Entre 1751 et 1772, Diderot s'est retroussé les manches, avec son ami d'Alembert, pour réaliser une compilation des connaissances humaines de l'époque, et éditer ce qui sera la première encyclopédie française. L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers fut un outil politique, social et bien entendu, un symbole du Siècle des Lumières. Son premier tome apparut en 1751, avec le Discours préliminaire que rédigea d'Alembert.
Le 02/03/2014 à 13:33 par Nicolas Gary
Publié le :
02/03/2014 à 13:33
Frontispice de l'Encyclopédie (Wikisource)
Au final, l'encyclopédie, qui devait contenir 10 volumes, et pour laquelle des souscripteurs s'étaient financièrement engagés, comptera 35 volumes, réunissant les 17 tomes initiaux, ainsi que onze volumes de planches, et différents suppléments. On considère qu'elle fut tirée à 4255 exemplaires dont 2000 pour le seul territoire français. Un bref rappel historique, qui permet surtout d'amener un petit tour de force très intéressant.
En mars 2011, Hachette Livre et la BnF signent un accord de partenariat : une liste de 200.000 titres du domaine public avait été établie, et une première salve de 15.000 exemplaires étaient commercialisés au travers de l'impression à la demande. Bien entendu, l'accord était non exclusif, mais le fait que Hachette dispose d'un atelier de Print on Demand à Maurepas, fondé en joint-venture avec Lightning Source, favorise amplement la création et la commercialisation dans le circuit classique.
En mai 2013, une première fuite intervient : le site hachettebnf.fr est mis en ligne, mais le lancement officiel ne doit se faire qu'à partir du mois suivant. Si le service d'impression à la demande était proposé depuis avril 2012 - date d'édition indiquée sur certains ouvrages - il manquait une plateforme commerciale de communication. Chose faite et surtout, assurait l'éditeur, il ne s'agissait pas de faire de la vente directe, mais bien de renvoyer en librairies. Un système de géolocalisation permet de cibler l'établissement le plus proche, et à défaut, il est offert de passer par quelques vendeurs en ligne.
Le ReLIRE Diger Digest
Première découverte : on ne sait trop par quel miracle, un libraire méticuleux, nous signale comme un bug dans cette jolie matrice. Un des titres proposés par l'éditeur Hachette Livre BNF est... indisponible. Voilà qui prête à sourire. L'impression à la demande permet justement d'approvisionner en permanence les commandes, et de faire en sorte qu'un livre ne soit jamais indisponible. On imprime en fonction d'une commande déjà payée par le client.
Ainsi, l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers: , recueilli des meilleurs auteurs et particulièrement des dictionnaires angloises, se retrouve « Actuellement indisponible », et selon les sites de vente en ligne, on souligne : « Nous ne savons pas quand cet article sera de nouveau approvisionné ni s'il le sera.» C'est très fort.
D'ailleurs, on trouvera assez cocasse que soit vendue une Encyclopédie de 35 volumes, alors que cette version ne dénombre que trente pages. « Il ne s'agit bien évidemment pas de l'Encyclopédie, mais, sans doute, du discours préliminaire », nous précise le libraire qui nous a associés à cette découverte. De fait, il semble bien plutôt que l'on ait accès au Prospectus rédigé par Diderot, peut-être accompagné du Discours préliminaire de d'Alembert. À voir. Mais en tout cas, certainement pas l'Encyclopédie elle-même. Ou alors, une édition Reader Digest...
Manifestement, cette édition s'était retrouvée sur le site de la FNAC voilà quelque temps, mais le livre a été retiré. Nous avons reproduit le fichier proposé en téléchargement par le site hachettebnf.fr en fin d'article, pour que chacun puisse mesurer la qualité de numérisation.
Retrouver leProspectus et le Discours liminaire sur Wikisource
65.000 titres fin 2013, pari tenu
Deuxième point de cette histoire : à l'exception de Decitre.fr et La procure, l'ensemble des sites partenaires, présentés comme revendeurs par le site hachettebnf.fr, propose un catalogue de 62.000 titres, au moins, voir 65.000 ou 67.000 selon certains. Chez Decitre.fr, on en décompte que 14.522, et... 708 pour La Procure.
Si en apparence, rien ne contraint les partenaires à proposer la même offre, il est toujours plus intéressant, sur internet, de viser à l'exhaustivité. Dans tous les cas, quand l'éditeur Hachette Livre promettait un catalogue de 65.000 titres pour la fin 2013, on constate qu'il a rempli sa mission. Ces résultats sont apparus avec une recherche par éditeur ‘Hachette Livre BNF'.
La fourchette du cavalier, ou Amazon gagne à tous les coups
Le cas de Diderot et de sa vraie-fausse encyclopédie montre cependant combien Amazon a su tirer profit de cette manne d'ouvrages proposés en impression à la demande. Pour le cas Diderot, dont la version Impression à la Demande est indisponible, la société propose bien entendu de se procurer d'autres versions du même livre - ou du moins, d'un ouvrage qui porte le même titre, avec des versions neuves ou d'occasion.
