Il est parfois bon de se replonger dans les archives accumulées pour comprendre un peu mieux les enjeux présents. Cette phrase trouvée par terre servira de délicate introduction pour revenir sur l'un des aspects de Gallica 2, la bibliothèque numérique de la BnF, qui, en mars 2008, annonçait qu'on trouverait dans ses colonnes des ouvrages sous droit, commercialisés par les bons soins de prestataires dûment choisis. Voici donc une genèse de l'histoire de ReLIRE...
Le 16/04/2013 à 18:03 par Nicolas Gary
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16/04/2013 à 18:03
Nous étions alors à quelques jours du Salon du livre de Paris, édition 2008, et la nouvelle faisait grand bruit. « Plus de 60.000 ouvrages patrimoniaux numérisés par la Bibliothèque nationale de France et 2.000 livres numérisés par une cinquantaine d'éditeurs partenaires seront disponibles en quelques clics », apprenait-on. À l'époque, Christine Albanel était ministre de la Culture, ReLIRE et le partenariat ProQuest, sur la numérisation et la commercialisation du domaine public n'étaient encore que de vagues idées...
Gallica 2 se destinait donc à offrir « un cadre à l'intérieur duquel, pour les éditeurs et les distributeurs, toutes les formules sont possibles : vendre ou louer un livre, ou bien donner seulement accès à un ou plusieurs chapitres ». Et durant un an à compter de son lancement, « il va nous permettre d'étudier les besoins et les comportements des internautes, de tester les différents modèles et de dessiner les contours de la nouvelle économie du livre ».
L'expérience devait même être, de l'avis du président de la BnF, Bruno Racine « sans équivalent dans le monde ». Amusant de se rendre compte qu'en janvier 2012, le Syndicat national de l'édition assurait que le projet de numérisation des oeuvres indisponibles était « une première en Europe ».
Gallica 2, intermédiaire vers un ebookstore
Le portail devait être expérimental, et pour l'occasion Serge Eyrolles, président alors du SNE, Benoît Yvert, président du CNL et Bruno Racine avaient présenté le futur service, avec une multitude de solutions s'adressant aux éditeurs et edistributeurs : location de livres, vente, consultation limitée à quelques chapitres. Le portail Gallica 2 devait être expérimental, et pour l'occasion le CNL débloquait une « aide pour la diffusion numérique de documents sous droits dans le cadre de la mise en œuvre de la phase test du prototype français pour une Bibliothèque numérique européenne ».
Denis Zwirn, PDG de Numilog, alors fraîchement racheté par Hachette Livres avait même réalisé une présentation en janvier 2008, pour présenter « le modèle économique de l'expérimentation Gallica 2 accessible aux éditeurs et les modalités d'usage prévues pour les internautes ». (voir sur le site du SNE) Isabelle Raymond-Bailly, de la commission juridique du SNE, avait d'ailleurs présenté un document (lien précédent), présentant les aspects juridiques :
La « révolution numérique » n'implique pas en l'occurrence une révolution juridique. Les fondamentaux du droit d'auteur demeurent : cession de droit, délimitation des modes d'exploitation, rémunération proportionnelle, relevés de droits, paiement des droits. Lorsque l'éditeur reçoit du diffuseur des relevés où figure le prix payé par le public, il est bien en mesure de verser à l'auteur une rémunération basée sur ce prix.
Si, dans l'avenir, il advenait que certains modes d'exploitation numérique ou la multiplicité des diffuseurs ne permettaient pas de connaître le prix payé par le public, le Code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence permettraient d'envisager d'autres solutions légales (prix conseillé, forfait).
L'éditeur doit s'assurer de la titularité des droits numériques ; 3 cas de figure :les contrats très récents, où la cession des droits numériques est normalement prévue, ainsi que la rémunération correspondante ;
les contrats plus anciens où la cession des droits numériques est prévue mais non la rémunération correspondante : il convient d'établir un avenant concernant celle-ci ;
les contrats encore plus anciens qui ne prévoient rien et pour lesquels un avenant devra prévoir à la fois la cession des droits numériques et la rémunération.
En outre, l'éditeur doit ne pas hésiter à expliquer à l'auteur que Gallica 2 constitue une expérimentation dont toutes les modalités ne sont pas encore entièrement connues. Il s'agit de négocier de bonne foi, tout en rappelant que c'est aussi un extraordinaire coup de fouet que ce portail va donner à l'offre numérique légale, ainsi qu'une réponse collective au piratage.
Dans le domaine commercial, on se référera à la présentation de Denis Zwirn, qui présentait cinq points majeurs de cette expérimentation considérant que le projet « va plus loin que tout autre portail de recherche de livres existant » :
Tout cela était bel et bon, et surtout, se présentait comme une solution intelligente, bien pensée, et respectueuse de l'une des parties les moins sollicitées : les auteurs. Or, en cette période troublée, où décision fut prise, contre la volonté du peuple, et par la force de quelques parlementaires assoupis, qui le 1er mars 2012 ont adopté la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles, il n'est pas inintéressant de se rendre compte des efforts réalisés au travers de ce programme, pour comprendre toute la régression actuelle.
