Le premier livre numérique date de juillet 1971. Il s'agit du eText #1 du Projet Gutenberg, un projet visionnaire lancé par Michael Hart pour créer des versions électroniques d'oeuvres littéraires et les diffuser dans le monde entier.
Le 22/03/2010 à 09:28 par Marie Lebert
Publié le :
22/03/2010 à 09:28
Au 16e siècle, Gutenberg avait permis à chacun d'avoir des livres imprimés pour un prix relativement modique. Au 21e siècle, le Projet Gutenberg permettrait à chacun d'avoir une bibliothèque numérique gratuite. Ce projet trouve un second souffle et un rayonnement international avec l'apparition du web en 1990 puis la création de Distributed Proofreaders en 2000, pour partager la relecture des livres entre des milliers de volontaires. En 2010, le site originel du Projet Gutenberg compte 3 millions de téléchargements par mois, sans compter les téléchargements des 38 sites miroirs répartis sur toute la planète.
Gestation
Quels furent les tous débuts du projet ? Alors étudiant à l’Université d’Illinois (États-Unis), Michael Hart se voit attribuer quelques millions de dollars de « temps machine » dans le laboratoire informatique (Materials Research Lab) de son université. Le 4 juillet 1971, jour de la fête nationale, il saisit The United States Declaration of Independence (Déclaration de l’indépendance des États-Unis, signée le 4 juillet 1776) sur le clavier de son ordinateur. En caractères majuscules, puisque les caractères minuscules n’existent pas encore.
Le texte électronique représente 5 Ko (kilo-octets). Mais l’envoi d’un fichier de 5 Ko à la centaine de personnes que représente le réseau de l’époque aurait fait imploser celui-ci, la bande passante étant infime. Michael diffuse donc un message indiquant où le texte est stocké - sans lien hypertexte toutefois, puisque le web ne voit le jour que vingt ans après - suite à quoi le fichier est téléchargé par six personnes.
Dans la foulée, Michael décide de consacrer ce crédit-temps de quelques millions de dollars à la recherche des oeuvres du domaine public disponibles en bibliothèque et à la numérisation de celles-ci. Il décide aussi de stocker les textes électroniques de la manière la plus simple possible, au format ASCII, pour que ces textes puissent être lus sans problème quels que soient la machine, la plateforme et le logiciel utilisés. Au lieu d’être un ensemble de pages reliées, le livre devient un texte électronique que l’on peut dérouler en continu, avec des lettres capitales pour les termes en italique, en gras et soulignés de la version imprimée.
Pour tous, le numérique au service de tous
Peu après, Michael définit la mission du Projet Gutenberg: mettre à la disposition de tous, par voie électronique, le plus grand nombre possible d’oeuvres du domaine public. « Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier, explique-t-il plus tard, en août 1998. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les écoles. »
Après avoir saisi The United States Declaration of Independence en 1971, Michael poursuit ses efforts en 1972 en saisissant The United States Bill of Rights (Déclaration des droits américaine). Cette Déclaration des droits comprend les dix premiers amendements ajoutés en 1789 à la Constitution des États-Unis (qui date elle-même de 1787), et définissant les droits individuels des citoyens et les pouvoirs respectifs du gouvernement fédéral et des États. En 1973, un volontaire saisit The United States Constitution (Constitution des États-Unis) dans son entier.
D’année en année, la capacité de la disquette augmente régulièrement - le disque dur n’existe pas encore - si bien qu'il est possible d’envisager des fichiers de plus en plus volumineux. Des volontaires entreprennent la numérisation de la Bible, composée elle-même de plusieurs livres, qui peuvent être traités séparément et occuper chacun un fichier différent.
Michael Hart débute la saisie des oeuvres complètes de Shakespeare, avec l'aide de volontaires, une pièce après l’autre, avec un fichier pour chaque pièce. Cette version n'est d’ailleurs jamais mise en ligne, du fait d’une loi plus contraignante sur le copyright entrée en vigueur dans l’intervalle, et qui vise non pas le texte de Shakespeare, tombé depuis longtemps dans le domaine public, mais les commentaires et les notes de l'édition correspondante. D’autres éditions annotées appartenant au domaine public seront mises en ligne quelques années plus tard.
