Les vacances de Noël auront été marquées par l'offre de reprise de l'éditeur Gallimard pour le Hall du Livre de Nancy, un véritable soulagement pour les employés, évidemment, mais également pour les habitants de la ville. Car l'établissement est une véritable institution dans la cité ducale, et compte pour tout le réseau des librairies nancéiennes.
Le 06/01/2014 à 16:41 par Antoine Oury
Publié le :
06/01/2014 à 16:41
Une poignée d'heures après la validation de l'offre de reprise de la librairie par le tribunal de Commerce de Paris, le Hall du Livre dressait une vitrine de remerciement pour l'éditeur, gage de reconnaissance pour cette préservation de la chaîne du livre. Il faut dire que la disparition du magasin de la rue Saint-Dizier, 1500 m² de surface, aurait été un coup dur pour toute la ville.
Ouvert en 1925, le Hall du Livre a connu nombre d'agrandissements qui en ont fait la « librairie-promenade » bien connue. Un surnom qui vient de la cour pavée, intégrée directement dans le magasin dès la fin des années 1960. Suivent l'adjonction d'un premier étage, côté rue, dans un bâtiment XIXe, et l'ajout d'un entrepôt en 1977, qui fait passer la surface à plus de 1000 m², avant d'atteindre, peu après, les 1500 actuels.
Au @halldulivre de la @VilledeNancy, une vitrine pr remercier @Gallimardpic.twitter.com/cRdT4qfGjo
— ActuaLitté (@ActuaLitte) 28 Décembre 2013
Une de ces imposantes librairies, donc, que l'on peut penser particulièrement exposée aux modifications des comportements culturels des Français. La boutique a rapidement intégré les CD, DVD, et même quelques jouets au rayon jeunesse, sans oublier un petit espace papeterie. Une salle de dédicace était également disponible, fermée en 2000 pour accueillir les DVD avant leur transfert au sous-sol, avec les CD.
Pourtant, si la première source de dépense reste le loyer, significatif pour une si grande surface en centre-ville, les augmentations n'ont pas été extraordinaires ces dernières années, nous assure la direction.
Rachat, centralisation : le parcours du libraire-combattant
Le rachat du Hall du Livre par Chapitre s'est effectué en 2008, après un passage par Privat en avril 2002. L'opérateur détenait déjà plusieurs librairies, principalement en centre-ville, et propose au Hall du Livre « quelques fonctions de support centralisées, un peu de services centraux comme du marketing, mais pas du tout dans la même logique que Chapitre », rappelle Isabelle Gegoux, responsable communication du Hall du Livre, en poste depuis 1990.
En 2004, Privat achète la totalité des parts du Hall du Livre, et le rachat des librairies Privat par Bertelsmann place celles-ci sous la responsabilité de la filiale française DirectGroup France (DGF), tout comme les autres réseaux de librairies Alsatia et Place Média. Finalement, Bertelsmann rachète Chapitre.com, 10 ans après la création du site en 1997, et fait entrer les librairies dans l'entité Chapitre, tandis que DGF devient Actissia. À l'employé de retrouver pour qui il travaille réellement...
Avec Chapitre, le Hall du Livre s'est fait bâcher ? (ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
La centralisation des opérations, marketing du moins, commence dès le passage sous la responsabilité de DGF : principalement marketing, celles-ci se concrétisent par des catalogues aux bons d'achat généralisés pour tous les magasins, indépendamment de leur superficie et de leur clientèle.
Le Hall du Livre a été un des derniers magasins à basculer vers la centralisation de l'approvisionnement, en 2009. « Avant, commander chez Hachette revenait à une liaison Hachette-Hall du Livre. Là, cela devenait Hall du Livre-Centrale-Hachette, Hachette-Centrale-Hall du Livre, soit un doublement des délais pour atteindre une semaine ou 10 jours d'attente », explique Isabelle Gegoux. Dans ces conditions, on pardonnera au lecteur impatient de se tourner vers un service en ligne doté de stocks faramineux...
De même, des opérations centralisées, en librairie, papeterie, CD et DVD, se multiplient, mais la pôle position du Hall du Livre en termes de chiffre d'affaires pour Chapitre permet aux vendeurs de réaliser leur propre sélection. Néanmoins, le verdict est sans appel pour les employés : « La logique de groupe pour une librairie ne fonctionne pas, et de même pour tous les types de produits culturels. »
Dans cette optique, la fermeture prématurée de Borders aux États-Unis, chaîne de librairies franchisées, en 2011 (que Najafi, le fonds d'investissement américain derrière Chapitre, avait tenté de racheter, d'ailleurs), ou de Virgin, soulèvera d'autres questions que celles, rabâchée, de l'amour du peuple pour le commerce en ligne. « Si la Fnac est encore là, c'est parce qu'ils ont su arrêter la centralisation des approvisionnements avant même que nous ne la commencions », analyse Isabelle Gegoux.
