Il y a quelques mois déjà, le 12 septembre 2012, Jean-Paul Savignac auteur du livre Alésia, que La Différence à publié en avril 2012, démontrait non seulement l'affection qu'il éprouvait pour « nos ancêtres les gaulois » mais aussi l'analyse très pointue qu'il était en mesure de proposer la très riche histoire de la Gaulle.
Le 28/02/2013 à 10:08 par Editions La Différence
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28/02/2013 à 10:08
Aujourd'hui, La Différence lui donne de nouveau la parole en reprenant de larges extraits d'une interview qu'il a récemment donné dans La Lettre d'Île de France qui est le bulletin trimestriel du Groupe Île-de-France de Mythologie Française. Une fois de plus, Jean-Paul Savignac explique pourquoi il en est « arrivé aux gaulois » et pourquoi il est « entré en mythologie ».
Nous nous sentons pleinement en accord avec Bachelard, qu'il cite, et par conséquent avec lui-même : « Comprendre les mythes, c'est rêver ». Nous ajouterons simplement que le rêve est la source et le fleuve de la pensée, et la dynamique de l'action.
Vous avez étudié et traduit les langues anciennes classiques, le latin et le grec, mais comment êtes-vous arrivé au gaulois ? Existait-il un cursus particulier ?
Il n'existait aucun cours de gaulois. Ce fut une démarche personnelle. Le professeur Goube qui enflammait les cours de grammaire et de philosophie classiques m'avait donné le goût de l'origine et de la formation des mots indo-européens. Or un jour, par hasard, je tombai sur une petite revue mince et blanchâtre : « Ogam » qui présentait une liste alphabétique de mots en vieux celtique. Quelques temps après, à l'École Pratique des Hautes Études, je rencontrai un vieux monsieur qui, voyant que je m'intéressais à la langue gauloise, me remit deux inscriptions déchiffrées du gaulois. Ce fut pour moi une illumination. J'entrepris alors de lire le Dottin que je photocopiai pieusement. C'est un dictionnaire qui répertorie 1900 mots de langue gauloise. Grâce à la comparaison avec diverses langues d'origine indo-européenne, nous lisons et comprenons à ce jour (à peu près) environ deux mille inscriptions gauloises et par conséquent plusieurs milliers de mots. En français, il subsiste beaucoup de mots issus du gaulois tels que par exemple « petit », « dru », « jaillir ». On en trouve aussi beaucoup dans le romanche, en Italie du nord… […]. J'ai, en 2004, publié un Dictionnaire Français-Gaulois.
Il est clair qu'il n'existait pas d'écriture proprement gauloise. D'ailleurs à l'origine aucun peuple indo-européen n'avait l'alphabet. Les Grecs ont emprunté le leur aux Phéniciens, les Latins aux Étrusques… . Ces peuples trouvaient l'écriture sur place. Lorsqu'ils se sont déplacés en Espagne, les Celtes ont utilisé le syllabaire ibérique (qui fut déchiffré en 1920) ; ils ont procédé de même partout où ils passaient : dans le nord de l'Italie ils ont utilisé un alphabet gallo-étrusque, à Marseille l'alphabet grec… . Cela n'est pas si étrange, toutes les civilisations ont utilisé les alphabets déjà existants qu'elles ont modifiés selon leurs besoins.
Pour la Gaule, on dispose d'inscriptions, mais pas de textes littéraires. On peut essayer d'exciper de César les discours qu'il prête aux Gaulois et de les « rétro-traduire ». Je l'ai fait pour quelques mots prononcés par un chef gaulois, Dubnorix, qui s'était révolté et avait été exécuté par César. C'était un Éduen. Il a dit « Je suis libre, né d'une cité libre ». Cela peut se traduire en gaulois. De même Vercingétorix, qui avait jeté ses armes aux pieds de César, lui aurait dit « Toi, homme très courageux, tu as vaincu un homme courageux ».
Au IVè – Vème siècle, le gaulois était encore parlé. On continue à progresser dans l'étude de cette langue, mais il n'y a pas aujourd'hui d'enseignement du gaulois. À L'École Pratique des Hautes Étude Pierre-Yves Lambert donne des cours de celtique et aborde accessoirement la langue gauloise. Cependant on progresse. En 1900, seuls 6 verbes gaulois avaient été répertoriés ; actuellement, ils sont 60. En ce qui concerne la mythologie gauloise, nous sommes à très peu de reconstituer la vie des dieux.
Après la traduction et la philologie, comment êtes-vous « entré en mythologie » ?
Ma véritable rencontre avec la mythologie eut lieu à l'époque où je suivais les cours de Jean-Pierre Vernant. Je me souviens d'un cours où, en attendant le professeur, je lisais un livre que je venais de dénicher : « Le Carnaval » d'un certain Claude Gaignelet. Je le dévorais, à tel point que lorsque Vernant est arrivé, j'ai continué à feuilleter le livre, que j'annotais tout en suivant les cours. C'était dans les années 70, j'étais alors professeur de collège à Épinay-sur-Orge et, porté par l'ouvrage de Gaignebet, je mis sur pied une pièce « La Fête du souffle » jouée par mes élèves dans le centre culturel. Les coutumes qui habillaient nos fous, bouchers, lépreux,… s'inspiraient du tableau de Breughel. J'étais si impressionné par Gaignebet que je n'avais pas osé l'inviter à la représentation. Lorsqu'il l'apprit plus tard, il m'assura qu'il serait venu. En tout cas, il m'invita à sa soutenance de thèse. Je me souviens parfaitement qu'elle démarrait sur ces quelques phrases : « Qu'est-ce qu'une date ? C'est la représentation d'un saint, la fixation d'un événement agricole, l'indication de la place des astres… ».
