C’est la rentrée pour ReLIRE, et les premiers titres numérisés, issus du registre sont désormais commercialisés. Pour mémoire, ce projet qualifié de patrimonial vise à la numérisation d’œuvres qualifiées d’indisponibles – et pas épuisées – du XXe siècle. Les titres papier, pour lesquels les éditeurs ne disposaient pas nécessairement des droits numériques, entrent alors dans le cadre de la loi du 1er mars, et deviennent des ebooks. Les premiers lots sont donc arrivés.
Le 23/09/2015 à 17:54 par Nicolas Gary
Publié le :
23/09/2015 à 17:54
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Annoncé pour cet été, un paquet de 5000 titres devait sortir dans les cyberlibrairies, et 10.000 de mieux en septembre. Régis Habert, directeur de la société FeniXX en charge de la numérisation et de la diffusion souligne que « l’objectif de 15.000 titres sera atteint à la fin de l’année. Le retard, si l’on peut dire, vient de ce que nous avons préféré repousser les sorties, pour améliorer le niveau de qualité éditoriale ».
Le partenaire Jouve, en charge de la production, a ainsi apporté un traitement supplémentaire aux fichiers. « Et puis, il y a le temps d’ingestion, pour la plateforme Eden, le distributeur numérique, avec les vérifications nécessaires. »
Dans la production, 70 % des fichiers seront en format EPUB, les 30 % restant en PDF, « parce que leur transformation serait trop complexe, et coûteuse ». La difficulté du passage OCR tient « à ce que les titres que reçoit Jouve reflètent une grande variété de formats et de types. Nous traitons le maximum en EPUB, mais ce n’est pas possible pour tous, notamment quand la composition est excessivement complexe. »
De ce côté, si les fichiers EPUB que nous avions contrôlés se présentent plutôt bien, il reste des attributions de mauvaises couvertures à des livres, et d’autres métadonnées qui font encore quelques vilains couacs. Concernant ces fameuses couvertures, FeniXX renvoie vers la Sofia. « Dans la numérisation, le choix des couvertures génériques FeniXX ou de la couverture originale s’est posé. Dans la mesure du possible, et si l’étiquette de la BnF ne cache ni le titre ni le nom de l’auteur, alors nous avons privilégié l’original. Dans certains cas, nous avons privilégié la couverture originale même si une partie du titre ou du nom de l’auteur était un peu masquée ; en particulier quand la couverture (bien conservée) nous semblait importante (collection phare du XXe siècle, lien fort titre/illustration de couverture, littérature jeunesse…), et quand il était possible de deviner facilement la/les partie(s) masquées. »
Si la couv' est originale, rappelons qu’il s’agit d’une œuvre graphique qui n’est pas dépendante du livre. Le droit moral de son créateur s’exerce donc – même si manifestement, certains ont choisi de s’asseoir dessus, ou non loin. « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », rappelle l’article L111-1.
« C’est la Sofia qui gère ce point : si elle nous assure qu’on peut réutiliser la couverture première, alors nous le faisons. » En ce sens, FeniXX agit avant tout comme l’opérateur de commercialisation. Nous avons sollicité la Sofia sur cette question.
D’autre part, le recours aux couvertures génériques – choisies après un concours pour lequel les vainqueurs ont été rémunérés, insiste-t-on – ne peut pas être systématisé. « Présenter des milliers de titres avec une couverture similaire entraîne une certaine répétition... et une lassitude. » Ce qui ne serait donc pas bon pour le commerce. Certainement pas plus que les couvertures où le macaron de la BnF apparaît de manière bien visible.
Reste que l’on peut déjà trouver dans certains ebookstores près de 1400 livres numériques. Certains, oui, pas tous : « Cela prend plus ou moins de temps, de signer les contrats, et nous sommes actuellement en phase de prospection. D’ici quelque temps, on pourra d’ailleurs retrouver les œuvres indisponibles sur Apple, Google, Kobo ou Amazon, bien entendu. »
Ce qui impliquera de se soumettre aux environnements propriétaires des uns et des autres. Là où les fichiers originaux ne disposent que d’un watermarking, les opérateurs ajouteront donc leur couche personnelle. « L’important, c’est la garantie des prix », insiste Régis Habert.
Deux types d’ouvrages sont mis en vente : les uns en licence exclusive, accordée aux primo éditeurs, les autres, non exclusive, gérés par FeniXX. « Le prix moyen pour l’ensemble du catalogue est de 7 €, avec la volonté d’arriver à des tarifs les plus attractifs possible. » Si l’éditeur en licence exclusive fixe le prix, c’est à FeniXX que cela revient pour les non-exclusives : « Nous sommes partis d’un ratio entre la pagination et le type de corpus, auxquels nous appliquons une grille tarifaire, incluant les corrections apportées. On comprend bien que les œuvres indisponibles devront présenter un prix public qui soit économiquement plus facile d’accès que les autres livres. »
Le prix hors taxe de vente sera ensuite réparti selon des critères traditionnels. Un pourcentage va à la Sofia, pour rémunérer les auteurs et les éditeurs – en se rappelant que l’éditeur ne doit pas percevoir plus que l’auteur, selon la loi. Une remise commerciale de 30 %, voire moins, est appliquée pour le libraire, le reste revient à FeniXX pour couvrir les frais.
