Le très saint père des bonnes moeurs iraniennes, l'ayatollah Khamenei, vient de subir une attaque frontale assez inattendue. Elle provient directement d'un ministre de la Culture, Ataollha Mohajerani, et pointe clairement les multiples censures exercées par le représentant religieux.
Le 22/07/2011 à 19:31 par Clément Solym
Publié le :
22/07/2011 à 19:31
Dernièrement, à l'occasion d'une rencontre avec les bibliothécaires et les représentants de l'industrie du livre, l'ayatollah avait encore une fois dénoncé des « livres nuisibles », qu'il qualifiait de « toxiques » pour le peuple. « Tous les livres ne sont pas nécessairement bons et tous ne sont pas non plus inoffensifs, certains sont dangereux » avait repris son site officiel, propageant la bonne parole.
Culte contre culture
Mais derrière ces imprécations, l'ancien ministre verrait plutôt toute l'inquiétude d'un leader religieux dont la légitimité est remise en question au travers d'ouvrages qui « peuvent implicitement ou explicitement viser sa position de chef suprême religieux ».
Évidemment, du temps de son ministère, l'ayatollah lui avait mené la vie dure, alors que Mohakerani était largement favorable à une ouverture culturelle. Il avait sorti des milliers de livres des listes de la censure établie par Khamenei. Les extrémistes religieux auront finalement eu sa peau, politiquement, puisqu'il fut démis de ses fonctions en 2000.
Aujourd'hui, il réside à Londres. Et il n'a pas manqué les dernières déclarations de Khamenei, qui font office de directives officielles. Et encore une fois, la liste des ouvrages cette année censurés par ses soins - il vérifie toutes les publications avant de rendre son avis - font assez froid dans le dos. Louis Ferdinand Céline, James Joyce, Platon, Kurt Vonnegut, Paulo Coelho, etc...
Lecteur vorace, censeur féroce
Mais l'ancien ministre sourit jaune et intérieurement : selon lui, l'ayatollah est un fan de fiction qui finalement, sous prétexte de moralité littéraire, dévore les livres.
Parce que les déclarations qui s'en suivent sont pathétiques : « Les responsables de l'industrie du livre ne devraient pas laisser entrer sur notre marché des livres nuisibles que nous laisserons choisir [NdR : par les lecteurs]. Tels des médicaments toxiques, dangereux et addictifs, qui ne sont pas bons pour tous... de même en temps qu'éditeurs, bibliothécaires, ou représentants de l'industrie du livre, nous n'avons pas le droit de rendre disponibles de pareils livres, à ceux qui n'ont pas de connaissance. Nous devrions leur donner des livres sains et bons. » Étonnant, n'est-ce pas ?
Inapproprié
Un tel traditionalisme effraie Mohajerani, qui y voit la rigueur du berger menant ses moutons. Car même si, constitutionnellement, l'Iran interdit la censure, les éditeurs sont tenus de soumettre les ouvrages au ministère de la Culture, avec une triple vérification, pouvant mener à une classification de type « inapproprié ». Et certains éditeurs peuvent attendre plusieurs mois, voire des années avant d'accéder à ce sésame.
Les justifications données sont parfois hallucinantes : on a reproché à un poète un rythme inadapté, à un autre des allégories trop provocatrices et sexuellement ambiguës. À un romancier, on a simplement dit que son livre était déprimant. De quoi largement pousser les auteurs à publier directement leurs textes en traduction chez d'autres éditeurs... dans d'autres pays.
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