Le rapport Patino, remis en juin 2008 à la ministre de la Culture, Christine Albanel, portait sur le livre numérique, et son devenir au sein de l'édition. S'il n'évoquait que très brièvement la question de la vente couplée (numérique et papier), cette dernière a toujours été au coeur des problématiques de l'édition. Mais fut une époque où ce couplage concernait strictement la vente de livres avec des journaux, dans le cadre d'opérations spécifiques.
Le 08/07/2014 à 14:47 par Nicolas Gary
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08/07/2014 à 14:47
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La méthode de vente des livres, dans une offre couplée avec la vente de journaux n'a jamais vraiment fait fureur dans les hautes sphères du Syndicat des éditeurs. En 2005 encore, le bureau affirmait son opposition à cette méthode. L'idée provenait d'Italie, où dès 2002, le milieu de la librairie s'alarmait de ces opérations que les grandes maisons avaient mises en place. C'est que, les grands groupes éditoriaux du pays, étaient souvent attachés à des groupes de presse, et de ce fait, il devenait plus facile d'associer une parution à une oeuvre.
Les Échos signalaient en mars 2002, que l'Associazione Italiana Editori (AIE) ainsi que les principaux éditeurs indépendants s'étaient fermement opposés à cette pratique dont les effets seraient « désastreux » pour la librairie. Mais en dépit des protestations, les campagnes s'étaient multipliées et La Reppublica lançait d'ailleurs une offre avec de la bande dessinée, pour 4,90 €. L'idée s'était d'ailleurs répandue en Espagne.
En France, cette solution sera proposée par Teresa Cremisi, forte de son expérience justement en Italie, aux éditions Garzanti et dans la presse. En 2005, le marché de la vente journaux/livres, en Italie, représentait un supplément équivalent à 50 % du marché traditionnel. Teresa Cremisi l'évoquait dans les colonnes de Panorama. « En France, ce couplage n'a pas été possible. Je pense que cela se produira d'une manière différente. Moi-même, quand je dirigeais les éditions Gallimard, j'avais prévu de vendre des livres avec Le Monde. Rien ne s'est finalement fait, parce que les éditeurs, à commencer par mon patron, ont refusé de faire de l'argent avec une offre qui pourrait mettre en danger les libraires. »
Et de rappeler que, même en Italie, comme le montre l'article des Échos de 2002, on pensait que cette solution serait une menace pour la librairie : une vive controverse avait alors agité le pays.
Assignations et scandales en France
Mais le scandale est venu d'une offre, lancée par l'éditeur Taschen avec Le Monde, le 20 mai 2005, avec la commercialisation d'une offre « Le musée du monde ». Le mois suivant, le Syndicat de la librairie française s'insurgeait contre la méthode, et le Syndicat national de l'édition dégainait un communiqué pour dénoncer l'opération. Les deux organisations avaient prévu de se retrouver « pour évaluer la situation et les possibilités de réaction à cette annonce», mais trop tard.
Ce même mois, les éditions Glénat proposent avec le Dauphiné-Libéré une opération identique ; Dargaud proposera la sienne au mois de septembre. Pour Claude de Saint Vincent, patron de la maison BD « cette opération ne peut qu'augmenter les ventes en librairie puis qu'il s'agit d'un seul album appartenant à une série vendue », apprend-on dans un compte-rendu de réunion du SNE. Il était alors question de « solliciter le SLF pour prévenir les libraires avant son lancement ». Jacques Glénat, pour sa part, avait envoyé un courrier au SLF.
Mais au mois d'octobre de cette année 2005, la situation vire au règlement de compte
Après les éditions Glénat [assignées au mois d'août, NdR], c'est au tour des éditions Dargaud d'être assignées pour l'opération de vente couplée d'albums avec Libération.
Jean Sarzana rappelle la position du Syndicat qui n'est pas favorable au principe des ventes couplées ce qu'il a affirmé il y a plusieurs mois dans un communiqué. Toutefois, le SNE admet pourrait adopter une politique plus ouverte pour les ouvrages qui ne se vendent pas en librairie et pour la bande dessinée compte tenu de sa spécificité. Ceci, bien sûr, dans le cadre du respect de la loi sur le prix unique (qui impose un même prix de vente partout).
