Auteur. Celui qui augmente, si l’on se fie à l’étymologie du terme. Est-ce distinct de ce que l’on appelle un écrivain ? On se souvient qu’une ministre avait assuré, « c’est l’éditeur qui fait la littérature ». Formulation maladroite, qui signifiait que pour elle, qui avait écrit, la reconnaissance de son texte était passée par l’intervention d’un éditeur. Mais alors que la SGDL envisage de s’ouvrir aux auteurs indépendants, aux autopubliés, que couvrent les notions d’auteurs, d’écrivains ? Écrire, la belle affaire...
Le 12/11/2015 à 13:22 par La rédaction
Publié le :
12/11/2015 à 13:22
Par Neil Jomunsi, sur Page 42
Jimmy brown, CC BY 2.0
J’aime lire les blogs de jeunes auteurs/— trices. J’en suis d’ailleurs plusieurs dizaines sur Twitter. C’est amusant — et rassurant aussi — de retrouver chez certains des interrogations qui me hantaient moi-même il y a quelques années ; on en passe tous par les mêmes étapes et le plus important est de ne pas se perdre en chemin et de ne pas abandonner. Parmi ces questions existentielles, il en est une qui revient aussi bien chez les auteurs indépendants (qui se publient par leurs propres moyens) que chez les écrivain.es en herbe : à partir de quel moment peut-on se considérer légitimement comme écrivain ?
Car la légitimité a tout à voir dans cette affaire : devenir écrivain est, davantage qu’une vocation artistique ou une situation professionnelle, une sorte d’accomplissement — comme peut l’être un titre honorifique. C’est un but à atteindre per se, indépendamment de la masse de travail accomplie ou de la somme des travaux publiés ou non.
Pour ma part, je considère qu’on ne devient pas écrivain — ou plutôt on ne le devient plus. On écrit. Ce n’est déjà pas si mal. Je n’aime pas les titres honorifiques, d’autant plus dans un contexte où les conditions d’admission dans le Saint des Saints sont de plus en plus floues.
Pour décider de l’admissibilité ou non d’un confrère écrivant dans le « cénacle » (celui qu’on suppose exister, dont on se fait une montagne, à tort — et auquel personne n’appartient en réalité), on se réfère en général à certains paliers. Chacun place son curseur sur cette échelle du « mérite » et décide, en connaissance de cause, s’il mérite de s’attribuer un tel titre. Les postulants s’organisent en chapelles, et ces chapelles finissent souvent par se mépriser l’une l’autre.
Au plus bas degré de l’échelle, on trouve celle qui se considère autrice parce qu’elle écrit. L’action d’écrire déclenche la fonction, peu importent les résultats. Je trouve cette idée plutôt saine, et c’est celle avec laquelle je me sens le plus en phase. J’y reviendrai plus tard.
Sur le degré suivant, on trouve ceux qui se considèrent écrivain à partir du moment où ils ont publié un texte — en général via les plateformes d’autopublication type Amazon ou Kobo, ou sur des sites communautaires comme Wattpad. L’argument est plutôt recevable dans la mesure où on se confronte à la publication, et donc à la critique. L’expérience est formatrice, parfois traumatisante, souvent enrichissante, car ces communautés font bloc et font preuve de bienveillance même envers les textes les moins aboutis et les moins travaillés.
"Vendre un livre chez Grasset vous confère automatiquement la stature d’écrivain"
Dans cette même catégorie, notamment pour les personnes d’expérience qui ont à leur actif plusieurs titres dont certains best-sellers en ligne, c’est le critère du succès public — du nombre de ventes ou de téléchargements — qui fait office de sésame. Est autrice celle qui a déjà atteint le top 100 d’Amazon et y est restée plusieurs semaines consécutives. Est auteur celui qui cumule des dizaines de milliers de ventes. C’est un critère délicat dans la mesure où un succès se mesure toujours à l’aune d’un autre succès, et qu’on peut vite tomber dans la spirale du dénigrement et de l’autosuffisance.
Ensuite viennent ceux et celles qui se considèrent écrivain dès lors qu’ils ont publié un livre chez un éditeur installé et respectable — ce qui ouvre encore la voie aux critères de respectabilité d’une société d’édition (qui est le plus respectable, qui publie le mieux, qui paie le mieux, qui imprime, qui n’imprime pas, etc.). De l’avis général, je crois qu’on peut dire que c’est le critère le plus souvent retenu par le grand public : vendre un livre chez Grasset vous confère automatiquement la stature d’écrivain, même si vous avez touché au passage une minuscule avance sur droits.
Enfin, la dernière strate est plus pragmatique et concerne les seuils de revenus exigés par l’Agessa, la sécurité sociale des auteurs. Sont considérés comme admissibles, de manière parfaitement bureaucratique et administrative, celles et ceux dont les revenus tirés des droits d’auteur dépassent un certain seuil annuel, ouvrant dès lors droit à des prestations sociales. C’est une manière certes corporatiste de décider de qui est auteur et de qui ne l’est, mais elle a le mérite de l’objectivité arithmétique.
