Avec l’invention des points de suspension, qui vont toujours et uniquement par trois, la littérature se créait une bulle de suspens, capable d’évoquer, autant que de passer sous silence. Une parole incomplète, arrêtée, ô Temps, suspends ton vol, etc. Et un universitaire de Cambridge vient de découvrir que les « ... » étaient apparus en littérature anglaise au XVIe siècle.
Le 22/10/2015 à 14:37 par Nicolas Gary
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22/10/2015 à 14:37
Andria
Andria est un ouvrage du poète comique latin Térence traduit en anglais par Maurice Kyffin et imprimé par Thomas East. L’édition qui nous intéresse dans cette affaire de points date de 1588. Anne Toner, universitaire, est convaincue d’avoir trouvé la première occurrence littéraire des points de suspension dans l’ouvrage, qui s’avère être une pièce de théâtre.
Ses recherches ont abouti à cette conclusion, après des milliers de pages parcourues, et, si quelques traces se retrouvent avant 1580, l’ouvrage en question, Andria, était particulièrement important. Et l’on remarque qu’après sa diffusion, il s’est progressivement démocratisé, puis installé confortablement.
"Une innovation simple, mais brillante"
Sauf qu’en 1588, dans cette traduction du latin, ce sont des sortes de traits d’union qui servent à marquer le vide. « À trois reprises, écrit Anne Toner, une série de traits d’union est utilisée pour suggérer l’interruption – ou l’auto-interruption. Ce fut une innovation simple, mais brillante. Ce marqueur indiquait une forme de mise en scène, offrant, pour le regard, une information. » Et voici comment l’on suggérait par le silence, plus puissamment encore que par la parole.
« Il est intéressant de se demander de qui est venue l’idée d’utiliser ce qui s’est avéré une ressource particulièrement utile.... était-ce le traducteur de Terence, l’imprimeur ? La personne qui fut à l’origine de cette invention n’est pas clairement identifiée. Mais on constate que ce signe de ponctuation a été repris relativement vite dans des œuvres théâtrales », indique l’universitaire.
Ainsi, chez Ben Jonson, ou dans Shakespeare, on retrouve les fameux trois petits points. Puis, à partir du XVIIIe siècle, poursuit Toner, « il devient très courant dans la presse, et commence à être utilisé pour éviter les lois contre la diffamation ». Les points de suspension permettent alors de sous-entendre, de faire une allusion, sans finir un mot commencé, ou tout simplement en remplaçant ce que l’on voulait écrire, par un éloquent silence.
The Inheritors
Anne Toner a fait paraître aux presses de Cambridge un ouvrage, Ellipsis in English Literature, où elle passe en revue d’anciens travaux universitaires, comme ceux de Joseph Conrad et Ford Madox Ford, au début du XXe siècle. Travaillant ensemble sur The Inheritors, en 1901, ils cherchent, dit-elle, à capturer « le genre de l’indétermination qui est caractéristique de toutes les conversations humaines, et en particulier de toutes les conversations anglaises qui sont presque toujours opérées au moyen d’allusions et de phrases inachevées ».
Et dans le livre, on retrouver plus de 400 occurrences de ces « ... », ce qui était pour l’époque relativement hors du commun.
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