Ce n'est pas la première fois que la ministre de la Culture monte au créneau sur le sujet. Déjà, à l'occasion du Salon du livre de Paris, et alors que les municipales battaient leur plein, Aurélie Filippetti avait assuré : « Nous serons vigilants et intraitables vis-à-vis du FN. Nous veillerons à la liberté de tous les acteurs culturels. » C'est que l'on ne manquait pas, dans le passé, d' « attaques très graves de la politique culturelle, avec des coupes dans les subventions et des atteintes à la liberté de programmation dans les théâtres ou bibliothèques. Des interventions des élus FN, il y en a des exemples innombrables ». Elle a donc remis le couvert.
Le 24/04/2014 à 17:28 par Nicolas Gary
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24/04/2014 à 17:28
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La semaine passée, la ministre de la Culture expliquait de nouveau à Guillaume Durand que les menaces qui viendraient du Front national ne seraient pas tolérées : « Si des associations culturelles ou des lieux culturels sont menacés, je me rendrai sur place pour les soutenir. » Et plus récemment encore, sur BFMTV, elle revenait encore sur cette idée de menace, attendu que, dans des villes ayant un maire frontiste, « les premières cibles ont toujours été les associations culturelles ».
La vigilance prônée rue de Valois
Et d'ajouter : «Pour le moment, on surveille les déclarations faites par certains élus qui ont dit qu'ils allaient étudier les subventions aux associations culturelles en fonction de certains critères et il ne faut pas que cela s'assimile à de l'arbitraire. » Évidemment, difficile de dire que la rue de Valois se changerait en police de la pensée - quand bien même il s'agirait de s'attaquer à la pensée du parti présidé par Marine Le Pen.
Précédemment, on avait entendu Patrick Bruel promettre qu'il ne se produirait pas dans des villes dont le maire était un élu FN. Respectant la décision de l'artiste, Aurélie Filippetti concluait « chacun a sa liberté et en particulier les artistes doivent pouvoir faire leur propre choix ». Sans pour autant cacher l'inquiétude qu'elle ressentait : « Malheureusement, on l'a vu dans un passé récent, les associations culturelles qui ont une vocation universaliste, humaniste, plus cosmopolite, qui permettent le dialogue entre les différentes cultures, sont souvent les premières visées. »
Aurélie Filippetti: L'invitée de Ruth Elkrief...par BFMTV
"Scandaleux !"
Première concernée par les préoccupations qu'exprimait la ministre, Marine Le Pen n'a pas manqué de réagir, invitée par Christophe Barbier, sur le plateau de i>Télé, à « rassurer » la ministre. « Non, mais je n'ai pas à rassurer la ministre, qu'elle fasse son travail », lancera avec un sourire désarmant la présidente.
Elle enchaîne : « Je trouve scandaleux qu'une ministre de la République s'attache comme ça à stigmatiser, en quelque sorte, quelques municipalités, qu'elle mettrait sous un contrôle particulier, sous tutelle ? Mais à quel titre, Madame Filippetti ferait-elle cela ? Car enfin, la démocratie a parlé, les maires ont été élus par leurs administrés ! À quel titre Madame Filippetti met sa casquette de contrôleur général, pour venir surveiller tout particulièrement ces municipalités ? »
On s'étonnerait presque que l'eurodéputée Le Pen n'ait pas pris le temps de rappeler qu'en janvier 2014, elle avait soutenu le spectacle de l'humoriste Dieudonné, considérant que leur interdiction relevait de la censure. C'était d'ailleurs justement sur le plateau de i>Télé qu'elle avait fait ces déclarations. Et c'était également face à Christophe Barbier. L'occasion aurait été idéale pour rappeler l'importance que le Front national accorde à la liberté d'expression des artistes.
Or, dans le même temps, elle avait évoqué de faire entrer dans la Constitution la loi sur la liberté d'expression, et ainsi « inscrire dans la loi l'interdiction de la surveillance et de la censure préalable ». Mais avoir la mémoire un peu trop longue peut parfois desservir un propos… alors même que Marine Le Pen s'était émue de la décision « éminemment inquiétante » prise par le Conseil d'État, de valider l'interdiction…
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En revanche, l'eurodéputée s'est positionnée, en mars dernier, comme « une ardente défenseure d'Internet et de la liberté sur Internet », avec dans le même temps, une volonté très claire de censurer ce média, « même si le mot déplaît ». Elle évoquait alors les logiciels de contrôle parental trop peu efficaces, et assurait à Numerama : « Je suis la seule à défendre la liberté sur la toile ». Bref. On ne connaît cependant pas beaucoup de prise de position par Marine Le Pen pour défendre des artistes.
Intervention sur place obligatoire
Bon, mais soyons sérieux une seconde : tout d'abord, les déclarations d'Aurélie Filippetti manquent clairement de précisions et sont assez floues pour laisser le champ libre aux commentaires de Marine Le Pen. En réalité, le seul pouvoir de police administrative que le ministère de la Culture possède, c'est celui qui concerne les films, et la délivrance d'autorisation, pour les visas d'exploitation - sous réserve du contrôle juridictionnel du Conseil d'Etat. On n'ira pas bien loin, de ce côté-là, sauf à croire que le parti Bleu marine joue une mauvaise comédie.
En raison de circonstances particulières, de troubles à l'ordre public, le maire, au titre de ses pouvoirs de police générale, peut décider d'interdire une manifestation - y compris culturelle . « Dans les communes, les mairies sont en charge de la protection de l'ordre public, le pouvoir de la ministre ne s'y exerce pas. » En effet, que ce soit pour les visas d'exploitation, ou l'interdiction d'une réunion dangereuse (arrêt Benjamin du Conseil d'Etat), il s'agit de prévenir les troubles à l'ordre public.
Les pouvoirs de la police administrative n'ont heureusement pas encore d'effet sur l'action des maires dans l'exercice de leur mandat - sauf à prétendre qu'il y a quelque chose du théâtre de boulevard dans les mairies frontistes... De même, si des subventions sont supprimées, ou refusées, et qu'elles ne requièrent pas l'avis ou l'autorisation de la ministre, il ne lui sera pas possible d'intervenir . A moins d'en octroyer, ou d'en créer de nouvelles issues de son budget.
« En soi, rien n'empêche la ministre de vouloir surveiller le bon déroulement de la vie culturelle dans les mairies. Mais pour ce qui est des pouvoirs dont elle dispose, c'est autre chose », nous précise un juriste spécialisé en droit administratif. « En soi, elle ne dispose ni d'un droit de regard ni d'un pouvoir de sanction, contre les décisions prises par les mairies FN. Si des choix interviennent, contre des associations et que ces derniers sont contraires aux idées politiques de la ministre… il faudra que la ministre les passe par pertes et profits. »
Ainsi, et comme le promettait la ministre au Salon du livre, il faudra intervenir localement. Le ministère de la Culture, contacté aujourd'hui, nous le confirme : « Partout où des associations seront en danger, où la liberté d'expression sera mise à mal, la ministre se rendra sur place et ira les soutenir. »
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