Parallèlement, l’internet, qui était encore embryonnaire en 1971, débute véritablement en 1974, suite à la création du protocole TCP/IP. En 1983, le réseau est en plein essor.
De 10 à 1.000 ebooks
En août 1989, le Projet Gutenberg met en ligne son dixième texte, The King James Bible, publiée pour la première fois en 1611 et dont la version la plus connue date de 1769. L'ensemble des fichiers de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament représente 5 Mo (méga-octets). En 1990, les internautes sont au nombre de 250.000, et le standard en vigueur est la disquette de 360 Ko.
En janvier 1991, Michael Hart saisit Alice’s Adventures in Wonderland (Alice au pays des merveilles) de Lewis Carroll (paru en 1865). En juillet de la même année, il saisit Peter Pan de James M. Barrie (paru en 1904). Ces deux classiques de la littérature enfantine tiennent chacun sur une disquette standard.
Arrive ensuite le web, opérationnel en 1991. Le premier navigateur, Mosaic, apparaît en novembre 1993. Lorsque l’utilisation du web se généralise, il devient plus facile de faire circuler les textes électroniques et de recruter des volontaires.
Le Projet Gutenberg rode sa méthode de travail, avec la numérisation d’un texte par mois en 1991, deux textes par mois en 1992, quatre textes par mois en 1993 et huit textes par mois en 1994.
En janvier 1994, le Projet Gutenberg fête son centième livre avec la mise en ligne de The Complete Works of William Shakespeare (Les oeuvres complètes de William Shakespeare). Shakespeare écrivit l'essentiel de son oeuvre entre 1590 et 1613.
La production continue ensuite d’augmenter, avec une moyenne de 8 textes par mois en 1994, 16 textes par mois en 1995 et 32 textes par mois en 1996. Comme on le voit, entre 1991 et 1996, la production double chaque année. Tout en continuant de numériser des livres, Michael coordonne désormais le travail de dizaines de volontaires.
À la recherche de l'universalité
Le Projet Gutenberg se veut universel, aussi bien pour les oeuvres choisies que pour le public visé, le but étant de mettre la littérature à la disposition de tous, en dépassant largement le public habituel des étudiants et des enseignants. Le secteur consacré à la littérature de divertissement est destiné à amener devant l’écran un public très divers, par exemple des enfants et leurs grands-parents recherchant le texte électronique de Peter Pan après avoir vu le film Hook, ou recherchant la version électronique d’Alice au pays des merveilles après avoir regardé l'adaptation filmée à la télévision, ou recherchant l’origine d’une citation littéraire après avoir vu un épisode de Star Trek. Pratiquement tous les épisodes de Star Trek citent des livres ayant leur correspondant numérique dans le Projet Gutenberg.
L’objectif est donc que le public, qu’il soit familier ou non avec le livre imprimé, puisse facilement retrouver des textes entendus dans des conversations, des films, des musiques, ou alors lus dans d’autres livres, journaux et magazines. Les fichiers électroniques prennent peu de place grâce à l’utilisation du format ASCII. On peut facilement les télécharger par le biais de la ligne téléphonique. La recherche textuelle est tout aussi simple. Il suffit d’utiliser la fonction «chercher» présente dans n’importe quel logiciel.
En 1997, la production est toujours de 32 titres par mois. En juin 1997, le Projet Gutenberg met en ligne The Merry Adventures of Robin Hood (Les aventures de Robin des Bois) de Howard Pyle (paru en 1883). En août 1997, il met en ligne son millième texte électronique, La Divina Commedia (La Divine Comédie) de Dante Alighieri (parue en 1321), dans sa langue d’origine, en italien.
En août 1998, Michael Hart écrit: « Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l’internet. [NDLR: Ce sera chose faite en octobre 2003.] Si je pouvais avoir des subventions importantes, j’aimerais aller jusqu’à un million et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un milliard de textes électroniques, au lieu d’un milliard seulement. »
De 1.000 à 10.000 ebooks
Entre 1998 et 2000, la moyenne est constante, avec 36 textes par mois. En mai 1999, les collections comptent 2.000 livres. Le 2.000e texte est Don Quijote (Don Quichotte) de Cervantès (paru en 1605), dans sa langue d’origine, en espagnol.
