Pour cette rentrée 2015, les centaines de romans s’apprêtent à faire leur entrée en librairie. Issus de maisons traditionnelles, ces ouvrages suivront la vie qu’on leur connaît : une vingtaine d’élus, prisés et médiatisés, et quelques autres qui sortiront du lot, par l’effet du sort. Mais pour la première fois, les auteurs indépendants jouissent d’un éclairage inédit. Une rentrée pour chacun, et des livres pour tous.
Le 24/08/2015 à 16:48 par Nicolas Gary
Publié le :
24/08/2015 à 16:48
Nana B. Agyei, CC BY 2.0
Depuis plusieurs années, la Foire du livre de Francfort, événement professionnel majeur en Europe, capable de réunir l’édition internationale, a axé une partie de sa programmation sur l’autopublication. Un espace dédié avait même vu le jour en 2013 : pour la première fois, en 2014, des auteurs indépendants pouvaient présenter leurs œuvres, partager et rencontrer auteurs, agents, éditeurs.
Ce signe des temps va de pair avec un mouvement mondial, où les éditeurs n’hésitent désormais plus à trouver dans le parc des ouvrages autopubliés, de quoi enrichir leur propre catalogue.
L'autopublication, aujourd'hui "option de premier ordre"
Bien entendu, il n’est pas question de faire briller plus encore le miroir aux alouettes : si la diffusion numérique des œuvres a permis de tordre le cou à des services abusifs de publication à compte d’auteurs, l’indépendance à un coût. Et c’est celui de la professionnalisation dont il faudra s’acquitter en tout premier lieu. Vendre un fichier sur internet n’entraînera pas un succès ex nihilo.
Le président du Syndicat national de l’édition, Vincent Montagne, le résumait ainsi : l’autoédition fait écho « à l’envie d’écrire croissante, et, pour des auteurs qui souhaitent écrire un titre par envie, elle peut être une réponse ». Mais il ne s’agit pas nécessairement que d’une simple envie d’écrire : pour beaucoup, elle s’accompagne également de la volonté d’être auteur.
La BnF n’a d’ailleurs pas manqué de remarquer cette tendance, dans son compte rendu de l’Observatoire du dépôt légal. La moitié des déposants ne réalise qu’un dépôt par an, et une minorité en effectue la moitié. « En 2014, les 134 plus grands déposants réalisent la moitié des publications reçues, alors que 4 021 déposants (48,3 % des déposants) ne déposent qu’un seul livre dans l’année. 87,4 % déposent entre 1 et 10 livres, 11 % en déposent entre 11 et 100, et seulement 1 % plus de 100. Seulement 4 déposants dépassent le seuil des 1 000 livres déposés chacun. »
Et de fait, « les auteurs autoédités représentent une part toujours plus importante (43 % des nouveaux déposants de 2012, et plus du quart des déposants actifs en 2014) ».
C’est dans ce contexte que trois événements auront lieu, qui vont dans le sens d’une plus grande acceptation de ce phénomène. Mark Coker, fondateur de la société de distribution Smashwords l’avait envisagé : « L’autoédition était considérée comme une solution de dernier recours pour les écrivains. Aujourd’hui, c’est une option de premier ordre. La stigmatisation de l’autoédition est en train de fondre de même que la stigmatisation de l’édition traditionnelle augmente » (voir ici) Option de premier ordre, certainement, d’autant plus qu’elle jouit maintenant d’un éclairage médiatique plus important désormais, sur le territoire français.
In, off : comme un Avignon de l'édition indépendante
Pour sa troisième édition, la Journée du Manuscrit Francophone se déroulera au siège de l’UNESCO, initiée par Les Editions du Net et que coorganisent cette année l’ambassade et le ministère de la Culture de Côté d’Ivoire. Cette manifestation offrira à 3000 auteurs l’opportunité de recevoir leur ouvrage, imprimé et décernera au terme d’une sélection effectuée à travers les différents pays participants, un Prix de la Francophonie.
« Cet événement majeur de la rentrée littéraire, tourné vers les auteurs, se présente comme une Fête de la Musique, pour la littérature. Nous valorisons les écrivains, dont les ouvrages sont par la suite proposés dans les librairies », explique Henri Mojon, créateur de cette Journée.
