Rachetée en 2017 par Pierre Lenganey, ancien chef d’entreprise, la librairie Le Passage à Alençon a créé la première manifestation de poésie de la ville. Le Festival Poésie & Davantage, qui s’est tenu le samedi 19 octobre à la Halle aux toiles, a été un véritable succès. Retour sur cette singulière histoire et sur ce beau projet visant à rendre la poésie accessible à tous, et sous toutes ses formes. Et non, « la poésie n’est pas morte » insiste le libraire.
Librairie Le Passage - via Facebook
« J’ai toujours été passionné par le monde du livre de manière générale » indique Pierre Lenganey, contacté par ActuaLitté. « Lors de ma dernière année d’école de commerce, dans les années 90, j’ai d’ailleurs ouvert ma première maison d’édition généraliste avec un ami d’HEC. » Jusqu’en 1994, la maison Amiot.Lenganey a édité pas moins d’une quarantaine de titres. « Mais le début des années 90 était très compliqué pour le secteur, nous avons décidé d’arrêter, nous n’arrivions pas à dégager de salaire. »
Par ailleurs, Pierre Lenganey avait commencé à travailler dans le monde industriel au sein du groupe Bosch. Il y restera près de 25 ans et construira une carrière « plus que satisfaisante ». Directeur d’usine Bosch en Haute-Savoie de 2008 à 2011, puis chef d’établissement sur le site de Mondeville à Caen jusqu’en 2016, il n’en oublie pourtant pas ses premiers amours.
« J’ai toujours eu envie de revenir d’une manière ou d’une autre dans le monde du livre. Je fréquentais assidûment les librairies et les festivals. Je suis également resté en contact avec quelques petits éditeurs. Après ma carrière au sein de Bosch, je me suis dit que c’était enfin le moment de revenir dans l’univers que j’aime. »
Cet ancien chef d’entreprise est donc parti à la recherche d’une librairie. « Je voulais qu'elle soit située en Normandie et de taille significative ». Son choix s’est alors tourné vers Le Passage, une librairie qui employait à l’époque 13 salariés et dont le chiffre d’affaires s’élevait à 2,3 millions €.
« Je suis un grand lecteur de poésie, et ce, depuis très longtemps », nous explique Pierre Lenganey. « Notre première maison, Amiot.Lenganey, éditait d’ailleurs beaucoup de poésie. Environ un tiers sur les 40 titres y était consacré, par goût et par plaisir de la lecture. » Un genre qu’il a surtout découvert grâce à un certain professeur de philosophie en classe préparatoire HEC. « J’ai eu la chance de rencontrer ce professeur extraordinaire, Hugues Labrusse. Il m’a éveillé à la poésie. J’avais déjà une attirance pour la poésie, mais grâce à lui, ça a été une révélation ».
C’est alors que dès le rachat de la librairie Le Passage en février 2017, Pierre Lenganey a eu l’idée de réaliser un projet d’envergure autour de ce genre, souvent laissé au second plan. « J’ai d’abord renforcé la poésie dans ma librairie. On a usage de dire que ça ne se vend pas, mais c’est complètement faux » s’exclame-t-il. « La poésie se vend comme tout, la littérature française, le polar, la jeunesse. Si on y consacre de la place et du temps, si l’on s’en occupe, alors ça fonctionne. Il y a beaucoup plus d’amateurs de poésie qu’on peut le croire. »
Dès 2017, le libraire met en avant certaines maisons comme Cheyne Editeur. « Ils font des livres magnifiques, tant dans le choix de la mise en page, de la fabrication, que des textes. J’ai fait une grande table avec certains de leurs ouvrages et ça a fonctionné. » Une entreprise qu’il réitérera avec d’autres éditions comme Isabelle Sauvage, entre autres. « La poésie est une partie de la vie littéraire très importante, très vivante, il faut accepter d’y accorder du temps en librairie. »
De fil en aiguille, ce grand amateur de poésie décide d’organiser un « quelque chose de plus grande envergure » : un festival de poésie. « Je me suis dit que ce serait une bonne occasion, Alençon compte près de 30.000 habitants. À cela s'ajoute la communauté urbaine autour, estimée à 30.000 personnes aussi. C’est un beau territoire, je savais qu’il y aurait forcément des amateurs, du moins un public potentiel pour découvrir des auteurs, des éditeurs. »
C’est en association avec le salon du livre d’Alençon, et notamment avec sa présidente Monique Cabasson, « qui fait un travail fou » insiste Pierre Lenganey, que le projet prend vie, petit à petit. « On a la chance d’avoir un très beau salon du livre qui accueille 5000 visiteurs en 2 jours pour une soixantaine d’auteurs de tous les genres. Je suis donc allé la voir pour lui exposer mon projet. » L’équipe est aussi composée de Rémi David, « un excellent interviewer et amateur de poésie », et de l'un de ses fidèles clients. « Sans eux, le projet n’aurait jamais eu lieu », reprend-il.
« Nous avons obtenu le soutien de la Ville, mais aussi du département dès le départ. C’est valorisant de voir cette politique du territoire autour de la poésie. » Le festival a aussi été parrainé par Jean-Pierre Siméon, qui a d’ailleurs longtemps dirigé Le Printemps des poètes. « On a ensuite obtenu l’accord du grand dessinateur Ernest Pignon-Ernest » et puis ceux de Bruno Doucey et d'André Velter, pour ne citer qu’eux.
