L’inauguration par Emmanuel Macron du salon Livre Paris aura été remarquée. Le boycott affiché du stand russe reste, en ce dernier jour de la manifestation, en travers de la gorge. Et si le président a, dans ce dédain, cru afficher une solidarité vis-à-vis du Royaume-Uni, pour nombre d’auteurs, c’est surtout l’humiliation des écrivains russes présents que l’on retient.
Lettre ouverte au Président de la République française, par Michel Dansel, écrivain
Paris, lundi 19 mars 2018
Monsieur le Président de la République, Cher Emmanuel Macron,
Si je prends la liberté de destiner cette lettre ouverte au plus grand nombre, et à vous en toute priorité, c’est tout simplement pour que se délitent, dans le vivier de la clarté et de la franchise, ce qui a été vécu par certains comme un affront regrettable et un acte majeur de discourtoisie de votre part. Il s’agit, et vous vous en doutez déjà, de votre passage très remarqué au Salon du Livre, et de la manière dont vous avez brûlé tous les feux de la convivialité en vous gardant bien de faire escale au stand de la Russie.
Pourtant, vous étiez attendu, verre en main, avec une certaine gourmandise par des poètes, des écrivains, des éditeurs, des journalistes et de nombreuses personnes qui appartenaient à des courants de pensées très éclatés et à des obédiences politiques, sociales et spirituelles souvent contrastées. Si cette soirée inaugurale avait eu lieu le 1er avril, et non le 15 mars, le monde entier aurait loué votre sens de l’humour ! Ce n’était malheureusement pas le cas !
Tout le monde a bien compris vos motivations politiques, mais, à l’évidence, en prenant la littérature en otage pour justifier vos alliances avec les uns, et signifier vos mésalliances avec les autres, est une manière sournoise et inattendue de régler des comptes complètement étrangers au monde des Lettres qui, pour vous, et nul ne l’ignore, n’est pas une discipline subalterne.
D’une façon implicite vous avez tenté d’impliquer dans votre sillage politique des poètes et des écrivains, qui étaient plus aptes à échanger dans la joie et la convivialité des propos sur William Blake, Jules Laforgue ou le grand Pouchkine, plutôt que de se faire des nœuds au cerveau avec les bretelles extensibles d'affaires dont ils ignoraient les roueries et les rouages, car, comme vous ne l’ignorez pas, politique et littérature ne dorment pas forcément dans le même hamac, a fortiori quand il y a du roulis et du tangage !
Vous avez voulu pénaliser la Russie, qui était l’invitée d’honneur au Salon du Livre de Paris et, de mon point de vue, en utilisant cette manifestation annuelle d’une teneur éditoriale et cultuelle de belle futaie, et d’une incommensurable richesse sur le plan de la relation humaine, comme une table de billard, je suis habité par l’intime conviction que vous vous êtes trompé de cible.
Mais rassurez-vous, Monsieur le Président de la République, Cher Emmanuel Macron, tous les chemins de vie sont parsemés d’ornières et de faux pas, et ce dans tous les secteurs de l’activité humaine ! Les plus hautes personnalités du monde ne sont pas immunisées face à cette inextinguible réalité. Comme il me ferait très sincèrement de la peine de ne tenir envers vous que des propos négatifs, ce qui ne serait ni courtois ni constructif, qu’il me soit permis de vous faire une suggestion en guise de filet de repêchage.
Pourquoi, pour vous dédouaner aux yeux du monde littéraire, n’inviteriez-vous pas à Paris, pour une semaine, un certain nombre d’écrivains et de poètes russes ? Ils viendraient, accompagnés de leurs éditeurs, dédicacer leurs ouvrages et échanger des propos avec le public. Un tel geste serait grand de votre part, et particulièrement apprécié par tous les poètes et les écrivains du monde entier.
Monsieur le Président de la République, Cher Emmanuel Macron, que mes sentiments les plus respectueux vous parviennent, toutefois, je prends la liberté d’y adjoindre les précieux condiments qui donnent du relief à la vie et un sens à nos pensées et à nos actions : la littérature dans tous ses États et la poésie comme absolue priorité.
Michel Dansel
Michel Dansel est le Président du Jury de la Journée du Manuscrit Francophone à laquelle participent des auteurs du monde entier (35 nationalités en 2017). Lors de la dernière édition soutenue par Emmanuel Macron, 17 pays étaient officiellement représentés à la cérémonie dont 11 par leurs Ambassadeurs dont celui de la Russie. Son dernier livre Paris Secret vient de paraître dans la collection bouquins de Robert Laffont.