucoup le maire : l’idée d’une marque territoriale commercialisable fait son chemin depuis quelque temps. « La marque sur laquelle nous devons capitaliser, c’est la BD et tout ce qui s’est agrégé autour, qui existe – la filière image, les écoles – parce qu’il y a eu le Festival voilà 43 ans. » Et toute occasion de valoriser le territoire est bonne à prendre.
Xavier Bonnefont partira ainsi à Chicago, à la rencontre de studios de production de jeux vidéo, aux États-Unis, pour chercher des pistes de collaboration avec Magelis – le pôle image d’Angoulême. Jean-Pierre Raffarin, spécialiste de la Chine tente dans le même ordre d’idée, de monter une délégation de maires (Paris, Lyon, Toulouse), pour « une table ronde à Pékin, autour de l’activité culturelle et image ». Là encore, cela servirait à Angoulême, si la ville est présente aux côtés de grandes villes.
Un exercice de prospective territoriale a été lancé voilà un an avec la métropole bordelaise, reliant les offices de tourisme d’Angoulême et Bordeaux. Un produit test tournant autour des châteaux et de la BD a été mis en place. « Si sur le site de l’office du tourisme de Bordeaux, on parle de BD, le coup est gagné : ce sont des gens qui sont susceptibles de s’intéresser à la filière et tout ce qui s’est créé ici. Et peut-être, viendront un jour pousser les portes du festival. » Moralité ? Tout est bon à utiliser et à prendre – et les élus ont leur part de responsabilité.
Le Louvre à Abou Dabi, Gariel Jorby, CC BY ND 2.0
« Il y a une marque Festival qui est une marque mondiale [...] qui n’est pas forcément la marque Festival d’Angoulême, il y a la Cité de l’image avec laquelle on doit pouvoir faire des choses... », note Franck Bondoux. Et d’encourager le territoire à se sentir fier de ce qu’il possède, déplorant certainement les polémiques que suscite le FIBD et les critiques qu’il subit. « Ce Festival marche », martèle-t-il, oubliant au passage que les attaques découlent souvent de ses propres initiatives... et dispose d'une « expertise unique, en France et en Europe », rappelle tout de même le directeur du FIBD.
Franchiser le FIBD sur le modèle du Louvre à Abou Dabi
L’écosystème articulé autour du Festival n’est pas assez connu à l’international, souligne cependant Jean-François Dauré. Comble : le I de FIBD se veut International. « Je rencontre des délégations étrangères qui le découvrent, connaissent l’événementiel FIBD, mais les entreprises de l’image sont méconnues. » Certes, le Festival a 43 ans, et ces sociétés sont apparues plus tardivement, mais l’élu est à la recherche de coopérations, justement pour travailler à l’enrichissement. Si toutes les initiatives sont bonnes, la coordination des acteurs et des actions est primordiale.
OPdA abonde : l’exemple chinois est intéressant pour le développement de la langue française. « C’est le pays qui actuellement apprend le plus le français au monde », chose qui implique évidemment des enjeux économiques d’envergure.
Mais avant de viser de pareilles perspectives, les nouvelles Régions devront veiller à ce que les plus puissants pôles ne captent pas toute la valeur, en absorbant les points forts. Ainsi, l’exemple de la ligne TGV entre Bordeaux et Angoulême : menace ou non pour le Festival de la ville ? Là encore, Jean-François Dauré relativise : la métropole représente en soi une stratégie économique, et n’a pas forcément des objectifs propres.
Toulouse ou Bordeaux « ont la faculté d’absorber tout ce qui les intéresse, c’est la définition même d’une métropole ». Menace ou opportunité : tout dépendra des stratégies d’aménagement du territoire, et « de ce que l’on fera de la loi NOTRe [Nouvelle Organisation Territoriale de la République, Ndr] ». Complémentarité, plutôt qu’hyperconcurrence entre les régions, « ce sera beaucoup plus intelligent [...] cela permettra à tout le monde de vivre ».
OPdA met alors en garde contre les dérives politiques et les écueils administratifs : chacun doit savoir saisir des opportunités d’envergure. « Quand Henri Loyrette, le patron du Louvre a dit – et il a eu tout le monde contre lui ce jour-là – on va créer un Louvre à Abou Dabi, on lui a expliqué qu’il était en train de monnayer la culture... que c’était vendre aux pays du Golfe les trésors de la France éternelle. Or, sans le Louvre Abou Dabi, le Louvre, avec la baisse de fréquentation, n’arriverait pas à boucler ses comptes. »
La création d’une franchise par le Louvre... et donc l’idée d’un FIBD franchisé ? « Je pense que là vous avez un objet, pas uniquement la bande dessinée, il faut quand même le cerner : l’industrie derrière l’art, que vous pouvez franchiser. » Et le Grand Tour est en mesure d’accompagner cela, dans une perspective de développement pour le commerce extérieur.
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