Disponible en décembre 2000, le 3.000e titre est le troisième volume de A l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust (paru en 1919), dans sa langue d'origine, en français. La moyenne passe à 104 livres par mois en 2001.
Mis en ligne en octobre 2001, le 4.000e texte est The French Immortals Series (La série des Immortels français), dans sa traduction anglaise. Publié à Paris en 1905 par la Maison Mazarin, ce livre rassemble plusieurs fictions d’écrivains couronnés par l’Académie française, comme Émile Souvestre, Pierre Loti, Hector Malot, Charles de Bernard, Alphonse Daudet, etc.
Disponible en avril 2002, le 5.000e texte est The Notebooks of Leonardo da Vinci (Les Carnets de Léonard de Vinci), qui datent du début du 16e siècle. Un texte qui, en 2010, se trouve toujours dans le Top 100 des livres téléchargés.
En 1988, Michael Hart choisit de numériser Alice’s Adventures in Wonderland et Peter Pan parce que, dans l’un et l’autre cas, leur version numérisée tient sur une disquette de 360 Ko, le standard de l’époque. Quinze ans plus tard, en 2002, on dispose de disquettes de 1,44 Mo et on peut aisément compresser les fichiers en les zippant. Un fichier standard peut désormais comporter trois millions de caractères, plus qu’il n’en faut pour un livre de taille moyenne, puisqu'un roman de 300 pages numérisé au format ASCII représente 1 Mo. Un livre volumineux tient sur deux fichiers ASCII, téléchargeables tels quels ou en version zippée. Cinquante heures environ sont nécessaires pour sélectionner un livre de taille moyenne, vérifier qu’il est bien du domaine public, le scanner, le corriger, le formater et le mettre en page.
Quelques numéros de livres sont réservés pour l’avenir, par exemple le numéro 1984 (eBook #1984) pour le roman éponyme de George Orwell, publié en 1949, et qui est donc loin d’être tombé dans le domaine public.
En 2002, les collections s’accroissent de 203 titres par mois. Au printemps 2002, elles représentent le quart des oeuvres du domaine public en accès libre sur le web, recensées de manière pratiquement exhaustive par l’Internet Public Library (IPL). Un beau résultat dû au patient travail de milliers de volontaires actifs dans de nombreux pays.
1.000 livres en août 1997, 2.000 livres en mai 1999, 3.000 livres en décembre 2000, 4.000 livres en octobre 2001, 5.000 livres en avril 2002, 10.000 livres en octobre 2003. Le 10.000e livre est The Magna Carta, qui fut le premier texte constitutionnel anglais, signé en 1215.
Entre avril 2002 et octobre 2003, les collections doublent, passant de 5.000 à 10.000 livres en dix-huit mois. La moyenne mensuelle est de 348 livres numérisés en 2003.
Dix mille livres. Un chiffre impressionnant quand on pense à ce que cela représente de pages scannées, relues et corrigées. Cette croissance rapide est due à l’activité de Distributed Proofreaders (DP), un site conçu en 2000 par Charles Franks pour permettre la correction partagée. Les volontaires choisissent un livre en cours de traitement pour relire et corriger une page donnée. Chacun travaille à son propre rythme. A titre indicatif, il est conseillé de relire une page par jour. C’est peu de temps sur une journée, et c’est beaucoup pour le projet.
En août 2003, un CD Best of Gutenberg est disponible avec une sélection de 600 livres. En décembre 2003, date à laquelle le Projet Gutenberg franchit la barre des 10.000 livres, la quasi-totalité des livres (9.400 livres) est gravée sur un DVD. CD et DVD sont envoyés gratuitement à qui en fait la demande. Libre ensuite à chacun de faire autant de copies que possible et de les distribuer autour de soi.
Découvrir la suite De la presse de Gutenberg aux ebooks du Project Gutenberg (2nde partie)
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