« Nous devons arriver à une exploitation la moins chère possible, en dehors de la numérisation. Les bénéfices que nous pourrons réaliser seront réinvestis dans cette partie, d’ailleurs », note Régis Habert.
Rappelons que les droits doivent représenter 15 %, avec un minimum d’un euro pour l’auteur, et 10 % pour l’éditeur, à titre de commission commerciale. Autrement dit, 25 % du PPHT est versé par FeniXX à la Sofia – qui prendra également une marge sur cette opération. « Dans le cadre des licences accordées en exclusivité, le taux des redevances versées par l’éditeur à la Sofia sera de 15 % du prix public de vente du livre, avec un minimum garanti d’un euro, quel que soit le prix de vente », explique pour sa part la Sofia.
ReLire, victime d'une agression visuelle
Attention, souligne la Sofia : « Si un diffuseur titulaire d’une licence non exclusive propose le livre dans un seul format propriétaire ou par un seul canal de distribution, le taux de redevance est porté à 30 % et le minimum garanti à 1,50 euro, sur lequel l’auteur reçoit 1,15 euro. » FeniXX ne se trouve jamais dans ce cas, puisque la société produira dans plusieurs formats et se charge de diffuser via le plus grand nombre de canaux possibles.
Dans ce calcul, on serait toutefois bien éloigné du modèle économique pratiqué pour les livres numériques contemporains. Avec le distributeur Eden, par exemple, un éditeur va verser 10 % du PPHT à Eden Livres, 30 % au libraire, et les 60 % restant reviennent à la maison d’édition, qui partage ensuite avec son auteur.
On peut également faire le calcul suivant, opéré depuis la FAQ de FeniXX (appliqué uniquement aux droits qui sont redistribués par la Sofia dans le cadre des licences) :
15 % à l’auteur avec minimum 1 €,
10 % à l’éditeur sans minimum (mais inférieur à la rémunération de l’auteur)
40 % [logiquement] pour Eden (10 %) et le libraire (30 %)
restent donc 35 % à Fenixx
Dans ces conditions, on comprend qu’un titre vendu à moins de 8 € chez FeniXX représenterait presque une vente à perte. « C’est une régression dans le secteur du livre : on déploie un modèle identique à celui du papier, alors que le numérique devrait être favorable aux auteurs – et plus encore dans le cadre de ReLIRE. Ici, 25 % pour l'éditeur et l'auteur, et le reste pour les intermédiaires », déplore un éditeur.
Pour toucher « un très large réseau de libraires électroniques et de lieux publics de lecture », comme on peut le lire, il faudra encore patienter un peu. En effet, si les Amazon et Apple sont encore à venir, côté librairies en ligne, le réseau des bibliothèques publiques devant encore patienter.
« C’est pour bientôt, mais pour des raisons d’ordre technique plus que par volonté politique. Nous souhaitons profiter des outils de Prêt Numérique en Bibliothèque, et donc de la vente par les libraires aux bibliothèques. PNB est un dispositif encore expérimental. FeniXX demande ainsi aux éditeurs un code EAN spécifique pour PNB. Pour l'heure, tous n’ont pas encore livré tous ces codes. Tout cela est en cours. Nous travaillons pour activer le processus, car plus vite les livres seront connus des bibliothécaires, plus vite ils seront sur les appareils des usagers et ce sont les lecteurs/usagers qui seront nos meilleurs ambassadeurs ! »
Dans le même temps, les éditeurs sont également en train d’établir leurs contrats, suivant la logique de PNB, qui prend en compte dans le tarif de vente un certain nombre de prêt, durée de la licence (avant de racheter l’ebook), etc. Rendez-vous fin octobre pour la mise en place.
Cependant, un projet se constitue avec Cairn, qui proposera dans son propre format les ouvrages de ReLIRE. « Les conversions de fichiers sont actuellement en cours, et on devrait pouvoir en reparler fin novembre. »
Restait alors une question fameuse : dans le cas de l’exploitation par FeniXX, la société reverse à la Sofia les montants perçus sur les ventes. S’il fallait retirer un fichier, FeniXX a tout prévu. « La Sofia nous transmet toutes les semaines un document issu de la BnF, qui recense les livres retirés. Nous pourrions aller jusqu’à un traitement quotidien, mais, pour l’instant, cela ne semble pas nécessaire. »
Dans ce cas de figure, l’ebook en question est immédiatement supprimé de la plateforme. Et quant aux sommes récoltées, elles figurent dans le reporting annuel que FeniXX transmet à la Sofia, annuellement. L’auteur/l’ayant droit percevrait donc sa part sur les ventes effectuées, avant retrait.
Or, il paraît qu’avec le projet ReLIRE, le seul risque serait de vendre des livres : prenons alors ce risque. Mais si l’auteur est décédé et qu’aucun ayant droit n’est trouvé, que deviennent les sommes alors perçues ? Là encore, nous avons sollicité la Sofia pour obtenir des précisions. Gageons que personne ne numérisera l’argent, sous prétexte qu’il serait indisponible...
Commenter cet article