Le mois suivant, l'actualité reste toujours chaude : le Président du SNE, celui du SLF, Benoît Yvert, le directeur du Livre, Olivier Bosc le conseiller livre du ministre de la Culture se retrouvent pour évoquer le sujet. « Le principe exposé par la Direction du livre serait d'autoriser les ventes couplées sauf aux romans, aux essais, et aux livres de jeunesse. Tout en maintenant la possibilité de commande des libraires » apprend-on.
Sortie de crise, mais la logistique demeure problématique
Au cours de l'année 2006, la question sera poursuivie, et en mars, Benoît Yvert « remarque que les discussions sont en cours et que des contentieux sont en voie de règlements. Il n'y pas hostilité de principe de la direction du livre, juste le souci de sanctuariser les librairies et d'éviter la contagion de cette pratique à la littérature ». Mais ce n'est qu'en février 2008 que le SNE enterrera définitivement la question.
Le SLF est systématiquement informé de l'opération et l'éditeur tient à la disposition des libraires, 3 semaines avant l'opération et pour une éventuelle commande, une petite quantité d'ouvrages.
Pourtant, dans un compte-rendu de réunion d'avril 2010, le sujet revient
Enfin, le SLF a demandé que les ventes couplées soient mises à l'ordre du jour de la prochaine réunion de la commission. Guillaume Husson [devenu secrétaire général, NdR] a précisé que ces opérations avec les kiosquiers se multiplient et la plupart du temps les libraires l'apprennent trop tard pour accompagner correctement l'opération en approvisionnant les ouvrages et en faisant une mise en place spéciale.
Offre couplée, ou quand le livre numérique s'immisce
À ce jour, la vente couplée d'un livre avec un journal est entrée dans les moeurs, complètement. Certaines publications profitent d'ailleurs même de campagne de recrutement pour offrir un livre aux nouveaux abonnés qui souscriront à une offre annuelle d'abonnement. Mais la question de la vente couplée s'est finalement déportée sur un autre point : celui du couple livre papier et livres numériques. Dans le rapport 2009/2010, le SNE évoquait d'ailleurs l'apparition de l'offre mixte, alors que la loi sur le prix unique du livre numérique ne sera adoptée qu'en mai 2011.
Le cas des produits mixtes numériques va se complexifier encore davantage dans l'attente de clarifications et surtout dans l'attente d'un point final à cette discrimination fiscale qui règne depuis 10 ans entre le contenu éditorial sur papier, sur support physique et sur Internet. Les services du ministère des Finances n'ont encore émis aucune position concernant les offres couplées comprenant une tablette e-paper et un ou plusieurs ouvrages.
ActuaLitté a déjà proposé une analyse stricte de la législation sur le prix unique du livre numérique, et qui exclut logiquement toute possibilité de coupler papier et ebook dans une offre commune.
La vente couplée papier et numérique illégale selon le droit français
D'ailleurs, la ministre de la Culture, répondant au courrier qu'un député lui avait adressé, l'affirmait de manière moins tranchée, en mars dernier : Aurélie Filippetti semblait en effet rejoindre nos conclusions, en soulignant au député que la loi et le décret « offrent uniquement la possibilité aux éditeurs de fixer des prix différents dans le cadre d'offres constituées de plusieurs livres numériques ». Et d'assurer que ses services avaient rencontré plusieurs représentants des instances, pour discuter de cette question.
De son côté, le SNE, dans une réunion du mois de septembre, montre que le sujet le préoccupe, et porte une certaine attention à la question.
Les expérimentations actuelles de ventes couplées livre imprimé / livre numérique (ex Papyrus) sont, d'après l'analyse du ministère, illégales en regard des lois sur le prix unique du livre. Par ailleurs, contourner la loi grâce à la réglementation des ventes à prime (7% du prix de vente du produit) risquerait de dégrader l'image du livre numérique dans l'esprit du public en dévalorisant sa valeur marchande. Il faut, par ailleurs, arriver à faire que la librairie traditionnelle puisse devenir un point de vente du livre numérique de proximité pour le grand public.
Mais que ce soit pour la vente journaux/livres ou livres papier/numérique, comme le conclut la réunion du SNE : « Ce dossier est loin d'être clos. »
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