Le gouvernement vient-il finalement de dévoiler son plan d’action dans une politique de paupérisation – ou de mépris ? – des auteurs qui ne disait pas son nom ? En réponse à la députée Frédérique Dumas, le ministère des Solidarités et de la santé vient en effet de confirmer les craintes depuis longtemps exprimées quant à la réforme sociale.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« En une phrase et pour faire simple, on ne pourra bientôt plus vivre en publiant des livres », déclarait récemment Joann Sfar, président d’honneur de la Ligue des auteurs professionnels. Les cris d’alarme ont résonné tout l’été, et la colère ne cesse de croître chez les auteurs du livre.
Entre les bricolages approximatifs de la compensation de la CSG, pointés du doigt par les organisations d’auteurs, et la vague de réformes – prélèvement à la source, basculement AGESSA/MDA à l’URSSAF, etc. — arrivant au 1er janvier 2019, le couperet est proche.
L’écrivain et dessinateur ajoutait : « Chaque nouvelle équipe au ministère de la Culture commence par annuler toutes les réunions prévues avec l’équipe d’avant. Puis relance un cycle de réunions à l’occasion desquelles il faut à nouveau tout expliquer. Et comme notre situation relève de décisions qui dépassent Culture et Affaires Sociales, on finit systématiquement par ne rien faire pour nous. »
Une réunion de concertation devait en effet avoir lieu vendredi 9 novembre, portant sur le régime social des artistes auteurs, mais elle a été annulée au dernier moment, a-t-on appris. Le 3 juillet dernier, la députée Frédérique Dumas posait une question écrite au gouvernement : quid des nombreux bouleversements en cours, dont les auteurs ne sont jamais tenus informés ?
La réponse vient de tomber, quatre mois plus tard. Et confirme les pires craintes des auteurs. Les promesses qui étaient émises par les Ministères dans un courrier datant du 27 septembre 2017 s’envolent. Pour rappel, ce courrier garantissait : « Par simplicité et par équité, nous avons souhaité, à l’occasion de cette réforme, que tous les artistes auteurs tirant un revenu d’une activité entrant dans le champ du régime soient affiliés à celui-ci dans des conditions identiques. » Sauf que non.
« Je suis engagé dans la défense des auteurs depuis des années », déclare Denis Bajram à ActuaLitté, analysant la réponse fournie par Agnès Buzyn. « Je dois bien admettre aujourd’hui que j’ai le sentiment qu’on va faire sans nous et qu’on a déjà fait sans nous, dans l’ignorance absolue de nos pratiques, de nos besoins. Dans les faits, la réponse écrite à l’Assemblée Nationale confirme qu’il existe toujours un seuil d’affiliation pour accéder à notre régime social (seuil qui nous est encore inconnu !) et que les auteurs sous le seuil devront payer ce que le texte appelle “un forfait”. »
Or, ce dernier correspondrait « sans doute à ce qu’il manquera comme cotisations entre le déjà versé et le minimum à verser pour ceux au seuil. Progrès social réel : un auteur sous le seuil, sans autres revenus permettant une autre affiliation à la sécu, pourra s’il paye plus accéder à l’AGESSA MDA. Mais on sait très bien que quand on est auteur sans autre métier sous le seuil AGESSA, c’est qu’on crève le plus souvent la dalle… quel auteur sous le seuil pourra payer ce forfait ? »
Et d’interroger : « On nous parle depuis un an de la fin de la différence d’affiliés/assujettis », déclare une illustratrice jeunesse, qui est par ailleurs aussi enseignante. « Contrairement à ce qui a été sous-entendu, ça n’a jamais signifié qu’avec 1 euro de droit d’auteur, on pourrait accéder au régime. Ou alors, ça veut dire le payer cher, et pour quels droits en retour ? J’ai déjà un autre métier avec la protection sociale qui va avec ! »
Les grands perdants de cette histoire seront bien et les assujettis, c’est-à-dire les auteurs ayant un autre métier à côté, et les auteurs à plein temps les plus précaires, « donc, les auteurs les plus pauvres, les plus jeunes ou les retraités », déplore-t-il.
Pour la présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, Samantha Bailly, la situation dérive totalement : « Nous avons assisté tout cet été à des concertations où nos questions n’ont pas trouvé de réponse. Là, la réponse est soudain donnée via une réponse de l’Assemblée Nationale, sans même que ce soit signalé aux organisations d’auteurs. »
Le courrier du 26 septembre 2017 promettait que la situation de vacance de la gouvernance AGESSA/MDA serait corrigée au plus vite. Rappelons que les conseils d’administration sont suspendus depuis 2014. Les auteurs sont donc bel et bien exclus des décisions de réformes les concernant.
« On apprend par une réponse à une question écrite quelle sera la modalité pérenne de compensation de la CSG ! » s’offusque un auteur de BD. « On se demande vraiment à quoi ont servi ces concertations, si ce n’était pas au moins pour nous informer un minimum. On nous parlait aussi en juillet d’un rapport sur la CSG qui serait rendu public… qui jamais il n’a été communiqué. »
Le 9 juillet dernier, le Ministère de la Culture promettait une grande mission prospective sur l’avenir des auteurs. Toujours rien à l’horizon.
