Ça va de mal en pis pour Wikileaks. Après les multiples rebondissements pour l'hébergement du site, qui désormais a été obligé de poser ses valises en Suisse, c'est au tour de Paypal qui empêche maintenant de faire le moindre don à destination du site. De même qu'Amazon avait considéré que Wikileaks violait les conditions d'utilisation de son hébergement libre-service, de même, Paypal considère que sa politique commerciale « interdit l'usage du service de paiement en ligne pour encourager, promouvoir ou faciliter toute activité illégale ».
Le 04/12/2010 à 14:37 par Clément Solym
Publié le :
04/12/2010 à 14:37
Dans son essai, La Chute de la CIA (Flammarion 2002), Robert Baer, ancien agent, montre que ce qui tue le renseignement, voire ce qui l'a tué, c'est la mort du facteur humain. L'affaire Wikileaks nous mène au coeur de ces éléments. Inutile de revenir sur l'histoire même du piratage du siècle, à prompt renfort de Lady Gaga, cela relève de l'anecdote historique, mais du grand n'importe quoi avant tout. Pour Baer, quels que soient les systèmes de surveillance mis en place, c'est le manque d'humains traitant la masse des informations qui porte préjudice. Bilan des courses : désintérêt total du public pour des révélations faites, puisque noyé sous une masse informe...
Mais son livre rejoint également le scénario du fantastique film d'espionnage de Sidney Pollack, Les trois jours du condor (1975). L'agent Joseph Turner, qui travaille pour la CIA, justement, démantèle des fuites qui alimentent les sources journalistiques. Son boulot est de les juguler. Il va tomber sur des grosses informations, et finalement se retourner contre un camp qu'il préfère trahir. La dernière phrase du film est sidérante d'actualité : alors qu'il a tout organisé pour que les informations éclaboussant la CIA soient diffusées dans la presse, il s'entend répondre : « Si jamais vous êtes édité. » Contrôle, une fois encore, des éléments diffusés.
Car après tout, l'information n'est qu'un réseau : c'est que ce l'on en fait qui compte. La profession de foi du héros de condor reste pour cela sidérante : « Les gens de ma génération se sont battus pour des idéaux auxquels ils croyaient dur comme fer. Quand John Kennedy a été élu, nous étions sûrs que le monde allait changer. Et nous nous sommes retrouvés à devoir digérer nos désillusions. » Kennedy, tiens donc, justement cité par Wikileaks... (notre actualitté)
Mais indéniablement, des informations dépourvues d'un traitement humain deviennent complètement inutiles. C'est le propre du refus des hommes enchaînés que le philosophe tente de sortir de leur caverne. Et même dans ce cas, faire admettre de nouvelles informations dépassant les précédentes n'est pas chose facile.
Quant au devenir du fondateur, Julien Assange (voir le JDD), il a des échos incroyables dans les méthodes les plus subversives, pour porter atteinte à une personne. D'abord, physiquement, comme ce que l'on peut retrouver dans la trilogie Bourne, de Robert Ludlum, où l'agent Bourne (superbement incarné par Matt Damon, au moins dans le premier film) est la proie de personnes décidées à le faire taire. Il s'agit de faire taire une personne qui possède des informations, lesquelles sont nuisibles pour de grandes puissances - les renseignement américains en premier lieu... Tiens donc.
Ensuite, c'est le pan législatif, qui concerne cette fois la création. Fort inspiré par les prémices d'Hadopi, un certain Éric Besson se retrouve à faire pression sur l'hébergeur français OVH, pour qu'il refuse d'accueillir le site. Une interdiction qui ne peut venir que d'un juge, normalement, mais qui relève du même comportement que celui déployé durant l'Hadopi, où l'on allait faire condamner des internautes par une Haute autorité sans aucun pouvoir juridique... Basique dans les thrillers. Et dans cette affaire, puisque la juridiction américaine est en train de chercher, voire d'inventer de quoi museler le créateur et son site...
Là où l'aventure Wikileaks prolongerait volontiers nos lectures et découvertes, c'est en se concentrant sur le poids de l'information. JohnnyMnemonic (la nouvelle de Gibson, parce que le film dénote un peu), parue dans Gravé sur Chrome (Diable Vauvert), raconte comment un transporteur d'informations se retrouve avec des méga-octets - le livre date de 86, un peu de clémence... - de données. Pas toujours des plus légales, ni des plus légalement acquises. Mais là encore, science sans conscience, n'est que ruine de l'âme.
Cependant, l'accès et la valorisation des informations, présente un double enjeu : celles-ci peuvent devenir instrument, comme cela se fait naturellement, et dans ce cas permettre d'obtenir des services. C'est en somme la raison de vivre du Mérovingien dans Matrix... Celui qui réclame les yeux de l'Oracle à Morpheus, contre la libération de Neo... information contre service...
Mais dans les deux cas, ces informations n'ont de valeur que pour les personnes qui les souhaitent, donc en connaissent le poids, ou ceux qui sont en mesure de leur donner une ampleur plus grande. Et donc d'ouvrir l'esprit vers une meilleure compréhension.
Reste qu'éventer massivement des informations, des secrets en l'occurrence, sans le filtre journalistique, ou plus simplement humain, n'avance à rien. Finalement, toute connaissance nécessite un décryptage, tout savoir, une contextualisation, qui n'a de sens que par la distance qu'on lui apporte et l'environnement dans lequel elle se place. Le fondement même du Ve tome de la saga Dune, où l'Empereur-Dieu, Leto II a inventé, de par son invraisemblable longévité, une toute nouvelle histoire à l'humanité - à relire d'urgence.
Ce n'est en effet qu'à la mort de Leto II qu'une réalité nouvelle s'ouvre pour les hautes sphères - le bas peuple n'a pas vraiment d'existence dans Dune... Pourtant, en façonnant la réalité durant 10.000 ans (ou à peu près, de mémoire) l'Empereur-Dieu bride l'esprit, et ne diffuse que les éléments qui assoient son pouvoir. Si pour lui, tout cela participe d'un vaste plan, destiné à sauver l'humanité, on peut aisément douter que le comportement des politiques vise à autre chose que préserver ce qu'Umberto Eco désignait comme leurs « secrets vides ». (notre actualitté)
Mais le fin mot reviendrait sans peine à Antonin Artaud, dans Pour en finir avec le jugement de Dieu (NRF Gallimard).
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