Certainement pas, d'ailleurs, le même livre, puisque deux versions Broché comptent respectivement 808 et 968 pages. Loin de la trentaine proposée par Hachette Livre BNF. Or, aucun des autres libraires partenaires ne propose une alternative au livre indisponible, seul Amazon se fend de quelques propositions permettant, malgré tout, à l'acheteur de se procurer la petite pierre philosophale des Lumières. Avec des suggestions qui sont également bien plus complètes et riches. Et tout cela est évidemment permis grâce au flux de livres - donc au flux de métadonnées - que Hachette Livre BNF expédie aux marchands en ligne.
Or, il existe une autre subtilité introduite par Amazon dans ses offres. Voici le cas de Graziella, célèbre ouvrage d'Alphonse de Lamartine, dont l'édition de 1882 fait partie de l'offre Impression à la demande de Hachette Livre BNF. Et que retrouve-t-on ? Un exemplaire au format Kindle, gratuit, qui n'est bien évidemment pas la même offre que celle de l'éditeur associé à la Bibliothèque nationale de France.
Le titre est en effet proposé par Bibeboook, depuis le 14 mars 2013, alors que l'édition HL-BNF date du 1er août 2013. Bibebook compte 1162 références de livres, tous du domaine public. Sur son site, on propose d'ailleurs de retrouver l'intégralité du catalogue, soit un pack de plus de 1300 ouvrages numériques gratuits, le tout proposé sous licence Creative Commons BY-SA. « Bibebook est le seul éditeur à apposer cette licence sur ses ebooks. Cela vous autorise à réutiliser nos ebooks, ainsi qu'à les rediffuser», souligne-t-il.
Bibebook est d'ailleurs géré par une Association loi 1901, L'Association de Promotion de l'Ecriture et de la Lecture, organisation à but non lucratif. Difficile de la croire mêlée aux vocations marchandes d'Amazon. Et pourtant, sans le vouloir, cette organisation joue bien le jeu d'Amazon, qui profite des flux générés par Hachette Livre BNF avec ses ouvrages en impression à la demande. La disponibilité d'une offre gratuite est en effet associée à celles payantes, et permet de favoriser la consommation des ouvrages au format Kindle - modèle propriétaire d'Amazon.
Kindle gratuit, papier payant ? Qu'importe, l'offre est large !
Dans le cas de l'Encyclopédie de Diderot, il ne se trouve pas d'offre gratuite Kindle, mais des offres payantes. Pas assez séduisant pour convaincre le client de se lancer. Or, si Amazon est en mesure de proposer des versions papier qui ne sont pas identiques à celle d'HL-BNF, le marchand explique sur la fiche-produit de l'Encyclopédie qu'il n'existe pas de version Kindle - information fausse : un mensonge par omission ?
Les hypothèses sont multiples, mais surtout, ne permettent pas de conclusions précises. Une seule s'impose : dans certains cas, Amazon propose des versions papier et/ou Kindle, qui ne sont pas celles de l'offre Hachette Livre BNF. Et dans tous les cas, parvient, soit à la promotion de son service numérique propriétaire, soit à la commercialisation de titres similaires. Et face aux autres libraires, qui ne présentent aucune alternative, Amazon devient donc, une fois n'est pas coutume, l'acteur le plus attractif aux yeux des consommateurs.
Même si cette alternative est trompeuse. « Si l'on comprend bien, Amazon propose le même titre, mais "emprunté" ailleurs, et qui n'a pas forcément de liens avec les titres de la numérisation BnF. En droit, cela s'appelle de la tromperie sur la marchandise, non ?», s'interroge le libraire. L'article L. 123-1 du Code de la Consommation laisserait volontiers planer le doute sur cette idée :
Sera puni d'un emprisonnement de deux ans au plus et d'une amende de 37 500 euros au plus ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers :
1° Soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat ;
3° Soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre.
Le Syndicat national de l'édition, SNE, s'était déjà plaint, dans une affaire semblable, que le marchand propose de subtiles nuances sur se fiches produits. On retrouvait en effet, pour un livre fraîchement et officiellement commercialisé par l'éditeur, des ventes de livres ‘Comme neuf', ‘Neuf à partir de' ou ‘Occasion', qui étaient autant, estimait le SNE, de violation de l'esprit de la loi Lang. Le tout distingué du ‘Prix Amazon', incluant une remise - légale - de 5 % sur le prix de vente que fixe l'éditeur.
« Le procédé n'est pas étonnant, évidemment, mais scandaleux », souligne le libraire qui a pointé ces différents éléments. Mais peut-être que le vrai problème n'est pas à chercher dans les prétendues violations de l'esprit de la loi, mais plutôt dans le fait qu'Amazon cherche à vendre des livres à tout prix, et se donne plus que les moyens d'avoir une offre la plus complète possible pour le client. Quitte à flirter avec la légalité - certains diront, « à ne s'en préoccuper que pour mieux la contourner ». Et que, face à ces solutions marchandes toujours plus complètes, les libraires en ligne ne parviennent pas à suivre ce mouvement.
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