Un coup double, pour les auteurs autopubliés, mais également pour la librairie indépendante : « En allant commander les ouvrages des auteurs que nous mettons en librairie, il arrive plus souvent qu’on ne le croit, que les lecteurs achètent également un autre ouvrage, en plus. C’est notre participation à la chaîne du livre, et la promotion de la lecture – qui cette année a reçu le plein soutien de l’UNESCO. » (plus d’informations)
La poubelle, meilleure amie de l'écrivain...
psyberartist, CC BY 2.0
Plus ciblée, La Rentrée des indés a été initiée par Iggybook, un service de commercialisation de livres, spécialisé pour l’instant dans le format numérique. Le projet a une dimension plus pragmatique : il s’agit de sélectionner des auteurs, et leur livre, pour offrir un accompagnement dans la publication, et la promotion de l’œuvre. « Face à l’embouteillage biannuel de livres de la rentrée littéraire, il est très compliqué pour les auteurs indépendants de se frayer un chemin vers les lecteurs et les libraires », indique Nicolas Franconnet, de Iggybook.
Ainsi, la rentrée des Indés s'inspire, tout en prenant le contrepied, de la rentrée littéraire, en proposant une autre visibilité aux écrivains, après le grand coup de feu de l’édition traditionnelle. (plus d’informations)
Last, but not least, c’est la société Amazon, dont la filiale française a ouvert son service d’autopublication Kindle Direct Publishing en 2011, qui se lance. Plus confidentiel dans son fonctionnement, tout en jouissant de l’impact dont la firme américaine peut disposer, son opération propose une Rentrée Kindle des auteurs indés, sur le modèle d’Iggybook, ainsi qu’un Prix de l’autoédition, très proche de ce que propose la Journée du Manuscrit Francophone. Avec pour perspective d’être publié, possiblement, par la maison d’édition, Amazon Publishing. (plus d'informations)
Notons également que Bookelis, plateforme d’autoédition, a carrément officialisé cette idée en lançant Les off de la rentrée littéraire. L’idée est tout simplement de mettre en avant des auteurs ayant mis leur ouvrage en vente à travers cet outil, avec des diffusions d’extraits.
Indépendants et professionnels en puissance
Comment comprendre cet engouement qui n’a rien de soudain ? Évidemment, pour chacune des sociétés à l’origine de ces initiatives, il y a un enjeu de développement. Que ce soit dans les offres de services d’Iggybook, la constitution d’un catalogue Kindle (possiblement exclusif) ou le développement d’une offre d’impression à la demande pour les Éditions du Net, toutes parlent d’une nouvelle manière de vendre des livres.
Mais toutes répondent également à des préoccupations contemporaines, comme nous l’avait expliqué la Société des Gens de Lettres, SGDL. Plusieurs organisations représentatives d’auteurs ont en effet choisi d’ouvrir leurs portes aux auteurs indépendants – une autre manière de reconnaître l’existence de ces écrivains.
Toutes s’appuient sur des critères, fin de valider l’adhésion, qui reflètent une démarche professionnelle. Et ce, parce qu’il ne suffit pas d’avoir mis en ligne un manuscrit refusé, après qu’il a été envoyé par la Poste, pour se prétendre auteur professionnel.
« Si un écrivain n’a pas l’intention de mettre son livre sur le marché de façon sérieuse, nous ne sommes probablement pas l’organisation adaptée. Et je tiens à souligner que ce n’est pas un jugement de valeur sur l’écriture, ni le livre en question, ou encore l’écrivain. Nous essayons simplement de maintenir notre propre vocation, vis-à-vis de l’industrie, autour des auteurs qui abordent leur travail comme une profession », précisait ainsi John Degen, président de la Writers Union of Canada.
« L’édition est en train de changer, plutôt rapidement. Alors que la publication traditionnelle reste une manière pour un écrivain professionnel de subvenir à ses besoins financiers, d’autres solutions sont apparues, y compris l’autopublication », assurait Cat Rambo, présidente de la Science Fiction & Fantasy Writers of America, dont l'organisation avait fait le choix de cette ouverture.
Alain Absire, président de la Sofia, avait également assuré à ActuaLitté que la société de perception réfléchissait à ouvrir ses portes aux auteurs indépendants. Une révolution qui pourrait d’ailleurs s’accompagner de plusieurs changements d’envergure, comme la présence de leurs livres papier dans les bibliothèques.
Une ouverture plus que prometteuse, et qui répondrait également à des attentes réelles, pour éviter de créer « un monde de l’écriture à deux vitesses ».
ActuaLitté est partenaire de la Journée du Manuscrit Francophone 2015 et de la Rentrée des Indés 2015.
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