La perspective d'un reconfinement, à partir de ce 30 octobre, n'enthousiasmait personne, mais les libraires français encore moins. Aux mois difficiles s'ajoute la perspective de perdre une importante part de leur chiffre d'affaires, réalisée dans les dernières semaines de l'année. Enfin, l'autorisation d'activité accordée aux enseignes Fnac, aux hypermarchés ainsi qu'aux librairies-papeteries termine de décourager. Certains libraires ont fait le choix de désobéir aux injonctions gouvernementales, et de garder leur commerce ouvert au public.
Fermer les librairies pour plusieurs semaines représentait déjà une épreuve pour beaucoup : apprendre que des enseignes comme la Fnac, des supermarchés, mais aussi certaines librairies restaient ouverts en raison de la vente d'équipements informatiques, de denrées alimentaires ou de journaux, a constitué un véritable affront pour la profession.
Le décret relatif aux mesures de lutte contre l'épidémie de coronavirus, confirmé par des déclarations du gouvernement, a classé les librairies parmi les commerces non essentiels, les autorisant toutefois à pratiquer la commande et le retrait, sur le pas de la porte. L'accueil des clients dans les lieux, lui, reste strictement interdit.
Le ministre de l'Économie et de la Relance, Bruno Le Maire, a laissé une porte ouverte : dans une intervention, il a assuré que la situation des librairies serait réévaluée dans 15 jours. Mais, pour plusieurs libraires français, cela n'est pas suffisant : ils ont donc décidé de braver l'interdiction, et d'accueillir des clients dans leurs boutiques.
Quelques heures avant les annonces présidentielles, confirmant pour la première fois l'hypothèse d'un reconfinement de la population, le Syndicat de la Librairie française, le Syndicat national de l'édition et le Conseil Permanent des Écrivains diffusaient un message pour demander le maintien de l'ouverture des librairies. Peine perdue : depuis la confirmation de la fermeture au public de ces commerces, une forte mobilisation s'observe cependant.
Samuel Chauveau, gérant de la Librairie Bulle, au Mans, a décidé de s'engager plus franchement : depuis ce matin, malgré les consignes en vigueur, son commerce accueille des clients. « Nous avons ouvert la grille devant France 3 et d'autres journaux locaux », nous explique-t-il. Au cours d'une conférence de presse, avec protection et distanciation, lui et son équipe de 13 personnes ont précisé leurs motivations.
« Ce n'est pas une résistance contre ce qu'il se passe avec la pandémie, contre les mesures sanitaires. Nous avons fermé une première fois, alors que la grande distribution était déjà ouverte, en début d'année », nous rappelle-t-il. Ce qui a décidé le commerçant à réagir, c'est bien la distorsion de concurrence créée par l'ouverture des enseignes Fnac — celle du Mans se trouve à une centaine de mètres de la Librairie Bulle — et de la grande distribution.
« Il faut que tout le monde reste logé à la même enseigne : pour quelles raisons certains pourraient-ils travailler et d'autres non ? La fautive n'est pas la Fnac, à la limite, j'en veux plutôt au gouvernement : comment la ministre de la Culture peut-elle défendre cette décision, assumer cette distorsion économique et commerciale ? Je suis désolé de le dire, mais elle était plus efficace aux Grosses Têtes », souligne Samuel Chauveau.
Une fermeture des librairies, à quelques semaines des fêtes de fin d'année, laisse craindre une vague de faillites et des difficultés économiques encore plus importantes, dans un secteur déjà touché par le premier confinement et la crise sanitaire.
Les ventes de livres ont connu un regain, depuis la fin du premier confinement, mais celui-ci reste inégal selon les commerces et les territoires. Fabienne Van Hulle, de la Librairie Place Ronde de Lille, a elle aussi décidé de garder sa boutique ouverte au public, notamment pour des raisons économiques. « J'avais réussi à rattraper mon chiffre d'affaires au 30 septembre, suffisamment pour régler mes charges de la période, mais les ventes ont brutalement ralenti en octobre, et le chiffre d'affaires s'est trouvé menacé par les annulations de salons, de tables extérieures et des événements en octobre », note-t-elle.
La libraire déplore aussi le peu d'aide financière reçue : 1500 € en mars et avril dernier, versés par le gouvernement, puis 1155 € d'aides du Centre national du Livre. Au pied du mur, elle explique n'avoir d'autre choix que de braver l'interdiction : « À 57 ans, je ne trouverai pas d'emploi ailleurs. À 51 ans, j'ai été licenciée, j'ai traversé la rue, pour ouvrir ma librairie en 2018. Je ne reculerai plus. »
Pour les libraires qui décident de garder leur boutique ouverte, la possibilité laissée par le gouvernement d'organiser un service de commandes et de retraits en boutique n'est pas suffisante. « C'est un petit pansement sur une plaie énorme », explique Samuel Chauveau, « qui ne représente que 5 % du chiffre d'affaires mensuel et mobilise quand même des gens pour préparer les commandes ».
Pour Fabienne Van Hulle, cette solution présente des carences sur un plan humain. « Depuis la réouverture de la librairie, après le premier confinement, je vois mes clients s'asseoir, ouvrir leurs coeurs et se confier. Dans une librairie, le libraire est une sorte de confident, on entretient une relation particulière avec lui. Le contact humain est nécessaire. »
Les libraires choisissant d'ouvrir leur boutique nous précisent ne pas chercher à remettre en cause les mesures sanitaires ou la protection des populations, ni même le confinement, sur un plan personnel. Au contraire, Samuel Chauveau et Fabienne Van Hulle ont pris un soin particulier à faire respecter les mesures sanitaires dans leurs librairies.