« Les fiches d’évaluation préalables des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale exposent “l’obsolescence” des systèmes d’information des organismes agréés et leur peine à procéder aux recouvrements. Ces difficultés ne nous incombent en rien, auteurs, elles nous portent et nous ont porté préjudice », insiste Samantha Bailly. (voir ici)
« Les associations d’auteurs n’ont cessé de demander des corrections de fonctionnements, ont alerté mille fois sur la perte d’annuités. Les mesures qui ont été prises récemment sont des mesures de régulation. Nous pourrions nous réjouir qu’enfin l’on se penche sur notre sort, si ces mesures prises sans concertation n’avaient pas des conséquences aussi graves sur les auteurs du livre. »
Et de déplorer qu’à aucun moment, « les impacts n’ont été mesurés sur la population que nous formons. Il y a bel et bien un manque de vision politique globale nous concernant. Il est plus qu’urgent d’y remédier. Qui va prendre cette grande mission prospective en main, et nous permettre, auteurs du livre, de pouvoir tout simplement continuer d’écrire et de dessiner dans des conditions décentes ? »
À côté de cela, c’est la « qualité » de service de la sécurité sociale des auteurs qui est mise sur la place publique. Des auteurs affiliés témoignent de leurs difficultés à faire valoir leurs droits élémentaires, à savoir, un congé maladie par exemple. Un mois par exemple que Sophie Dieuaide, auteure jeunesse, tente de toucher ses indemnités. Elle partage les réponses incongrues de la sécurité sociale qui ne semble même pas savoir ce qu’est un auteur... un parcours digne d’un roman de Kafka.
J'ai paaaaaaaaaaas d'employeur !!! Plus d'un mois que ça dure. Plus de cotiz pour les auteurs, mais on ne nous connaît toujours pas. #payetonauteur#auteursencolere@CharteAuteurs@MinistereCC@franckriester@DumasFrederique@LigueAuteursPropic.twitter.com/vPMH0hFsYr
— Sophie Dieuaide (@DieuaideSophie) November 7, 2018
« Ça ne peut plus durer comme ça », lance une autrice de littérature générale. « On se fait balader. On n’en peut plus. Que le gouvernement lise le constat de la Ligue des auteurs professionnels, et que notre situation soit vraiment étudiée dignement. Le président de la République a affirmé qu’il fallait prendre soin des auteurs, c’est le moment de le prouver ! Tous ces bricolages sont indignes d’un pays comme la France. »
« J’aimerais que les “écrivains connus” nous rejoignent en masse afin que le gouvernement sache qu’il a face à lui tous les écrivains de langue française », pousuivait Joann Sfar. « Mille mercis non seulement de vous inscrire à la Ligue des Auteurs Professionnels, mais aussi d’entrer en contact avec nos administrateurs afin d’ajouter votre voix et votre aura à ces démarches qui n’ont qu’un but : permettre que perdure le miracle d’un pays où l’on peut dire “faire des livres est un métier”. »
4 Commentaires
NAUWELAERS
12/11/2018 à 23:58
Bonjour,
De tout coeur avec les auteures et auteurs !
Mais la situation des correcteurs (et correctrices fatalement) n'est pas plus brillante.
Ici en Belgique le groupe de presse IPM sous-traite depuis quelque temps la correction à une boîte...suisse qui se fait appeler CopieQualité...
Et qui a précipité les rémunérations déjà insuffisantes voire étiques d'il y a dix ans -13 euros/heure à «La Libre Belgique» en 2008-...à une dizaine d'euros l'heure en 2018...!
Un scandale qu'on ne dénonce pas (encore) ici, vu l'absence d'organisation ou syndicat qui défendrait les intérêts de cette profession si nécessaire et qui se porte si mal.
Quant à la qualité...
Bien qu'amoureux de notre langue je rappelle le fameux proverbe très juste:
«If you pay peanuts you get monkeys» !
Un pro digne de ce nom ne doit pas seulement maîtriser la langue sous tous ses aspects (orthographique, syntaxique, stylistique,typographique, etc.)mais disposer d'un minimum de culture générale qui évite de laisser des énormités telles «Jimmy Hendricks» ou «Philippe Roth»,des citations tronquées, etc.
Et les «correcteurs précaires» (surtout correctrices) en France sont à bout également !
Sinon bravo pour le site et belle surprise d'y trouver le nom de...Marcelle Auclair, une écrivaine effectivement si connue naguère voire jadis !
Quel plaisir et bonne continuation !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Jack41
13/11/2018 à 12:38
Concrètement ça change quoi pour les auteurs ?
L'article n'en dit mot.
charier
13/11/2018 à 21:55
soutien d'une auteure inconnue qui vient de perdre son éditeur pour cause de décès.
Alma
19/11/2018 à 23:17
Amis auteurs,
Le 6 novembre dernier, j'ai reçu le mail ci-dessous en provenance de l'AGESSA.
Je sais que malheureusement d'autres auteurs, pourtant affiliés à l'Agessa, avec des revenus supérieurs au seuil, n'ont pas reçu ce mail.
Bonne soirée,
Alma
+++
Conformément à ses engagements, le Gouvernement met en place une aide financière* à destination des artistes-auteurs afin de compenser la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) au 1er janvier 2018.
Cette aide s'adresse aux artistes-auteurs redevables de cotisations en 2018 et dont le compte est à jour pour les périodes concernées**.
Nous vous informons que vous êtes éligible à cette aide.
Les modalités de calcul de l'aide : Le montant de l'aide est égal à 0,95