Dans le cadre du grand dossier que proposait Pages de Bretagne, les Boîtes à livres devenaient les stars des agglomérations, communes et villes. Les habitants, inspirés par ces outils tant de recommandation que de découverte, s’emparent en effet de projets sociaux, autant que culturels. Mais voilà : il y a toujours les questions qui fâchent...
Trébeurden, place de Crec’h Hery Gare routière, Rennes, © LLDR
Au Troc’lavoir de Morlaix, on trouve régulièrement des livres religieux. « Les religieuses du Carmel d’à côté les déposent, explique Martine Priser qui trie et range le lieu. On a eu des réflexions à ce sujet, on a répondu qu’on n’a pas à juger. »
Les Livres des Rues proposent quelques règles à ce propos : « Il est important de porter un regard sur l’offre proposée en évitant toute forme de prosélytisme ou de propagande. Une neutralité bienveillante est de mise. Il faut permettre au lecteur de trouver son bonheur, quel que soit son niveau de lecture ou ses goûts. »
Du côté du Lions Club, l’appréciation est plus stricte : « Il faut veiller à ce que les livres ne fassent pas de prosélytisme religieux ou politique, qu’il n’y ait pas de livres à connotation sexuelle », indique Françoise Henssien du Lions Club de Perros-Guirec.
Parce qu’elles excluent l’échange marchand, les boîtes à livres sont parfois utilisées pour remettre en cause le capitalisme. C’est ainsi qu’on les a rencontrées lors du mouvement Occupy Wall Street avec sa People’s library en 2011, de celui des Indignés de Madrid en 2012, sur la place Gezi à Istanbul en 2013 ou Nuit Debout en 2016, avec ses BiblioDebout à Paris, Lyon, Toulouse ou Rennes.
Dans un autre registre, à Chantepie, les élus de l’opposition municipale de gauche ont installé six boîtes sur le territoire de la commune. On observe toutefois que des collectivités dirigées par des élus aux opinions diverses mettent en place des boîtes à livres et que celles-ci tendent à perdre leur connotation politique initiale.
Les gestionnaires de boîtes à livres en conviennent : la plupart des livres ne reviennent pas dans la boîte. Aussi espèrent-ils qu’ils poursuivent leur chemin à la manière du bookcrossing ou qu’ils trouvent un foyer accueillant. Mais parfois, les disparitions de livres sont trop massives ou trop régulières pour être honnêtes. En septembre à Plougastel-Daoulas, quatre-vingt-dix ouvrages se sont envolés de la cabine téléphonique transformée en bibliothèque de rue.
« Le seul bémol du projet, c’est quand nous nous sommes aperçus qu’une personne prenait les livres avec sa camionnette et les vendait, rapporte Éliane Huault, directrice de la médiathèque d’Auray. Donc, nous avons fait faire un tampon qui dit que le livre n’est pas à vendre, mais à échanger. Et les livres ne disparaissent plus de cette façon. »
De la même façon, l’étiquetage des Livres en balade du côté de Cancale permet de communiquer sur cette action et gêne leur éventuelle revente.
L’association des Livres des Rues en fait autant avec double tamponnage « Interdit à la vente » et « Ne m’achetez pas, ne me vendez pas, échangez-moi contre un autre livre. Je suis de la bibliothèque de rue ».
Quand le maire d’Auray a reçu le projet de boîtes à livres des lycéens de Kerplouz, il les a mis en relation avec la médiathèque municipale puis, alors que le projet se concrétisait, il en a informé les libraires de la commune. Selon la bibliothécaire, Éliane Huault, les commerçants n’ont pas pris ombrage de cette initiative.
Dominique Fredj, propriétaire de la librairie Le Failler à Rennes, ne voit pas de raison d’opposer librairie et boîte à livres : « Depuis la loi Lang sur le prix du livre, il n’y a pas de concurrence. Les boîtes à livres ne sont pas une concurrence, au contraire. Plus la présence des livres est importante, plus les gens lisent. La visibilité du livre crée son marché, cela arrive avec très peu de produits. »
À l’automne 2016, le centre communal d’action sociale de Plogonnec venait d’inaugurer la boîte à livres construite par les services techniques municipaux, dans un jardin en face de l’école, quand elle fut vandalisée, que des livres furent brûlés et que des éléments d’une aire de jeux pour enfants furent dégradés sous l’effet de la chaleur.
Si les incivilités sont finalement rares, la Ville de Rennes a préféré s’en prémunir en installant un mobilier urbain robuste en métal.
Martin Guttmann, l’un des artistes qui a initié les boîtes à livres, a cherché une explication au respect qu’elles rencontrent. « En Autriche, comme dans les pays catholiques, on trouve de petites chapelles au bord des routes quand il y a eu des accidents, explique-t-il. Elles ne sont jamais vandalisées. Pourquoi ? Elles sont intelligemment intégrées dans le paysage et nous avons fait la même chose quand nous avons cherché les endroits pour poser les boîtes à livres. »
en partenariat avec Livre et lecture en Bretagne
1 Commentaire
Libraire
08/06/2018 à 13:44
On peut être libraire et considérer que les boîtes à livres participent d'une dévalorisation du livre. Si le phénomène prenait de l'ampleur, ce serait un problème considérable pour l'économie du livre (or, comme certains l'ont rappelé dernièrement, il faut payer les auteurs... et pas seulement eux).