L'Europe est une étrange contrée. Il y a quelques jours, le Vieux Continent s'émeut en apprenant qu'un condamné à mort a été torturé pendant 45 minutes dans l'Oklahoma, suite à une injection léthale ratée. Pour autant, Grande-Bretagne et France, pays des Lumières s'il en est, ne devraient pas se sentir légitimes pour donner des leçons, au regard de conditions de détention qui interdisent jusqu'à la lecture.
Le 16/05/2014 à 18:12 par Antoine Oury
Publié le :
16/05/2014 à 18:12
Cellule suroccupée d'une maison d'arrêt, photo extraite du rapport d'activités 2013 du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté
Outre-Manche, la situation a de quoi inquiéter au premier abord : Chris Grayling, Secrétaire d'État à la Justice, a proposé en novembre 2013 que les envois de livres aux prisonniers soient interdits. Le motif avancé : les ouvrages seraient devenu un mode de transport privilégié pour les substances ou objets illicites.
Évidemment, toute la communauté du livre s'est dressée contre l'initiative de l'homme politique : le taux d'alphabétisation des détenus frôle le 0 %, et les priver de livres n'aidera sûrement pas à l'améliorer. Grayling expliquait aux militants que les détenus n'étaient pas privés de lectures : libre à eux de s'acheter leurs propres ouvrages, ou bien de consulter ceux des bibliothèques des établissements pénitentiaires.
Toutefois, difficile d'imaginer que tous les détenus vont spontanément s'offrir des livres, ou encore que la bibliothèque contiendra des titres susceptibles de les intéresser. « [T]outes les privations de la vie moderne en prison sont atroces... mais elles ne sont rien comparé à privation totale de littérature pour ceux dont elle était auparavant primordiale - une façon de s'accomplir par laquelle l'intellect se sentirait vivant », expliquait Oscar Wilde, incarcéré à la prison de Reading (!). Mais tout le monde n'est pas Wilde.
Là encore, il y aurait de quoi pousser des cris d'orfraie, depuis la côte normande : le déclin de l'Île d'Albion semble bien avancé, pour qu'une mesure aussi stupide soit proposée et adoptée par un Secrétaire d'État à la Justice.
La cellule est toujours plus sombre chez le voisin
Mais en France aussi, prison ne rime plus qu'avec détention, et sûrement pas avec éducation. Inutile de citer Victor Hugo quand les droits d'accès à l'information et à la lecture, au rang des Droits de l'Homme, sont systématiquement refusés aux détenus. Pas par des interdictions, mais par un état de fait : l'état de délabrement des prisons françaises, suroccupées, est connu, mais leurs services sont également insuffisants.
Ainsi, le rapport d'activités 2013 du contrôleur général des prisons, publié fin avril, pointait d'innombrables manquements dans l'accès des prisonniers à l'information, des dernières actualités aux propres lois régissant leur incarcération ! Plus triste encore était la constatation que, même avec toute la bonne volonté du monde, il reste quasi-impossible de lire en prison : « Si la cellule est orientée au Nord et la fenêtre obstruée par des caillebotis et des barreaux, la lumière du jour, filtrée, n'entre pas suffisamment pour permettre la lecture surtout si la fenêtre est placée en hauteur, ce qui est souvent le cas dans les établissements anciens. »
Aurélie Filippetti avait fait de 2014 « l'année des bibliothèques », et promis des mesures spécifiques pour les prisons françaises, afin de rectifier une situation catastrophique pour les employés des centres. Manque d'effectifs, de moyens, de locaux... Tout est à revoir. Pourtant, aucune annonce, aucun communiqué n'a suivi la publication de ce rapport d'activité 2013 accablant.
D'autres pays ont pu comprendre l'intérêt que la lecture pouvait présenter pour la réinsertion des détenus : l'Italie planche ainsi sur des remises de peine accordées aux prisonniers qui se montrent grands lecteurs, avec une limite de 48 jours de remise de peine. Aux États-Unis, ce pays de barbares sadiques adeptes de la torture, ce sont même des policiers qui distribuent les livres.
Mais bon, on va y aller doucement...
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