La problématique du règlement Google Books posée, il est facile de comprendre combien l'accord proposé par le géant américain pouvait contrarier le Syndicat national de l'édition. La raison pour laquelle le secteur souhaitait malgré tout mettre en place un système de numérisation plus large des oeuvres sous droit était déjà dans les esprits, depuis l'initiative Gallica 2, et la commercialisation directe au travers de la bibliothèque numérique. Voyons cela plus en détail...
Le 10/05/2013 à 10:16 par Nicolas Gary
Publié le :
10/05/2013 à 10:16
Dans une réunion de travail datée du 25 septembre 2009, la commission numérique du SNE commence en effet à poser les enjeux d'une numérisation plus importante, surtout en regard de ce que la Commission européenne est en train de structurer. Lancé en septembre 2008, le projet ARROW fait parler de lui : Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works towards Europeana est un projet global.
ARROW sur le baudet
Projet européen, il « regroupe des bibliothèques nationales et universitaires, des éditeurs, des e-distributeurs, des organismes de gestion de droits, et des organisations européennes et internationales ». Avec le soutien financier de la Commission européenne dans le cadre du programme eContentplus, il devait s'achever en février 2011.
Mais allons un peu plus loin :
L'objectif du Projet ARROW est de permettre à tout utilisateur, via une interface développée au niveau européen, de vérifier si une œuvre est disponible, épuisée ou orpheline, et d'obtenir des informations sur les détenteurs de droits. En s'appuyant sur un réseau fédéré de bases de données, il permettra d'établir le statut juridique des œuvres textuelles, d'identifier les détenteurs de droits, et de mettre en place un Registre distribué des oeuvres orphelines. Ce dispositif devrait aider tous ceux qui souhaitent numériser une oeuvre dans le strict respect des droits sur la propriété intellectuelle.
Le Projet devra également démontrer la faisabilité d'intégrer des collections sous droits dans Europeana.
Donc, tout comme Gallica 2 s'est mis à vendre des oeuvres sous droit, Europeana, la bibliothèque numérique européenne, allait se voir dotée d'un outil similaire. (source)
Le retour des oeuvres épuisées
À la Commission numérique, on a cependant une approche assez différente : à cette époque, Denis Zwirn menait une « mission de suivi du projet Arrow, en lien avec les autres partenaires impliqués ». Or, le SNE considère ARROW comme un outil forgé par « la Commission européenne pour créer un registre d'identification des œuvres orphelines et épuisées afin de ne pas laisser à Google la maîtrise de ces œuvres ». Le tout conduit par l'Association des éditeurs italiens, regroupe seize membres dans dix pays européens : bibliothèques, associations d'éditeurs, etc.
« En France, le projet compte deux membres actifs qui sont la BnF et Numilog, ainsi que deux membres associés : le SNE et le CFC. Comment identifier les œuvres, où les trouver, sur quelles bases de données les rechercher, etc. sont quelques-unes des questions abordées par les groupes de travail européens. »
Au cours de cette même réunion, la Commission fait le point sur la question de la numérisation, et des aides du CNL. À l'époque, même si Jean-François Colosimo avait été nommé pour prendre la présidence du Centre, Nicolas George en assurait l'intérim, et ce, jusqu'au mois de janvier 2010. La question de la numérisation, et de la subvention octroyée, comme nous l'avons déjà montré, est intrinsèquement liée au projet de vente d'oeuvres sous droit dans Gallica 2.
Enveloppes et timbres
Sauf qu'à plusieurs reprises, le SNE a pointé que l'enveloppe accordée pour cette numérisation aux éditeurs, d'un montant de 8 millions €, n'avait en réalité engagé que très peu d'argent - près de 500.000 € - pour les éditeurs. Pas assez du tout, avec pour horizon de voir l'enveloppe fondre comme neige au soleil. En d'octobre 2008, la Commission numérique du SNE estimait que l'expérience de numérisation et commercialisation, au travers de Gallica 2, apportait un aspect positif pour la chaîne du livre. Cependant, « elle risque de ne pas être rentable et les éditeurs doivent donc limiter leurs pertes potentielles ». Pour ce faire, on recommande d'augmenter le cofinancement « jusqu'à 75 % ou 100 % par ouvrage retenu ». Et pour sauvegarder la subvention, jaillissait une miraculeuse idée.