[…]J'ai eu une découverte extasiée de la mythologie grâce à Claude Gaignebet. Quelle merveille de l'entendre raconter que la lune est mangée sous forme de crêpe et qu'ensuite Carnaval peut commencer !
[…]
Alesia, aux éditions La Différence
Qu'est-ce qui vous semble fondamental dans la Mythologie ?
Je suis particulièrement intéressé par le calendrier et l'importance des cycles qui s'y greffent. Pour ce qui est des étoiles je suis convaincu également de leur importance mais ne suis pas encore capable d'aller me balader dans le ciel. Quant à la mythologie française, je cale encore un peu, car je l'ai abordée trop tard pour pouvoir en cerner la cohérence. Bien sûr, les bases sont les personnages mythologiques, dont parle Henri Fromage : Gargantua, Bayard, Mélusine, …
Par ailleurs il n'existe pas de récits gaulois mais je suis persuadé que les mythes gaulois ont persisté à travers, par exemple, les récits des nourrices, d'abord rapportés en gaulois puis narrés en latin ou en gallo-romain et en français ancien au moyen-âge… et surtout qu'il est possible de retrouver cette littérature orale dans les récits gallois, irlandais…
Je me suis particulièrement attaché au mythe de Brigitte qui incarne l'année-nature et dont on retrouve la trace dans le conte de la Mannekine, par exemple. Ses deux mains coupées qui repoussent et le bissac dans lequel elle porte ses deux enfants correspondaient bien au renouveau printanier et aux deux semestres de l'année celtique. D'après moi, Merlin, Artus, Brigitte…sont issus de contes-mythes de source gauloise. La langue des Celtes insulaires et des Gaulois était très similaire. On a retrouvé la même expression « bnanom brictom »signifiant « le charme des femmes » aussi bien dans le plomb du Larzac qu'en Irlande brichtu ban, dans la « Iorica » de Saint Patrice. Mésuline, elle, est d'origine scythe, à rapprocher de la nymphe Ora.
Je me suis également intéressé au mythe de la création du monde et ai découvert à partir d'un travail de Claude Sterckx que les Gaulois avaient eux aussi, bien entendu, un mythe cosmogonique.
« Comprendre les mythes, c'est rêver », disait Bachelard. Les sociétés anciennes pratiquaient l'oniromancie, la science de l'interprétation des rêves. On peut dire que les mythes sont enfouis dans l'inconscient collectif. Une partie de notre cerveau a un héritage qui vient de loin, un patrimoine héréditaire. Ainsi les peuples germaniques ont encore Odin dans leur inconscient.
[…]
De nos jours, à quoi peut servir le mythe ?
Le mythe est le bâtiment de l'imagination. Il est essentiel car il est à l'origine de la pensée et même de la pensée historique. […] Le mythe est perpétuel, il se renouvelle sans cesse et ne vieillit jamais. Il est toujours d'actualité.
Avez-vous d'autres sujets de recherche actuellement ?
Je travaille actuellement sur le mythe de la patrie, sur Alésia. J'aime la France ; je suis citoyen du monde bien sûr, mais j'aime mon pays, ma civilisation, ma langue. J'ai le sentiment d'appartenance à une patrie. Or ce sentiment tombe quand il n'y a pas de danger, pas de guerre. Actuellement, nous vivons dans un espace de déstructuration. […] Chaque peuple à sa propre autorité. Tolstoï s'est penché là-dessus. Il se demande pourquoi les Allemands ont confiance en eux. Parce qu'ils savent, répond-il (ils ont la connaissance). Pourquoi les Italiens ont confiance en eux ? Parce qu'ils sont émotifs et qu'ils s'oublient, et eux-mêmes et les autres. Et les Anglais ? Parce qu'ils sont citoyens britanniques ! Les Français ? Parce qu'ils s'imaginent exercer, soit par leur esprit soit par leur physique, une séduction sur les autres. Voilà qui amorce une discussion ! Le dossier que je prépare sur Alésia ne plaira pas aux « historiens patentés » pour qui l'amour du sol n'a plus de sens.
[…]
Quel personnage mythologique auriez-vous aimé être ?
Apollon, car c'était une « grande gueule ». Il était le dieu de l'oracle et de la parole. Il est peut-être d'une naïve droiture, puisqu'il se fait, par exemple, dérober ses vaches, mais je le préfère à Hermès qui est, lui, un voleur et un petit malin. Son équivalent gaulois serait donc Lugus. N'est-ce pas l'idéal de parler comme un oracle ?
Entretien mené par Anastasia Ortenzio et Claude Gaudriault
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