« J'ai travaillé avec le conseil municipal de Lille et Martine Aubry, ainsi qu'avec l'association des commerçants de Lille, pour mettre en place un protocole sanitaire strict, respecté à 100 %. Quand je vois comment cela se passe dans les grandes surfaces, je ne peux pas admettre de fermer mes portes », indique Fabienne Van Hulle. D'après elle, « Bruno Le Maire ne peut pas nous renvoyer à la position du SLF, qui soutenait la fermeture, pendant le premier confinement. Depuis, la profession a appris, y compris au niveau des mesures sanitaires. »
À la Librairie Bulle, les mesures sont aussi très strictes, avec un accueil limité à 3 personnes et un accompagnement des libraires pour rendre plus simples et plus rapides les choix de lectures des clients.
La principale motivation des libraires reste la lutte contre « une injustice » : « Le principe devrait être : si tu as le droit de vendre, j'ai le droit de vendre, il faut être cohérent », résume Fabienne Van Hulle.
Plusieurs libraires ont emboîté le pas à la Librairie Bulle : outre Place Ronde, on compte notamment La Comédie Humaine, à Avignon ou encore la Librairie Café La Vagabonde de Tours. D'autres pourraient suivre, sans certitude quant aux sanctions risquées. « Même en cas d'amende ou d'interdiction administrative, on ne laissera pas tomber », garantit Samuel Chauveau, soutenu par l'intégralité de son équipe.
Migennes (7000 habitants, Yonne). Le maire autorise, par arrêté, les commerces non alimentaires à rester ouverts.
— Olivier Razemon (@OlivierRazemon) October 30, 2020
Motif: l'inégalité de traitement, alors que les zones commerciales continuent à vendre des produits "non essentiels".
La France peut cesser de tuer ses villes. pic.twitter.com/iCqzcnpICl
Fabienne Van Hulle, de son côté, suggère à Martine Aubry d'intervenir, à l'image de ce maire de Migennes, dans l'Yonne, qui a pris un arrêté pour maintenir l'activité des commerces non alimentaires. Une initiative louable, mais qui risque fort d'être annulée par un tribunal administratif en cas de contestation.
Anne Martelle, présidente du Syndicat de la Librairie française (SLF), nous précise que l'organisation n'a pas encore abordé la question de ces ouvertures maintenues. « Je peux comprendre l'exaspération des libraires, mais le rôle d'un syndicat n'est pas de mettre de l'huile sur le feu, mais de chercher des solutions. » À ce titre, elle nous précise que les discussions avec les ministères de la Culture et de l'Économie se poursuivent, sur le sujet.
« Nous essayons de faire le maximum, pour obtenir la réouverture des librairies ou la limitation des espaces de ventes », continue Anne Martelle. Sont visées les grandes surfaces spécialisées et les grandes surfaces alimentaires, où « il y a une concurrence injuste ». En cas de non-réouverture des librairies, un gel des ventes de livres deviendrait une solution envisageable, « même s'il n'est jamais bon, pour l'édition, de ne pas vendre de livres. Il faut penser aux librairies de centre-ville, qui font face à des Fnac Darty. »
La légalité de la vente de livres dans les magasins Fnac Darty, qui bénéficient d'une dérogation pour la vente d'articles de papeterie et d'équipements informatiques, reste en tout cas la grande question : « Pour l'instant, il existe ce que l'on appelle une tolérance », termine Anne Martelle.
Le Syndicat de la Librairie française vient d’obtenir du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, la fermeture des rayons livre de la Fnac et de la grande distribution. Avec d’autres mesures à venir.
Photographie : illustration, Librairie Le Cheval Crayon, Caen (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
4 Commentaires
Jean
30/10/2020 à 17:48
Ayant eu la malchance de devoir aller à Paris la semaine dernière, j'ai pu voir (non sans ahurissement) pourquoi cette épidémie se propage: restaurants bondés, par aérés, gens mangeant au coude à coude à l'intérieur. Je ne parle même pas des gens qui portent le masque avec le nez dehors, et à qui j'ai juste envie de donner une paire de claques. Cette épidémie se propage grâce à la bêtise humaine.
Les librairies étant un antidote radical à la bêtise, elles doivent donc rester ouvertes.
Pinocchio
31/10/2020 à 07:21
Êtes-vous conscient que le nez dehors n'engage en rien la propagation de la maladie ? Le masque sert à « protéger » les AUTRES du porteur, pas le porteur ! Ou alors, il faudrait tous qu'on ait des masques FFP3 et une combinaison intégrale.
De toute façon, tout ça est bien inutile : une épidémie se propage, quoi qu'il arrive. Il aurait fallu faire comme en Italie et renforcer pendant des mois la structure hospitalière pour faire face.
Qu'a fait le gouvernement pendant ce temps ? Il a continué à fermer des lits...
Mais dormez bien, braves gens : restez chez vous comme l'impose ce gouvernement fantoche. Il parait que c'est pour votre bien. La preuve ? C'est ce que dit le gouvernement lui-même !
Nadine
15/11/2020 à 21:31
Bien sur que le nez dehors augmente la propagation du virus,par ce qu'il peut contaminer son environnement et autrui en éternuant,c'st pourquoi il faut que tout le monde porte le masque correctement sur le nez et la bouche ,pour etre protégé par l'autre et pour protéger l'autre
Jean
31/10/2020 à 10:23
"Êtes-vous conscient que le nez dehors n'engage en rien la propagation de la maladie ?"
En lisant des âneries comme ça, on comprend que l'épidémie se répande...