Avec François Hourmant (François Mitterrand, le pouvoir et la plume) et Xavier Darcos (Une anthologie historique de la poésie française). Animé par Jean Antoine Loiseau.Une conférence qui se déroulait sur le stand de PUF, la maison qui publie les ouvrages des deux hommes.
J-A.L : Pourquoi cette attirance, cette passion de l'homme politique pour la littérature ?
X.D. : La question est vaste car beaucoup d'écrivains sont devenus politiques (Chateaubriand, Hugo, Lamartine...) et autant d'hommes politiques sont intéressés par l'écriture, comme Mitterrand.
Benjamin Constand reprenant Camille des Moulins disait "je veux faire pression sur le réel, et je verrai si je ferai de la politique ou de la littérature". Cette idée résume, au travers de l'action publique et de l'engagement, le dédoublement d'une présence dans la vie publique et de la manifestation par l'eécriture. Presque tous les hommes politiques du XIXe siècle ont été de grands écrivains et il n'y a pas un écrivain majeur de cette époque qui n'ait tâté la politique. Les deux fonctions renvoient au même désir de laisser une trace.
F.H. : Je suis d'accord. La question de laisser une trace, de l'immortalité, est essentielle. On peut contextualiser, trouver des variables, des causes à cela, car il s'agit d'une spécificité française. Le tropisme littéraire au sommet de l'Etat ne se retrouve pas aux Etats-Unis ou en Angleterre.
Sans entrer dans trop de considérations historiques, on peut invoquer dans ce tropisme des écrivains qui font de la politique et réciproquement ; le rôle joué par l'écriture dans l'absolutisme ; et l'instrumentalisation des arts, notamment, au travers de l'Académie à la gloire de louis XIV.
Il faut également considérer la société de Cour et le développement de l'art de la conversation dans les salons du XVIIIe. Il s'agit d'un pôle de fixation qui a posé les prémices de cette spécificité et de cette tradition.
X.D. : Je souscris à cela, en distinguant deux situations. Il y a d'abord le modèle Louis XIV, avec la dépendance de l'écrivain au pouvoir, la domestication du talent par les aides et pensions ou les titres de toutes natures. Cette dépendance est marquée financièrement, ce qui implique une gravitation de la littérature dans la politique. Une autre considération est celle du génie et du talent qui considère que sa conquête du monde passera et par la littérature et par la politique. Comme Hugo ou Churchill, qui ont considéré que leur entrée dans le monde présupposait ces deux choix.
J-A.L : Peut-on parler de sacralisation ?
F.H. : Incontestablement, et qui alimente la figure d'excellence. Il y a une dimension laudative de l'écrivain, qui émerge au XVIIe siècle. Puis au XVIIIe et plus encore au XIXe siècles, la figure de l'auteur est le poète, pas le romancier (ce qui change surtout au XXe siècle).
La thématique de l'invocation est ainsi très présente, qui fait accéder l'écrivain à un univers inaccessible à l'entendement commun sans la médiation d'exégètes autorisés.
X.D. : c'est une question que je me suis toujours posé. "Le sacre de l'écrivain" : est-ce que les auteurs croyaient à ça ? Est-ce que Hugo croyait à mission supérieure du poète ? je ne sais pas. En tout cas, quel que soit le degré d'authenticité de ces postures, on voit que l'écrivain considère avoir quelque chose à faire dans la politique avec l'écriture, mais même qu'au travers de l'écriture il devient un phare, les peuples ayant besoin de ces lumières pour progresser. Il y a une posture de cet ordre chez Alfred de Vigny, qui estimait que s'il n'était pas là le monde aurait été plus obscur. Il s'agit bien d'une posture des phares, reprise par Baudelaire.
J-A.L : De Gaulle était également un grand écrivain. Le goût de François Mitterrand pour les lettres renvoie-il à une posture face à de Gaulle ?
F.H. : C'est une question intéressante. Il y a la singularité exceptionnelle de sa trajectoire, mais Mitterrand est aussi le révélateur d'un champs d'inspiration. On ne comprend pas sa trajectoire politique et littéraire si on ne considère pas sa dimension gaulienne, d'opposant, avec le Coup d'état permanent.
X.D. : Sans aucun doute François Mitterrand s'est situé par rapport au Général de Gaulle qui était un auteur très lyrique, très imposant et très brillant. Peut-être aussi concernant François Mitterrand y-avait-il aussi une forme "d'archaïsme" dans la relation à autrui, avec une méfiance vis-à-vis des médias modernes, et sa Lettre aux Français en 1986. Il avait une manière de correspondre classique, tout comme l'étaient ses goûts littéraires. Nous savons aussi, notamment grâce à monsieur Hourmant, qu'il aurait aimé embrasser une carrière littéraire, en disant "je me sentais plutôt fait pour être écrivain, j'en avais le caractère à défaut du talent, mais les circonstances n'ont pas permis qu'il en soit ainsi".
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1 Commentaire
Grandmerveille
09/12/2018 à 11:40
Quelqu'un a-t-il la référence de la phrase de Desmoulins reprise par Benjamin Constant?
"je veux faire pression sur le réel, et je verrai si je ferai de la politique ou de la littérature"."
Merci d'avance
@Xavier Durcos @Actualitté