Trésors de livres, « un écrin pour les livres anciens » est une nouvelle orientation que le Salon du livre de Paris tient à donner à sa manifestation. Avec 600 m² ouverts « aux livres anciens et modernes de collection », c'est un espace privilégié pour tous les amateurs d'objets qui se tâtent, se reniflent et plus si affinités. Aux dires du Salon, on y retrouvera « livres anciens, livres modernes à tirages limités, livres rares et ouvrages à prix plus abordables ». L'occasion de mettre en valeur le patrimoine imprimé, durant la manifestation, du 16 au 19 mars.
Le 10/01/2012 à 16:32 par Clément Solym
Publié le :
10/01/2012 à 16:32
Cependant, cette nouveauté a fait grincer des dents. Dans une lettre d'information envoyée par le Salon le 6 décembre dernier, plusieurs ont tiqué de la manière très commerciale dont pouvait être présenté l'espace. Abus de superlatif, ou d'un vocabulaire excessivement laudatif - et le simple titre de Trésors de livres avait du mal à passer.
Faut reconnaître : l'ensemble des termes employés a quelque chose de suranné, et qui sent bon, sinon la naphtaline, tout du moins la dithyrambe, option hagiographie primaire. Citons à la volée le « décor raffiné » dans lequel évolueront les seuls « esthètes,collectionneurs et amoureux des arts et des lettres », à la découverte de « trésors iconographiques ». Et la communication d'insister sur les « unique », « exclusif » et autres « exceptionnel ». Le champ lexical était un peu lourd, c'est net. (voir la page de présentation)
Rémi Mathis, conservateur des estampes du XVIIe siècle à la BnF, rédacteur en chef de Nouvelles de l'estampe, et spécialiste d'histoire de l'imprimé et de l'écrit, ne manquait d'ailleurs pas de faire écho sur son blog, A la Toison d'or, à ces remarques, déplorant que le livre ancien soit simplement hissé au rang d'outil de prestige.
Las, il semble que la seule idée qu'on a ici du livre ancien, c'est ces belles étagères remplies de reliures de cuir qui permettent de faire joli dans la bibliothèque de l'appartement bourgeois de grand-père. À quoi peut bien servir un livre ancien à part montrer que l'on possède un statut social ? Ce n'est ni plus ni moins qu'une Pléiade améliorée : le moyen de recréer un décor qui pose son homme comme « cultivé ». Comme tout est prévu, le livre d'artiste est également convié : l'homme cultivé peut s'encanailler jusqu'à fréquenter l'art contemporain.
Et plus encore, de rire méchamment jaune, devant une telle invitation au voyage, dont on ne sait pas vraiment où il est censé vous emmener :
Ah, cette douce excellence hors du temps... Ainsi, « pauvres de nous qui tournions tournions stupidement, en 2012, les pages de livres eux-mêmes souvent datés… », raille-t-il.
Un retour aux racines pour le Salon de Paris
Bertrand Morisset, commissaire général du Salon, explique à ActuaLitté que la présence de livres anciens et modernes ne date pas d'hier. En 1981, alors que le Salon prenait ses quartiers au Grand Palais, les libraires venaient pour présenter leurs ouvrages. « Aujourd'hui, le Salon veut renouer avec ces ouvrages, dont la présence s'est étiolée avec le temps. Notre Salon n'a aucune vocation à concurrencer celui qui se tient aujourd'hui au Grand Palais [NdR : Salon Internation du Livre Ancien].
Au contraire, l'espace et la visibilité qu'offre le Salon du livre de Paris sont deux opportunités pour attirer un public qui n'aurait pas fait la démarche de se rendre au SLAM. Nous souhaitons de la sorte inviter à un retour vers de jolis livres, et offrir à nos partenaires un espace qui soit un salon dans le Salon. »
De son côté, le Salon du livre ancien, contacté par ActuaLitté, ne se sent pas spécialement concerné par cette histoire. « Chacun des salons a sa spécificité, et l'espace qui sera alloué aux livres anciens et manuscrits durant le salon du livre de Paris ne sera probablement pas bien grand. De plus, chacun de nos membres est libre de faire comme il le souhaite, évidemment. Nous ne cautionnons pas cet espace, mais n'avons pas non plus à intervenir. »
Alain Nicolas, président du SLAM, nous précise toutefois que cette initiative pourrait avoir un certain intérêt pour les éditeurs qui proposent des ouvrages modernes. « Nos deux salons sont complémentaires, mais de l'un à l'autre, ce sont deux mondes bien différents, quoi que nos problématiques, en cette période de crise, se rejoignent. Mais le SLAM n'est pas du tout dans le même créneau. »
Pédagogie et découverte au programme
Du reste, si les termes de la campagne de communication ont été approximatifs, le Salon s'en excuse, mais tient avant tout à faire valoir son rôle dans la présentation de toute l'activité éditoriale française. « Pour nous, c'est un élargissement de la nomenclature. L'espace Trésor de livres sera également enrichi, en plus de l'espace d'exposition que le Musée des Lettres et Manuscrits va organiser, d'activités pédagogiques de découvertes, tournées vers les scolaires, notamment. C'est une opportunité rare que de pouvoir découvrir des enluminures, de belles pages ou encore tout ce travail. »
En outre, les marchands sur place pourront disposer d'un espace d'accueil privilégié pour leurs clients afin qu'ils soient reçus dans les meilleures conditions. Les libraires spécialisés, pour leur part, font le bec fin : difficile d'obtenir de la part de ceux que nous avons contactés un commentaire sur cette innovation. On redoute évidemment un espace de concurrence pour leur activité, bien que circonscrit dans le temps. « Ça servira peut-être à ceux qui auront les moyens de s'offrir un emplacement dans ce périmètre. Mais pour le coup, il faut les avoir, ces moyens... », nous expliquera l'un d'eux.