Après l'oeil de Sauron, le Registre de ReLIRE
Le projet d'exploitation numérique des fonds éditoriaux ne concernait pas les oeuvres indisponibles et à ce titre, avait bien plus d'intérêt marchand. Mais au moins donnait-on les bonnes indications aux éditeurs : plutôt que d'opérer une numérisation de masse, brutale et désincarnée, il était question de commercialiser en version numérique des oeuvres sous droit, exploitée et de prendre les précautions contractuelles dont la législation du 1er mars est parvenue à se débarrasser complètement.
De fait, pour ne pas avoir à se tracasser avec la contractualisation qui permettrait d'exploiter les oeuvres indisponibles dans leur format numérique, la loi a fait en sorte de donner aux auteurs la possibilité de refuser la numérisation, par un système d'opt-out. L'auteur, l'ayant droit ou l'éditeur, doit présenter les preuves attestant qu'il est le détenteur des droits, et donc, prouver qu'il peut s'opposer. Un moyen bien tiède et peu précautionneux, mais qui réglait, et enterrait alors, la question de l'avenant au contrat.
Or, dans un document datant de février 2009, portant sur les conditions d'accès aux aides du CNL, pour la numérisation des oeuvres qui seront commercialisées au travers de Gallica, le SNE était très clair :
Pour bénéficier de cette aide accordée par le CNL, l'éditeur doit bien entendu s'engager à participer à Gallica2, en respectant la charte documentaire définie par la BNF et en garantissant qu'il est bien titulaire des droits numériques pour les documents dont il sollicite une aide.
S'il ne doit pas apporter la preuve de la titularité des droits numériques lors de la constitution du dossier, il doit s'engager sur le fait qu'il détiendra bien les droits numériques sur les documents retenus lors de la mise en ligne desdits documents. Les coûts indirects tels que ceux engagés pour la recherche des ayants droit et la renégociation des contrats pour la diffusion numérique rentrent dans l'assiette de la dépense subventionnable (embauche de stagiaire pour remonter la chaîne des droits, etc.).
La participation à l'expérimentation Gallica2 implique donc que l'éditeur s'assure de la titularité des droits numériques pour les documents sous droits qu'il souhaite exploiter numériquement.
Avenant avec les avenants
Ainsi, le Syndicat distingue plusieurs cas de figure : pour les contrats d'édition très récents, il est admis que le contrat prévoit l'exploitation numérique, et dans ce cas, pas de problèmes. Pour les contrats datant d'avant 1957, « l'éditeur était considéré comme cessionnaire de tous les droits de l'auteur pour des raisons de sécurité juridique alors même que le procédé (numérique par exemple) était inconnu au jour de la cession ».
Mais il existe un cas plus complexe : les contrats signés entre 1957 et 1995.
1er cas : Le contrat d'édition ne prévoit rien : ni clause dite « d'avenir » ni cession expresse des droits numériques
La clause « d'avenir ou de sommeil », très répandue dans les contrats d'édition, est une clause au terme de laquelle un éditeur se fait par avance consentir les droits exclusif d'exploiter l'œuvre par un procédé encore inconnu au jour de la signature du contrat. Cette clause se trouve la plupart du temps dans les clauses types qui énoncent que les droits peuvent être « exploités par tous procédés actuels ou futurs » ou « sur tous supports graphique ou d'enregistrement actuels ou futurs ».Lorsque le contrat ne prévoit rien, un avenant devra alors prévoir la cession des droits numériques et la rémunération.
2ème cas : Le contrat d'édition prévoit une clause expresse de cession des droits numériques ou, cas le plus répandu, une clause d' avenir complétée d' une clause prévoyant que la rémunération sera par exemple déterminée d'un commun accord entre les parties
Dans ce cas là, on peut considérer (cela a été validé par le Professeur Pierre-Yves Gautier dans une consultation remise au SNE le 11/12/2007) qu'une clause d'avenir, au terme de laquelle un éditeur se fait par avance consentir le droit exclusif d'exploiter l'œuvre par un procédé encore inconnu au jour de la signature du contrat, est valable dés lors que son libellé est non équivoque et que le transfert à terme comporte une contrepartie pécuniaire distincte de la rémunération prévue au titre des modes d'exploitation contemporains de l'accord des volontés.
Partant de là, il convient d'établir un avenant, non pour prévoir la cession des droits numériques qui est acquise, mais pour préciser les modalités d'exploitation de l'œuvre sur tout support et tout réseau numérique et pour fixer la rémunération correspondante ou les différentes rémunérations envisagées en fonction de l'exploitation de l'œuvre au format numérique (consultation gratuite, consultation payante sans téléchargement, téléchargement, etc.).
Il serait trop simple de dire que les deux sujets n'ont rien à voir, car une réalité s'impose : dans un cas, tout s'opérait avec respect, pour introduire les ouvrages dans Gallica 2. De l'autre, ReLIRE, qui agit comme un bulldozer... On s'interrogera, à juste titre, sur ce qui a pu advenir, entre temps. Comment le revirement a-t-il pu être aussi complet ? Entre la prudence et l'attention portées à une contractualisation dans les règles, et un opt-out sauvage, quelques années sont passées. Mais la réponse est probablement à chercher du côté de Google Books. Nous en reparlerons...
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