La rentrée s’opère sur les chapeaux de roues pour la Bibliothèque Publique d’Information de Beaubourg (BPI). Car la crise sanitaire se double d’une crise sociale, révélant des problématiques latentes depuis des années. Ce 10 septembre, l’établissement ne devrait pas ouvrir ses portes. Et le malaise est profondément ancré.
Suite à une assemblée générale, un préavis de grève a été voté par les contractuels — ou vacataires — qui travaillent à la BPI. Ces derniers ont été lourdement mis à contribution depuis la reprise ce 6 juillet. « Cela fait des années que l’on demande l’allongement des contrats, qui ne durent que six mois, non renouvelables », indique une source syndicale. Un délai de deux ans doit d’ailleurs être respecté pour postuler de nouveau.
À ce jour, les contractuels représentent une cinquantaine de personnes, sur les quelque 230 que compte l'établissement.
Six mois, avec l’évolution des réformes chômage, ne permettent pas de valider les 910 heures nécessaires à la perception des allocations. À raison de 60 heures par mois, même avec des heures supplémentaires, impossible de répondre aux critères. « Le personnel contractuel est de plus en plus précaire, tout simplement », poursuit-on. Et le coronavirus n’est jamais loin.
« Très vite, nous nous sommes rendu compte du manque de communication, de l’absence d’un protocole Covid en cas de suspicion de contamination d’un vacataire », indique un communiqué, consulté par ActuaLitté. Or, ce 21 août, un cas a été révélé : un contractuel a été testé positif, mais asymptomatique. Logiquement, il lui a été demandé quels contacts il avait eu durant plus de trois heures : il s’avère qu’il avait passé plus de trois heures avec un contractuel.
« L’administration a sollicité un test pour le titulaire, sans lui imposer de rester chez lui en attendant les résultats », s’étonne un membre du personnel.
Or, pour le contractuel concerné, la question épineuse se pose : « En cas de maladie, nous n’accédons pas à un arrêt — toujours en raison du contrat de six mois. Donc, être malade signifie perdre le bénéfice de notre salaire. Pour des gens payés au Smic, c’est trop compliqué financièrement. »
« Pour ne pas perdre des jours de salaire, certains d’entre nous sont tombés malades et ont hésité à passer un test. D’autres ont dû démissionner, craignant d’être ainsi exposés », explique un collectif, Biblioprécaires. Et d’ajouter que le personnel vacataire n’avait « pas été informé d’un cas Covid au sein du personnel et a été ainsi mis en danger ».
Durant l’été, le 26 juillet, la directrice Christine Carrier, avait déjà été sollicitée, mais elle « a accepté de nous recevoir, nous fixant un rendez-vous 5 semaines plus tard, le 27 aout, après son retour de vacances, et 2 semaines avant la fin de contrat de nombre d’entre nous ». Malgré ces étonnants délais pour évoquer des questions de santé publique et de précarisation, les négociations ont pu s’ouvrir.
« La direction a validé le passage de 6 à 9 mois pour les contrats, mais refuse de modifier la période de deux années pour le renouvellement. En revanche, elle s’est, oralement, engagée à ce qu’en cas de maladie, les heures des contractuels soient payées — pas de perte de salaire donc », reprend une source syndicale.
De quoi résoudre, si l’on s’y fie, la sensible problématique d’un protocole Covid, « permettant de s’absenter sans perdre de salaire pour passer un test et/ou être mis en isolement ».
À ce titre, la grève insistera sur la nécessité « des mesures locales soumises à de strictes conditions, nous garantissant le paiement de notre salaire en cas de suspicion et d’isolement nécessaire. Nous ne savons pas qui pourra réellement en bénéficier », note le collectif Biblioprécaires.
Quant à la revalorisation salariale, « elle va de soi : avec le Covid, les personnels ont été de plus en plus sollicités. Les contractuels, qui servent de renfort logiquement, se retrouvent souvent seuls. Et de même pour les contractuels de rangement, dont le travail physique est difficile », poursuit-on.
De fait, pour les contractuels de moins d’un an, un décret ministérielle doit fixer, au 1er janvier prochain, une révision des montants de rémunération. « La BPI, il faut le souligner, a indiqué que s'il ne sortait pas prochainement, elle ferait l’effort de réévaluer le taux horaire. Cependant, nous n’avons obtenu aucune garantie chiffrée, juste l’engagement que des négociations seront ouvertes avec le ministère. » Pour les contractuels rangement, il faudra également attendre…
En revanche, la directrice a su calculer le coût de la modification de durée des contrats, de 6 à 9 mois : entre 42 et 44.000 € par an. « Et elle a bien insisté sur le fait qu’elle ne pourrait pas faire plus. Tout le problème est que 9 mois serait une piste acceptable, s’il était possible que le renouvellement s’opère sans attendre deux ans. Ou alors, il faut basculer sur des contrats de 12 mois, garantissant les 910 heures qui ouvrent droit aux allocations chômage. »
Or, des contrats plus longs auraient pour conséquence de faire augmenter le budget alloué aux vacataires, et donc de conduire à une réduction des effectifs. Mieux payés, mais moins nombreux.