Si ce choix est fait, il pourrait ouvrir une opportunité unique de réorienter le programme d'aide Gallica 2 du CNL vers la numérisation de masse et à coût technique direct minimum des œuvres sous droit épuisées, dans les catégories éditoriales ciblées par la charte documentaire de la BnF.
C'est dans ce contexte que la Commission numérique explique, dans son rapport de juillet 2009 :
La prochaine réunion de la commission Politique numérique est programmée le 27 octobre, la deadline pour l'envoi des dossiers étant le 5 octobre. Nous n'avons pas encore de visibilité sur 2010 et la poursuite ou non des aides. C'est pourquoi nous avons adressé un courrier à Nicolas Georges pour lui faire part de nos préoccupations quant à la pérennisation des subventions et aux plafonds de subvention inadaptés pour le XML, ne permettant pas un travail avec la qualité requise.
Le XML, c'est précisément le format EPUB, par lequel les oeuvres numérisées seraient ensuite commercialisées. Et, in extenso, de la fameuse subvention que le SNE souhaitait ne pas voir disparaître...
L'IABD rapporteur d'affaires
Petit point, notable : « Une réunion devrait avoir lieu avec l'IABD (bibliothèques) qui a pris une position très dure sur le règlement Google et s'est prononcé pour la numérisation du patrimoine via le grand emprunt. » Avait-on consicence à l'IABD que de cette solution viendrait alors le mode de financement de ReLIRE ? Voilà en tout cas le programme proposé :
- Utiliser l'emprunt national pour libérer les droits sur les œuvres orphelines et épuisées
Une partie du montant de cet emprunt pourrait être utilisée pour offrir aux auteurs et éditeurs français une juste compensation en contrepartie de la libération des droits sur l'intégralité des œuvres orphelines et épuisées françaises.
Cette solution lèverait définitivement l'obstacle juridique à la numérisation de cette partie majeure du patrimoine national (c'est-à-dire l'essentiel de la production éditoriale du 20ème siècle) qui ne fait plus à l'heure actuelle l'objet d'une exploitation commerciale, sans pour autant pouvoir bénéficier d'une diffusion au public.
Et un peu plus loin :
- Financer la numérisation à grande échelle de ces contenus libérés
Une autre partie de l'emprunt national pourrait servir à financer la numérisation de ces contenus libérés de droits par les institutions publiques culturelles, dans le prolongement des politiques existantes. Ces livres numérisés seraient versés dans un second temps dans la bibliothèque numérique Europeana pour enrichir son contenu et conforter sa position au niveau mondial.
Cette impulsion participerait pleinement de la politique de relance par le numérique envisagée dans le cadre de l'emprunt, puisqu'elle permettrait de soutenir les entreprises françaises de ce secteur, de développer des technologies d'avenir, et, par les droits versés aux éditeurs, d'aider les acteurs nationaux à financer l'émergence d'une offre francophone de livres numériques, notamment universitaire, qui font aujourd'hui cruellement défaut.
C'était pourtant une noble intention de de s'opposer à Règlement Google Livres en France. Et de se mordre les doigts quelques années plus tard de voir ce qui a été fait...
Les douloureuses orphelines
Petit point dans toute cette aventure, le 19 octobre 2009, un mois après la réunion de la CN, la Commission européenne mettait à l'ordre du jour la « question de la numérisation des bibliothèques ».
La Commission européenne a adopté aujourd'hui une communication sur le droit d'auteur dans l'économie de la connaissance afin de relever les importants défis culturels et juridiques posés par la numérisation et la diffusion des livres, et plus particulièrement des collections des bibliothèques européennes.
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Pour ce faire, l'Union européenne devra cependant trouver une solution à la question des œuvres orphelines qui, du fait de l'incertitude quant aux titulaires de leurs droits, ne sont souvent pas numérisables. Améliorer la diffusion et l'offre des œuvres auprès des personnes souffrant d'un handicap, notamment les malvoyants, constitue une autre pierre angulaire de cette communication. (voir le communiqué)
On parle bien ici d'oeuvres orphelines, c'est-à-dire d'oeuvres qui sont bien sous droit, mais dont on ne parvient pas à identifier les ayants droit. L'un des points les plus problématiques dans le registre ReLIRE, aujourd'hui. Or, bien entendu, ARROW et l'examen de la CE sont intrinsèquement liés...
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