Isabelle Gegoux
Au moment du rachat de Chapitre par Najafi, en 2011, les informations venant d'en haut se raréfient, si bien qu'« au moment de la cessation de paiement (en décembre 2013, NdR), nous nous sommes concentrés sur le magasin ». Une des propositions de la direction consistait, dès janvier 2012, en une prise de position majoritaire des employés, qui deviendraient propriétaires à 51 % de la librairie, contre 49 % pour Actissia, propriété de Najafi.
Une proposition dont le principal mérite est d'avoir préparé les dossiers des différents établissements, pour un tout autre usage, toutefois. Le Hall du Livre l'a envisagé, mais « tout d'un coup, le projet a été abandonné », sans plus d'explications de la part de la direction, visiblement. Le passage par des offres de reprise, pour se débarrasser des établissements jugés non rentables, a sûrement joué...
Pour les employés des librairies en cessation de paiement, le cauchemar commence quand les fournisseurs ne font plus parvenir les offices et commandes. C'est mi-octobre que la situation a commencé : « Le précédent Virgin a beaucoup joué, avec énormément de commandes pour Noël, avant un dépôt de bilan le 2 janvier. Depuis, les fournisseurs sont beaucoup plus prudents. Hachette a dit non, du coup tout le monde a suivi. Après, il faut les comprendre. » Ou comment une gestion calamiteuse, chez Virgin, met en danger tout un métier.
L'indépendance, pour sauver de la décadence
Au cours de son histoire, le magasin a plus été indépendant que chapeauté, et Isabelle Gegoux comme les employés de la librairie s'entendent autour du concept d'indépendance : « Ce que nous avons voulu faire le plus rapidement possible, c'est sortir de Chapitre, redevenir indépendant. Nous reprenons la main sur absolument tout », souligne Isabelle Gegoux.
Il suffit d'un tour dans les rayons de la librairie pour constater que l'indépendance met toujours des étoiles dans les yeux, ou le rose aux joues des libraires : Laurence et Jean-Paul, respectivement 23 et 25 ans au sein du Hall du Livre, en témoignent. Ici, chaque employé est véritablement spécialisé, même s'il pourra renseigner occasionnellement.
À l'intérieur du Hall : remarquez la Croix de Lorraine, en haut
(ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
Au niveau des stocks, « depuis 5 années, nous n'étions plus vraiment ce que nous étions auparavant », admettent-ils tous deux. Le fort taux de rotation imposé, imposait lui-même de nouveaux articles, chaque mois, dans les rayons. Peu de stocks, ou certains titres massivement commandés par période, voilà qui condamnait le disquaire à mettre de Maître Gims en fond sonore... « Chapitre, c'était des gestionnaires purs et durs. Le produit culturel était considéré comme une boîte de conserve. Un livre, un CD ou un DVD met parfois du temps à démarrer. »
Les habitués sont restés fidèles, grande chance d'une librairie historique. Thibaud, un employé du Hall du Livre depuis 5 ans, et depuis peu au rayon disques, déplore quant à lui l'abandon progressif de politique culturelle propre aux employés, et l'absence d'un rayon « productions locales » en musique matérialise cette indifférenciation entre magasins. « Quand des groupes venaient nous proposer leurs skeuds, impossible de les mettre en rayon... »
La région, toutefois, s'est mise en branle pour favoriser à tout prix le rachat : mairie, Chambre de Commerce et préfecture se sont investies dans cette reprise. « Des prises de contact, des mises en relation avec les personnes les plus à même de répondre à nos demandes... Nous avons vraiment reçu un soutien particulier. » Un soutien particulièrement suivi de la région, et moins des plus hautes instances, comme le ministère de la Culture.
La confiance règne, en tout cas, entre la librairie et Gallimard : un représentant a rencontré la direction, et Éric Kribs, directeur de la librairie Kleber de Strasbourg, intégrée au groupe Gallimard dès 1962, a assuré le Hall du Livre de la gestion sérieuse des magasins par l'éditeur. Les libraires se montrent en tout cas particulièrement confiants vis-à-vis de la non-ingérence de Gallimard dans les rayons de la boutique.
Pour la cinquantaine d'employés à plein temps, le soulagement est de mise, puisque l'intégralité des emplois est reconduite, avec un simple transfert des contrats. À présent, tous attendent un retour des stocks courant janvier. Au rayon des cartes et guides de voyage, une libraire s'excuse encore auprès de clients, plutôt compréhensifs. Il ne faudra pas battre autre chose que le pavé...