Selon nos informations, Soizic Wattinne, conseillère de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, a été interpellée. « Le ministère serait favorable à l’idée de faire évoluer la situation des plus précaires », indique-t-on du bout des lèvres. « Au moins la ministre est-elle informée », soupire-t-on du côté de la BPI. Et pour ce qui est du protocole Covid, « la direction semble attendre que des directives ministérielles interviennent pour ce qui touche aux contractuels ».
« Début juillet nous avons tout fait pour que la bibliothèque soit ouverte au plus vite après le confinement, nous voulions vous permettre d’avoir un espace de travail, un espace de vie pour respirer (même sous les masques) et donner la possibilité à tout le monde d’avoir des horizons plus grands que des lieux de confinement », souligne un message à destination des usagers de la BPI.
« Aujourd’hui on doit se battre avec la direction pour continuer après la date butoir de la fin de nos contrats, et simplement avoir de meilleures conditions de travail. » Car près de deux mois après la réouverture de l’établissement, « nous restons touours sans réponses concrètes ».
Annie Brigant, directrice adjointe, indique à ActuaLitté que les représentants du personnel, ainsi qu’une délégation de vacataires ont été reçus par Christine Carrier ce 7 septembre, avec des propositions concrètes.
L’allongement des contrats de 6 à 9 mois est posé sur la table, mais la perspective de 12 mois est exclue « A ce stade, nous avons répondu à des interrogations urgentes, et la période de 9 mois nous semble une bonne proposition. Nous n’envisageons pas d’aller au-delà. »
Pour ce qui est de la revalorisation salariale, la direction y travaille. De fait, « avant fin de l’année, le principe d’une prime de précarité pour certains types de contrats doit intervenir par décret. Soit ce dernier passe soit l’établissement décidera de la mettre en place. »
Quant aux vacataires qui devraient s’arrêter, cas de nécessité test ou isolement, le paiement des heures non effectuées sera bien garanti. Cela concernerait bien la période de quarantaine de 14 jours — ou de 7 journées qui est actuellement discutée.
Des propositions qui ne conviennent pas aux vacataires — notamment pour ce qui touche aux garanties salariales : « Nous ne savons pas qui pourra réellement en bénéficier », indique le collectif Biblioprécaires. Et de fait, ils déplorent et pointent que la direction de la BPI « entend consolider une véritable usine à contractuels précaires », au sein d’un espace de promotion de la culture ouvert à tous.
Ainsi, les effectifs de contractuels qui répondent « à un besoin permanent et structurel de la Bibliothèque », se retrouvent empêchés « d’assurer correctement ses fonctions, contraints à des pertes de salaire, voire poussées à la démission, enfin mis en danger ». Et de conclure : « C’est ce que nous ne pouvons résolument plus tolérer. »
La grève débutera à 11 h, devant l'établissement, ce 10 septembre.
crédit photo : Charlotte Henard CC BY SA 2.0
4 Commentaires
bitcoiner
09/09/2020 à 21:38
RAS le bol des grêves a répétition de ces vacataires qui pénalissent les SDF parisiens et les étudiants !!!
Bizarre
10/09/2020 à 08:43
« En cas de maladie, nous n’accédons pas à un arrêt — toujours en raison du contrat de six mois. Donc, être malade signifie perdre le bénéfice de notre salaire. Pour des gens payés au Smic, c’est trop compliqué financièrement. »
Vous êtes sûr ? TOUS les SALARIÉS bénéficient d'une pris en charge de la Sécu pendant ses congés maladies (sauf bien sûr les auteurs... et les indépendants, mais là, la CGT n'a pas de clients, donc elle s'en fout). Au pire, pour un salarié « mal » protégé, seule la carence peut sauter (soit maximum trois jours, mais ça fait peanuts si on s'arrête 15 jours). Normalement, c'est la complémentaire qui s'en charge dans le cas des salariés.
Après, on n'est pas malade tous les trois jours non plus, donc c'est infinitésimal sur l'année. Sauf si ce n'est pas le cas...
D'où l'importance d'avoir le chiffre de l'absentéisme de certaines professions...
Mahno
10/09/2020 à 08:55
Ça c'est en théorie
Snoofie
10/09/2020 à 15:25
Ces contractuels sont des étudiants à qui ce travail à temps partiel à la Bpi permet de concilier études et travail rémunéré, dans de bonnes conditions. Donc ils doivent aussi avoir la Sécu étudiante. L’équation de l’augmentation de leur durée de contrat est bien posée : allocations chômage à verser = moins d’emplois etudiants.