Trierweiler, Valérie. Femme trompée, femme trahie, et femme à succès, pour son livre contant l'histoire même de cette trahison. Avec Merci pour ce moment, les éditions des Arènes ont réussi le coup de maître de la rentrée, mais ont également fourni à toute l'édition matière à réfléchir sur l'édition numérique. Il est évident que, pour les prochaines années, le cas du piratage dont le livre a fait l'objet restera dans les annales – peut-être pas 70 ans après la mort de l'auteur, toutefois...
Le 29/09/2014 à 09:36 par Nicolas Gary
Publié le :
29/09/2014 à 09:36
ActuaLitté s'est très rapidement intéressé à cette diffusion alternative, qui avait, dès la sortie de l'ouvrage, pris des formes multiples. Alors même que l'ebook officiel n'était pas encore mis en vente, un fichier PDF et un autre au format EPUB ont circulé, que ce soit sur les réseaux Torrent, en téléchargement direct, par envoi d'emails, ou par l'intermédiaire d'une plateforme de publication de document et lecture en streaming, Scribd. Très rapidement, selon les rares données disponibles, le nombre de téléchargements a fait exploser les compteurs de ce que l'on connaissait, remettant en cause ce que l'on pouvait croire de la lecture numérique. Après trois semaines de commercialisation et de circulations illicites, les résultats étaient sidérants.
Symbole ou symptôme des souffrances de la République, Merci pour ce moment est avant tout un cas d'école pour l'édition. Sollicitées par ActuaLitté, les Arènes nous précisent en effet que la rupture de stock de l'édition papier a fait bondir les ventes numériques. « Durant les cinq premiers jours, les ventes ont connu un fort décollage, à 12.000 exemplaires. Puis 13.000 autres, sur les 10 jours suivants, lorsque le réassort papier a été assuré. En revanche, nous avons vendu 139.000 exemplaires papiers sur la première période, en France, Belgique et Suisse, puis, nous sommes passés, quand le livre est redevenu disponible, à 420.000 exemplaires », nous explique la maison.
Sidérant. Car, en effet, la rupture de stock semble bien démontrer que le public s'est reporté sur le format numérique, « toujours disponible, sans frontières », mais les achats se sont immédiatement calmés, dès que le papier est revenu.
100.000 exemplaires en toute discrétion
Le livre découle d'une savante orchestration : fabrication tenue confidentielle, y compris pour le Québec, avec une impression réalisée via un prestataire spécialisé, pour justement assurer la commercialisation simultanée avec l'Europe. Une mise en place colossale, 100.000 exemplaires, à laquelle les librairies n'ont pas vraiment cru – avant de comprendre leur erreur, en regard de l'enthousiasme des lecteurs, et de la presse. Par ailleurs, aucune promotion n'a été effectuée, et bien doué le journaliste, le plateau télé ou la radio qui aurait pu obtenir une réaction de l'auteure durant cette période. L'unique commentaire est venu de Twitter, le 21 septembre
Très touchée par vos nombreux messages sur twitter et facebook, et vos lettres de sympathie après la lecture de #MerciPourCeMoment.
— Valerie Trierweiler (@valtrier) 21 Septembre 2014
De quoi entretenir le mystère, puisque, sans auteur à solliciter, et avec de rares apparitions de l'éditeur, Laurent Beccaria, dans la presse, l'objet devenait une sorte de Graal. « D'ici à ce qu'on lui prête des vertus curatives pour les aveugles... », commente, sarcastique, un libraire parisien, qui avait justement raté le coche. « Je reconnais que je n'y ai pas cru, et quand on m'a proposé un livre mystère, j'ai pensé à celui de Cécilia Attias [anciennement Sarkozy], et son flop. J'ai préféré décliner. » Et s'en mordre les doigts.
"On n'en a pas fini avec le livre papier, avant longtemps. Il va s'en vendre sans doute plus de 600.000 ce qui en fera la meilleure vente de l'année et un record pour un document depuis trente ans"
De quoi d'ailleurs, entretenir l'idée, chez les libraires indépendants, que Hachette distribution a privilégié les grandes enseignes. Idée fausse, ou plutôt inaexacte : ceux qui ont eu le flair ont été abondamment servis. Et les réassorts, autant que les livraisons, ont été plus chaotiques, dès lors que l'embrasement avait pris. « On ne peut pas non plus négliger que les 20 € dépensés, ce sont 20 € que l'on ne mettra pas dans un autre livre ce mois-ci, ni, peut-être, le mois prochain. Les dégâts pourraient être importants pour l'édition. » Jean-Luc Solé, maître de conférence à Science po Paris le décortiquait dans Les Échos :
500 000 ventes à 20 euros l'ouvrage, ce sont 10 millions d'euros dans un marché mensuel du livre en France de 225 millions environ (2,7 milliards d'euros de ventes de livres en 2013 – chiffres du SNE/Syndicat national de l'édition –, en baisse d'une année sur l'autre). Cela signifie que, en cette rentrée littéraire, nombre d'ouvrages moins médiatisés en feront les frais.