Après le Hall, un réseau de librairies solide
Au coeur du centre Saint-Sébastien, à quelques mètres à peine du Hall du Livre, Chapitre ouvre en 2010 une librairie, qui propose également CD, DVD et papeterie : « Le but n'était pas de concurrence le Hall du Livre, mais de capter une clientèle différente, beaucoup plus jeune, qui ne passe que par le centre Saint-Sébastien », explique Isabelle Gegoux. La formule n'a jamais fonctionné, et les dix salariés se retrouvent en carafe, à attendre une potentielle offre de reprise. Beaucoup plus délicate à obtenir, à cause d'un emplacement difficile, au premier étage du centre, en haut d'escalators peu visibles. De ce point de vue, un investissement dans le Hall du Livre, pour attirer une autre clientèle, semble plus justifié, vu d'ici.
Le magasin Chapitre du centre commercial Saint-Sébastien (ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
Si la dizaine d'employés du magasin Chapitre Saint-Sébastien risque de faire les frais de la politique mise en place par la chaîne, les autres librairies de la ville affichent un optimisme, et surtout, une solidarité qui semble sans bornes. Si chacun garde à l'esprit la douloureuse fermeture de la librairie Stanislas, autre centre historique du livre à Nancy, les autres établissements constituent un réseau particulièrement solide.
Pourtant, la concurrence semble à chaque coin de rue : dans le centre-ville de Nancy, on compte la librairie Didier, La Parenthèse et Album pour les bandes dessinées, mais aussi L'Autre Rive et La Taverne du Livre, toutes séparées de quelques mètres seulement. Cette dernière librairie a ouvert ses portes il y a deux ans, avec à sa tête Marie Nardin, déjà dotée d'une expérience de libraire salariée dans les Vosges. Une première employée a été engagée il y a deux mois.
La Taverne du Livre est un café-librairie, avec boissons, restauration, cybercafé et des animations culturelles trois fois par mois : rencontres, dédicaces, ateliers d'écriture, lectures théâtrales, et un speed booking, chaque dernier jeudi du mois, où il s'agit de convaincre son interlocuteur, en 7 minutes, de lire un livre. « Je fais de la publicité dans l'Est Républicain, sur le site de la librairie et Facebook, et cela sert considérablement le chiffre d'affaires », explique la propriétaire.
La Taverne du Livre, à Nancy (ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
La réaction des libraires, au moment de l'annonce de la cessation de paiement de Chapitre, a été visiblement unanime : « Surtout pas. Il y a déjà la librairie Stanislas qui a fermé, ce n'était pas bon signe, et nous ne faisons pas la même chose, il aurait donc été dommageable, dans tous les cas, qu'elle ferme », explique Marie Nardin.
La libraire de formation s'est prêtée avec plaisir au jeu de la restauration : tartines, croque-monsieur sont cuisinés par ses soins, tandis que la boulangerie et le marché couvert à proximité fournissent en pâtisseries, tourtes et autres victuailles. « Je voulais que la librairie soit ouverte en continu, et pour viser les gens entre midi et deux, il faut bien de la restauration, alors une petite formation et c'est parti. »
Une politique régionale, contre la périodicité des CA de librairies
Phénomène étrange, pour l'observateur : une telle densité de librairies ne semble pas, finalement, impacter sur les chiffres d'affaires de chacun. D'ailleurs, les librairies du centre-ville font partie de l'Association des librairies indépendantes de Nancy, Lire à Nancy. C'est d'ailleurs Astrid Canada, actuelle directrice du Hall du Livre, qui préside cette association créée en 2007, depuis 3 ans. On appréciera l'ironie de la situation, quand la présidente de l'association des indépendants a fini par être à la tête d'un magasin Chapitre...
L'association permet de fédérer, principalement pour le Livre sur la Place, qui reste un moment-clé de l'année, lié à la rentrée littéraire. À côté de la traditionnelle période des fêtes, c'est ici que se fait le CA des librairies nancéiennes. Pour préserver un réseau solide, l'enjeu semble donc, du côté des pouvoirs publics, en une préservation des ces commerces aux marges faibles de la périodicité des chiffres d'affaires, où quand la concentration sur quelques « grandes périodes » n'est plus suffisante pour en assurer la pérennité.
Mise à jour 07/01/2014 :
La communication de Chapitre nous a contacté pour préciser certains éléments :
Le plan de sauvegarde de l'emploi a été lancé en avril 2013, alors que les dossiers concernant les prises de position majoritaire (PPM) se heurtaient à la « rupture du dialogue social ». Chapitre tient à préciser que « le plan social a été mis en place pour permettre la pérennité du réseau de librairies, quand les pertes énormes de certaines librairies ne permettaient plus d'assurer l'activité de la chaîne ». Par an, ce sont près de 20 millions € qu'ils manquaient dans les caisses pour permettre la continuité du réseau Chapitre. Par ailleurs, de nouvelles difficultés sont apparues à l'annonce du Plan de sauvegarde pour l'emploi, avec une clientèle en diminution de 20 % à partir de ce mois d'avril 2013.
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