Le festival a également noué une collaboration avec le Club Cinéma d’Alençon qui a programmé un film autour de la poésie le jeudi 17 octobre : Paterson de Jim Jarmusch. Mais aussi avec La Luciole qui a proposé un concert de Grand Corps Malade en clôture du festival le samedi 19 octobre à 21 h. « On a voulu finir ce festival par un rappeur ou un slameur, c’est aussi une forme de poésie. »
À la soirée inaugurale le vendredi 18 octobre, près de 160 personnes étaient présentes. On compte ensuite 1200 visiteurs pour la journée du samedi. « C’était incroyable, j’ai doublé mon samedi — étant d’abord le jour le plus rentable de la semaine — en chiffre d’affaires ». En somme, près de 10.000 € réalisés, selon nos estimations. Un bilan très satisfaisant, donc, que Pierre Lenganey essaie d’expliquer : « Souvent les salons du livre sont généralistes, on offre de tout et on n’a pas le temps d’aller en profondeur sur tel ou tel type d’écriture. Là, en mettant un focus sur la poésie, on creuse la curiosité. »
« On n’a pas cessé de répéter que la poésie est quelque chose d’extrêmement vivant. On a parlé du rap, du slam. La poésie peut faire appel aux rêves, à l’imaginaire, mais ça peut aussi être une poésie engagée. On a voulu montrer que c’était quelque chose d’accessible, pas seulement quelque chose d’intellectuel ». Et débarrasser les consciences de ce souvenir traumatisant des récitations de poésie : « Ce n’est pas forcément un bon souvenir et ça entretient l’image que nous avons de la poésie comme poussiéreuse. »
« Mais la poésie est vivante, actuelle. Elle aborde tous les thèmes. C’est quelque chose de différent, de précieux dans le terme noble du mot, mais accessible, qui parle aux gens. La preuve, 100 personnes sont venues écouter “La poésie sauvera le monde” de Jean-Pierre Siméon. En mettant le focus sur la poésie, ça a rendu les gens curieux, c’est ce qui a marché. Je ne veux plus entendre, même si tous mes collègues libraires le répètent, que la poésie n’intéresse personne », conclut alors Pierre Lenganey.
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Il n’en reste pas moins que la grande affluence de cette première édition a été « une surprise totale ». « Il y a toujours eu un lien historique entre Alençon et la poésie, notamment parce que c’est l’éditeur Poulet-Malassis [né à Alençon, NdR] qui a publié Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, mais nous l’avons probablement réveillé. »
« Le lien avec la poésie peut se faire n’importe où à Alençon, du moment qu’on développe des actions précises et concrètes. Et on le voit bien, je suis la seule et unique librairie de la commune, mais au-delà de ça, Le Passage appartient autant aux Alençonnais qu’à moi-même. Alençon est une terre de lecteurs, c’est un public qui est prêt à découvrir beaucoup de nouvelles choses ».
Cela ne fait aucun doute, l’année prochaine aura lieu la seconde édition de Poésie & Davantage. Pour le moment, le festival ne mobilisera, comme la première édition, qu’un seul jour en octobre. Mais le libraire affirme déjà vouloir densifier encore plus la journée et continuer d'organiser des opérations autour du festival en amont. Par exemple, le vendredi 18 octobre, éditeurs et auteurs sont allés à la rencontre des étudiants dans divers établissements.
Ancien chef d’entreprise, devenu libraire, fondateur du premier festival de poésie à Alençon, Pierre Lenganey vient aussi de reprendre une maison d’édition jeunesse nommée Møtus. « Je l’ai intégré dans la structure juridique de la librairie, nous avons beaucoup d’ambition dans la partie éditoriale. On revient un peu aux XIXe et XXe siècles avec la tradition des libraires-éditeurs. »
Là encore, la poésie a une place de choix. « Tous nos livres sont portés par un choix exigeant des illustrations tout en touchant une dimension poétique ». Un seul mantra : la poésie vit encore, du moins, si on travaille à la faire vivre.
3 Commentaires
CARTIER Marie Françoise
30/10/2019 à 19:21
Bonne chance a cette belle initiative...
Mich
02/12/2019 à 07:12
Un merci pour cet article. Il ne reste plus qu'aller à Alençon découvrir cette librairie. ;-)
Chassot
07/03/2020 à 09:27
%-PC'est un spectacle qui peut se jouer dans un théâtre de verdure ou encore dans un château ou encore sur une scène tout simplement au chapeau et qui s'intitule ÉQUILIBRE entre musique et poésie ! http://didier-chassot.over-blog.com
Déjà Saint Pierre des bois et puis à Crezancy-en-Sancerre à Epineuil le fleuriel près des Écluses pour inaugurer ce site de verdure la Fête des Marais à Bourges et le quai des échalotes, la Soupe aux choux, le Porte Mi à Charenton du Cher et L'Accalandre à Reigny, le 14 mars à 16h entrée libre à l'office de tourisme de Bourges....
Je vous souhaite une bonne écoute et peut-être à bientôt !