La part du budget moyen des ménages consacré au livre se situe à moins de 0,5 % de ses dépenses, selon la dernière enquête disponible (source INSEE, "Le recul du livre et de la presse dans le budget des ménages", août 2009), soit environ 15 euros par mois. Un montant qui n'est pas extensible, bien au contraire, et les composantes du budget loisirs des Français restent relativement constantes (par mois, une sortie au cinéma, un ou deux livres, un repas au restaurant).
Une diffusion pirate idéologique inédite, atypique
Mais voilà : « On n'en a pas fini avec le livre papier, avant longtemps. Il va s'en vendre sans doute plus de 600.000 ce qui en fera la meilleure vente de l'année et un record pour un document depuis trente ans », observe une personne proche de l'affaire. Merci pour ce moment, à même de guérir les lépreux ? On y croirait presque. En tout cas, en mesure de réaliser un chiffre d'affaires qui ferait de Valérie Trierweiler une millionnaire, si l'on se fie au Figaro. « Paradoxal : elle met un coup de pied dans la fourmilière de la gauche caviar, tout en devenant une star de l'édition, avec des droits d'auteurs significatifs, pour dire le moins », nous précise un élu, siégeant à l'Assemblée.
Par Jeremy Rozier, du Cesan (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Mais revenons un instant à ce piratage sidérant. On parle de spectaculaire, quand on est dans le secteur de l'édition, mais il est avant tout inédit pour deux raisons : la première, nous l'avons évoquée, s'explique par cette rupture de stock, et donc la précipitation vers l'offre légale, autant que l'offre illégale. On ne peut cependant pas négliger la responsabilité des moteurs de recherche dans le téléchargement pirate. Toute demande effectuée via Google pointe, aujourd'hui encore, vers des sites de téléchargement direct, pour lesquels nul besoin de sortir sa carte bleue.
L'autre élément, certainement pas négligeable, s'est développé sur des sites officiellement opposés à François Hollande, voire franchement hostiles, une circulation inattendue. Il était encore possible sur des sites se revendiquant du Front de gauche, ou de l'UMP, sans en être des représentants officiels, de se voir proposer des téléchargements de PDF déployés à tous les vents. Nous l'avons également observé sur des sites proches de la Manif pour tous, et sur des blogs plus modérés : un simple lien, ou un fichier en téléchargement direct.
COMBIEN ? 600.000 exemplaires vendus ?
Jean-Marc Ayrault, CC BY 2.0
L'argument moteur était de ne pas se délester de 20 € pour acheter le livre, que l'on retrouvait amplement sur des réseaux sociaux, où les utilisateurs n'avaient pas non plus peur de proposer le PDF pour les moins au fait, des EPUB pour les plus avisés. Impossible de déterminer si ce sont les mêmes groupes hostiles qui sont à l'origine des vagues d'envois d'emails, par lesquels a circulé un fichier PDF, le plus souvent, avec un nombre de destinataires soigneusement dissimulé. Ce piratage idéologique – dénigrer Valérie Trierweiler, attiser la rancœur contre François Hollande, et son gouvernement par extension, etc. – s'est donc retrouvé exacerbé, aux côtés de celui qui ne souhaite que profiter d'une œuvre gratuitement.
L'impact sur les ventes, comme toujours, reste la grande interrogation. Distinguer les lecteurs qui n'auraient jamais acheté, les ventes perdues, ou encore intégrer la dimension promotionnelle que le piratage a pu entraîner sur le bouche-à-oreille est inquantifiable. Ce qui s'impose, de toute évidence, c'est que la circulation des exemplaires papier de main à main et des fichiers piratés permet d'envisager que le livre a touché, en moins de 21 jours, un nombre impressionnant de lecteurs.
Un expert que nous avions sollicité estimait que le prix de vente de l'ebook avait également sa part dans le piratage. Mais l'éditeur, sollicité sur ce point, n'est pas aussi formel. « Évidemment : à 5 €, nous aurions vendu plus d'ebooks... et de même si nous avions proposé le livre directement en poche à 5 € également ! »
On aurait presque le tournis d'imaginer que deux millions d'exemplaires auraient pu être achetés. « L'arbitrage ebooks papier se discute plutôt autour de 10 à 15 €. À 10 ou 12 € on aurait vendu plus de ebooks, c'est sûr. Mais tellement plus ? La question est ouverte. De même je ne suis pas convaincu qu'à 15 € on aurait vendu plus de livres papier qu'à 20 €. Quand le désir est fort, il n'y a pas d'élasticité du prix », estime la maison. Comprendre : le piratage que nous qualifions d'idéologique par envoi d'emails collectifs – distinct de celui effectué à titre personnel – n'aurait aucun lien avec le prix. Il s'agirait plutôt d'une logique d'attraction/répulsion pour le livre.
Étymologiquement, Valérie vient du latin valere, verbe signifiant être fort ou avoir de la valeur. Le livre démontre que, dans les deux cas, il a brillamment porté le nom de son auteure, en dehors de toute considération artistique.
À ce jour, selon Torrent411, plus de 51.000 ebooks pirates ont été téléchargés.
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