Pour ma part, je pense que le mieux est de ne pas se poser la question trop sérieusement. On est toujours le loser d’un autre, et certains considèrent qu’il faut pouvoir vivre de l’écriture pour se décréter écrivain — critère qui disqualifierait d’office une grande majorité des auteurs vivants, mais aussi des légendes littéraires passées à la postérité (ou non). Dans la mesure où le perfectionnement et l’accessibilité des outils et l’éducation de chacun font que nous sommes de plus en plus nombreux à écrire et donc, proportionnellement, forcément de moins en moins à être publiés de façon traditionnelle, c’est davantage la notion d’écrivain en tant que métier qu’il faut peut-être remettre en question.
"Le fait est que l’industrie du livre telle qu’elle existe aujourd’hui permet difficilement à ses auteurs de vivre de leurs seules productions"
J’aime considérer qu’on peut faire de la littérature son métier pour peu qu’on s’en donne les moyens, mais ni plus ni moins de la même manière que je considère qu’on peut devenir un professionnel du cerf-volant, du macramé ou du canoë-kayak : avec du travail et de la chance. Se décréter écrivain est une belle chose. C’est un mot noble, dont on doit être fier. C’est aussi offrir le flanc aux critères d’admissibilité énoncés plus haut et à la déception. Le fait est que l’industrie du livre telle qu’elle existe aujourd’hui permet difficilement à ses auteurs de vivre de leurs seules productions : les ventes sont globalement en baisse, les à-valoir suivent forcément et les places sont de plus en plus convoitées — la culture dramaturgique dans laquelle nous baignons fait que le niveau des manuscrits reçus est en constante augmentation. Les libraires, quant à eux, croulent sous les nouveautés et envoient au retour des livres qui n’auront pas toujours eu une chance de trouver leur public.
C’est ainsi.
Nous en sommes tous conscients. Aujourd’hui, on a autant de chance de devenir un auteur de best-seller que de réussir à frapper une étoile filante avec une batte de base-ball. Ça n’empêche pas de tenter sa chance, bien sûr. Nous voudrions tous y arriver au moins une fois. Mais il faut connaître la situation — et elle est compliquée, c’est le moins qu’on puisse dire — et ne pas se voiler la face.
Alan Weir, CC BY 2.0
Aussi, devenir écrivain ne se décrète pas. Ce n’est pas parce que tout le monde peut écrire que chacun sera lu, et encore moins acheté. Au contraire. Personne ne sera jamais obligé de vous lire, et encore moins de vous aimer. Mieux, il est possible que l’on ne devienne tout simplement plus écrivain tout court aujourd’hui. Certains d’entre nous publieront des livres — ou peut-être un seul — chez des éditeurs qui ont pignon sur rue, d’autres se contenteront de publier des textes non retravaillés sur Wattpad, et ceux qui gagneront de l’argent avec ne seront pas forcément ceux que l’on croit. Les frontières se brouilleront, les critères fusionneront et nous serons tous « écrivains » : ce sera juste une question de moment.
Bien entendu, la professionnalisation restera une réalité pour quelques chanceux ou acharnés. Un récent article estimait que seuls 5 % des auteurs gagnaient leur vie avec leur écriture, chiffre qui semble ridiculement bas… mais qui au final me semble formidable. 5 %, c’est un écrivain sur vingt, une autrice sur vingt. On ne parle pas d’un sur cent ou d’un sur mille, mais d’un sur vingt. Au final, considérant la situation, c’est immense. Ce corps de métier mérite considération et protection, sans pour autant oublier qu’il constitue une minorité. Une minorité que nous aspirons tous à rejoindre… mais mieux vaut garder les pieds sur terre, ce sera de plus en plus rare (et donc d’autant plus précieux).
On pourra toujours objecter qu’il apparaît scandaleux que l’industrie du livre prospère sur « l’exploitation » des auteurs et des autrices, et que dans la chaîne éditoriale seuls ces derniers ne gagnent pas leur vie, contrairement aux secrétaires d’édition, aux imprimeurs, aux libraires, aux distributeurs, etc. C’est un fait. On pourrait dire la même chose des fabricants de chaussures de sport ou des chaînes de cafés : dans cette économie, le premier maillon de la chaîne est aussi le moins rétribué pour son travail. C’est davantage une question d’organisation (capitaliste, donc) que de justice sociale. Mieux vaudrait nous poser la question de l’organisation dudit système que de pointer du doigt d’éventuelles responsabilités : nous sommes tous responsables de cette situation, par nos acceptations, par nos exigences, par nos choix d’existence. Des alternatives existent, qu’elles se situent à un niveau personnel (revoir ses exigences à la baisse) ou à un niveau plus global (revenu de base, licence créative, crowdfunding, mécénat, etc.).
À nous d’inventer le futur de ce que nous appelions jusqu’ici le métier d’écrivain. Celui-ci continuera d’être exercé à un niveau professionnel par quelques-uns —, et ce de plus en plus difficilement. Au-delà de ce cercle, les plus motivés devront faire preuve d’astuce, de persévérance et se montrer futés. Autant dire que dans une situation si mouvante, se décréter ou non « écrivain » relève du détail. Le terme pourrait même, dans un futur si proche qu’il est peut-être déjà là, ne plus englober la somme de nos activités présentes et à venir. De cela, il faudra que la littérature sorte gagnante à tout prix.
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