Depuis le mois de février, La Poste suisse suscite de vives inquiétudes. Un accord passé avec Amazon, facilitant l’implantation d’une filiale sur le territoire helvétique, soulève de nombreuses questions. Voilà maintenant plus d’un an que Amazon.ch a été annoncé, mais, pour l’heure, rien ne point. Anne, ma sœur Anne, que se passe-t-il ?
Christophe Henry, CC BY ND 2.0
Deux hommes, en Suisse, mènent l’enquête : Olivier Feller, conseiller national vaudois (PLR, droite libérale) et Pascal Vandenberghe, PDG des librairies Payot, se penchent sérieusement sur cette histoire. « Comprenons-nous bien : je n’ai rien contre Amazon, sur ce point précis, parce qu’ils ne font que développer leur marché », lance tout de go Pascal Vandenberghe à ActuaLitté. En revanche, La Poste...
Entreprise publique, son comportement devient « schizophrénique, mais cela tient autant à la stratégie libérale de la confédération, qui leur demande de gagner de l’argent ». Or, pour ce faire, l’entreprise a effectué des recrutements en allant chercher dans le privé « des personnes dont l’esprit n’est pas celui du service public : ils finissent par diriger La Poste comme une société anonyme cotée, ne visant que le profit ».
Au cœur de leurs interrogations, un fameux accord qui pourrait introduire une distorsion de concurrence, dénonçait-il en février dernier.
Bien entendu, les preuves manquent pour étayer la théorie – qui, si elle se vérifiait, aurait des répercussions importantes. Or, les deux hommes multiplient les recours pour obtenir la communication de cette entente, pour l’instant en vain.
Le Conseil fédéral, en mai dernier, leur a indiquait qu’aucune évidence de distorsion n’apparaissait, qui justifierait alors l’ouverture d’une enquête. La Commission de la concurrence suisse, saisie, pas plus que la Commission fédérale de la Poste, chargée de surveiller le marché postal, n’y ont vu anguille sous roche.
« On marche sur la tête », poursuit le PDG de Payot, « parce que la ComCo ne veut pas ouvrir d’enquête avant que le contrat ne soit exécuté. Personne ne semble se préoccuper de ce que prépare La Poste, qui est donc totalement hors de contrôle ».
Cependant, depuis le début de leur campagne, les deux hommes constatent que le site Amazon.ch continue de renvoyer vers ses versions italienne, allemande ou française. « En soi, c’est un indice : qu’un an après l’annonce, rien ne soit mis en place... Nous n’excluons pas, immodestement, que nos appels et questionnements aient pu mettre en suspens l’arrivée d’Amazon. »
D’ailleurs, poursuit le libraire, « l’Américain est-il aussi demandeur que La Poste, que de développer ce marché ? La Suisse romande est un tout petit marché, le territoire alémanique est plus attractif, mais reste mince ». En revanche, côté postal, augmenter le volume par un accord avec Amazon s’inscrirait dans une logique économique plus compréhensible.
Surtout qu’entre temps, la Poste s’est retrouvée au cœur d’un scandale, l’affaire CarPostal, qui a passablement égratigné son image. Ce service de cars postaux est financé par les cantons, et destiné à offrir des déplacements dans le territoire. Or, un trop-perçu de plusieurs dizaines de millions de francs a été découvert, réinjecté ailleurs dans l’entreprise.
À ce jour, La Poste affirme que dans sa collaboration avec Amazon elle « ne met aucune infrastructure logistique spéciale et Amazon ne bénéficie pas non plus d’un traitement préférentiel ou exclusif ». Pour autant, « nous ne sommes pas l’Europe : la question du dédouanement est un véritable enjeu ici », relève Pascal Vandenberghe.
D'ailleurs, dans un sain exercice de paranoïa, le libraire reste dubitatif : « Une réforme de la TVA devait entrer en vigueur au 1er janvier 2018, mais La Poste a décidé qu’elle repoussait son application. Doit-on y voir une tentative de cadeau fait à Amazon pour l’ouverture de son site en 2018, et donc un avantage concurrentiel possible ? »
Par les moyens politiques et juridiques à leur disposition, les deux Romands entendent bien comprendre les ressorts de ce partenariat. « En aucun cas l’activité de libraire n’est d’ailleurs directement concernée. Le livre en Suisse romande n’est qu’un petit secteur et, depuis longtemps, Amazon s’est détaché de ce produit qui a fait sa réputation. Par effet domino, il y aura des conséquences pour notre activité, mais la prise de conscience – ou l’absence, plutôt – d’acteurs directement concernés est bien plus préoccupante. »