Pour Bertrand Morisset : « Comme toute galerie d'art permet d'aporter une offre supplémentaire, le Salon ne sera pas du tout concurrent. Nous allons simplement faire profiter d'un public venu pour un salon populaire, avec une forte fréquentation. Dans les années passées, les libraires spécialisés qui étaient présents au Salon se sont montrés dynamiques et actifs. Et l'on a vu une Bible enluminée vendue pour plus de 20.000 €, sur le Salon. En quoi ne serait-ce alors pas notre rôle ? »
De l'écrit à l'écran, des manuscrits au 7e art
Le partenaire de l'évènement, le Musée des Lettres et Manuscrits, a d'ores et déjà présenté le programme de l'exposition qui sera organisée. C'est une soixantaine de livres tirés de ses collections qui sera présentée, avec pour thématique Manuscrits du 7e Art, de l'écrit à l'écran. Le tout en partenariat avec le magazine Plume.
« Cocteau est à l'honneur avec une quinzaine de manuscrits, dont La Belle et la Bête, classé trésor national, et agrémenté de dessins originaux et de photos de tournage ; sont également exposés les manuscrits d'Orphée et du Sang d'un poète.
Autre pièce majeure, le manuscrit autographe, signé Jacques Prévert, d'un film de Carné également mythique : Quai des brumes.
Lettres, dessins, affiches, interviews et manuscrits d'une vingtaine de grands noms des arts et des lettres complètent cet émouvant voyage dans les écrits du cinéma : Artaud, Céline, Cendrars, Dalì, Delvaux, Duras, Gance, Gary, Giono, Guitry (six pièces dont le tapuscrit de Napoléon), Malraux, Méliès, Montand, Pagnol (notamment Manon des sources et Cigalon), Jean Renoir, Saint-Exupéry, Simenon, Soupault et Vian.»
Loin des critiques formulées à l'encontre de cet espace futur, Bertrand Morisset conclut : « Que tout un chacun juge après la manifestation. Et si les professionnels ont des remarques à formuler, nous serons à leur écoute. Mais pour le moment, abondance de biens ne devrait pas nuire. »
Agence tous risques...
Mais la question de la communication n'est pas le seul élément mis en exergue. Matthieu Desachy, directeur de la médiathèque d'Albi pose un regard assez dubitatif sur les formulations employées, certes, mais également sur le partenaire. « L'expression de ‘tirage limité', pour un manuscrit, est abusive : un manuscrit est par définition un objet unique. Il existe des auteurs, comme Pierre Benoît, qui copiait leurs propres manuscrits à la main. Mais dans ce cas, on parle alors d'originaux multiples. Ce type de formulation participe d'une illusion abusive, qui pourrait tromper le grand public non-averti. »
Du reste, la présence du Musée des Lettres et Manuscrits n'est pas forcément très appréciée. On reprocherait à cet acteur, qui s'est taillé une grande place dans le marché du livre ancien, « une démarche spéculative ». Et pas vrtaiment du goût d'institutions publiques, qui n'apprécient pas particulièrement de voir s'envoler le prix des livres anciens et des manuscrits.
L'enjeu serait de faire gonfler artificiellement les prix des manuscrits achetés, d'un côté pour faire croire à un marché du livre ancien florissant, pour entretenir une activité finalement factice. Jalousie suscitée par les moyens dont dispose le MLM ou réelle montée abusive des prix , difficile de trancher.
Prudence, prudence, prudence...
« C'est le travail d'un conservateur que de douter, que ce soit de l'authenticité d'un manuscrit, de sa valeur, de sa provenance. Nous devons faire preuve d'une permanente prudence, aussi nous interrogeons-nous », poursuite Matthieu Desachy. En parallèle, « si l'intention de l'établissement d'exposer certaines oeuvres est chose particulièrement louable, il faut souligner que le risque de dégradation existe pour les livres », ajoute un autre conservateur. Évidemment, pour l'occasion du Salon, on appelle à une grande vigilance, comme toujours.
Le Musée répond pour sa part que, si les détails concernant le Salon du livre n'ont pas été encore entièrement réglés, toutes les mesures de sécurité seront prises, pour assurer une exposition dans les meilleures conditions des oeuvres. Prenant le cas de Littératour, le train qui avait sillonné la France durant la manifestation À vous de lire, le MLM explique que de multiples mesures avaient été mises en place, avec des contrôles deux fois par jour, pour s'assurer que les ouvrages se portaient bien. Et oui, presque avec un thermomètre, ne serait-ce que pour mesurer le taux d'humidité, par exemple.
« Le Musée a une vocation de rachat d'oeuvres et de constitution d'une collection. C'est ainsi que le testament de Louis XVI a été racheté, sans quoi il serait toujours aux États-Unis », rétorque le MLM.
Quant à la spéculation, la question est renvoyée : à quoi cela rime ?
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