Malgré le nombre d'invités au Salon du livre de Paris, Pierre Moscovici était probablement le plus attendu par l'industrie de l'édition. Invité à assister à une présentation d'une nouvelle campagne du SNE pour la défense du droit d'auteur, il a rappelé dans un discours que la Commission européenne n'était pas l'ennemi de l'édition. Mais il a tout de même rappelé que la création d'un marché unique numérique n'irait pas sans ajustements nécessaires.
Le 21/03/2015 à 10:30 par Antoine Oury
Publié le :
21/03/2015 à 10:30
Pierre Moscovici - Salon du Livre de Paris 2015 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Conscient de s'exprimer face à des industriels remontés par la réforme du droit d'auteur mise en marche au sein du Parlement européen, Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, à la Fiscalité et à l'Union douanière, est surtout venu calmer le jeu. « Il n'y a pas d'Europe sans culture », a-t-il assuré, confirmant son intérêt pour les sujets culturels.
L'autre versant de la construction européenne, rappelle le commissaire, est économique. « L'Europe est aussi faite pour l'économie, par l'économie depuis ses débuts. C'est un grand marché. Les secteurs culturels et créatifs représentent 4,2 % du PIB de l'Union, 7,1 millions d'emplois. Dans une période marquée par le chômage de masse, ça ne peut pas être considéré comme négligeable. Ces secteurs ont un rôle déterminant à jouer dans la relance, la priorité de cette Commission », a-t-il souligné.
Toujours sur cet axe économique, « obsession personnelle », Pierre Moscovici détaille : « L'édition du livre, c'est un chiffre de 22,3 milliards €, c'est 130.000 emplois directs et plus d'un million si on tient compte de toute la chaîne de valeur du livre et des emplois directs. C'est la plus grande des industries culturelles européennes. » 7 grands groupes éditoriaux sur 10 dans le monde sont européens, rappelle le commissaire, et l'Europe peut largement apparaître sur la carte de la culture mondiale, préserver la diversité culturelle, les langues nationales et régionales.
Sur son blog, un peu plus tôt dans la journée, Pierre Moscovici avait salué la langue française comme vecteur de multi-culturalité :
Camus disait : « ma patrie, c'est la langue française », celle qui ne connait pas de frontière et constitue le bien commun de 274 millions d'individus, à travers cinq continents. Je crois qu'aujourd'hui, à l'ère des contacts dématérialisés et de l'effacement progressif des frontières nationales, d'autres vecteurs d'appartenance s'imposent : la langue fait partie intégrante de cette nouvelle géographie. Et la langue française, en tant que bien commun ouvert à chacun, est un apôtre de la multi-culturalité.
Face à des usages et des pratiques culturelles qui se sont largement exportées sur Internet, la création du marché unique numérique vise à exploiter le « potentiel considérable d'Internet pour la promotion de la richesse, de la diversité culturelle — qui peut aussi devenir banalisation culturelle ». « Pour l'instant, nous constatons qu'Internet déstabilise les modalités de financement de la culture et fragilise tout le secteur, et l'enjeu, c'est de concevoir une stratégie pour la promotion des industries culturelles et créatives qui soit mieux adaptée à l'ère numérique », a rappelé le commissaire européen.
D'ici mai, a annoncé Pierre Moscovici, cette stratégie, composée de propositions législatives et non législatives, sera proposée. Il y aura notamment la TVA, tant attendue par les éditeurs, sera revue « dans le cadre d'une refonte globale, dans les années qui viennent », a assuré Moscovici. Mais aussi la fiscalité, avec un projet sur la transparence que le commissaire européen a lui-même présenté, ou l'interopérabilité. Sur ce dernier point, le commissaire salue la démarche de Fleur Pellerin et de ses homologues, qui ont signé une déclaration commune il y a quelques jours.
Arrive enfin le droit d'auteur, sur lequel une partie des créateurs, les sociétés de gestion collective et les éditeurs sont particulièrement mobilisés. « Avec la réforme du droit d'auteur, l'objectif est de moderniser les règles du droit d'auteur pour répondre aux besoins des progrès technologiques et aux attentes des citoyens européens », a-t-il expliqué, conscient d'avancer en terrain miné.
L'ère du consommateur approche (ne tremblons pas)
« La société va basculer dans une ère que je qualifierai en anglais, de any content, any time, anywhere, any device. C'est un fait, et les frustrations des consommateurs contribuent à expliquer le phénomène dont on a parlé tout à l'heure, la piraterie. » Les consommateurs, précise Moscovici, ont déjà adopté les usages, et la rapidité d'accès aux contenus, partout, et c'est au marché de s'adapter : « On ne peut pas, franchement, les ignorer », a-t-il souligné, répondant indirectement au discours de Vincent Montagne, président du Syndicat national de l'édition, prononcé la veille.
« Le droit d'auteur est et doit rester un instrument de promotion de la créativité, de la diversité culturelle, de la protection des investissements, de la rémunération des créateurs. Dans les débats de la commission, je ne m'en écarterai pas », rassure-t-il. « Mais un certain nombre d'acteurs seront amenés à changer leur comportement. »
Et le commissaire européen de citer quelques exemples : la territorialité, tout d'abord, et les difficultés dans la diffusion des oeuvres entre les pays européens : « Il faudra prendre en compte le rôle joué dans le financement par les exclusivités territoriales, tout en poussant les acteurs à innover, à tenir compte des attentes des consommateurs », a-t-il rappelé. Une référence à la consultation européenne menée l'année dernière, où de nombreux problèmes relatifs à la territorialité avaient été identifiés.
Les exceptions au droit d'auteur, ensuite : « Il est souhaitable qu'une plus grande harmonisation de certaines d'entre elles renforce la sécurité des échanges à l'intérieur de l'Union », a indiqué Pierre Moscovici. Celle du droit de prêt en bibliothèque, notamment, pourra garantir une rémunération aux créateurs tout en améliorant l'accès et la diffusion des oeuvres. « C'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'accès à la connaissance et à la recherche », a rappelé Pierre Moscovici, une référence directe à l'open access, un mouvement universitaire et académique qui effraie certains éditeurs. L'ONU, dans un récent rapport, avait également défendu ce nouveau mode de diffusion de la connaissance.
« Sans empêcher la naissance d'un nouveau marché, il faut adapter le droit d'auteur pour créer plus de clarté, de sécurité », a résumé le commissaire européen. Une démarche similaire à celle du Traité de Marrakech, adopté par l'Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle pour harmoniser les exceptions au bénéfice des handicapés, servira probablement de modèle pour une telle harmonisation.
« La Commission n'est pas, ne peut pas être, ne doit pas être, ne sera pas un ennemi », a déclaré Pierre Moscovici en ouverture de son discours. Il a invité les industries culturelles et créatives au dialogue constructif, sans dévier de cet impératif de marché unique numérique européen. « Il faut faire avancer les droits des consommateurs et les droits des auteurs en parallèle, qui sont complémentaires. On ne peut pas opposer les consommateurs européens et les créateurs français, par exemple. »
Et de promettre à un auditoire tout ouïe : « Toute réforme du droit d'auteur qui vise à élargir la diffusion d'une oeuvre classique devra s'accompagner, et je peux vous le garantir, de mesures destinées à garantir le respect du droit. »
Il a invité les industries culturelles à ne pas faire cesser le dialogue dès le « stade préalable » de ces réformes, qui ne sont même pas encore matérialisées par des propositions concrètes. « Les politiques culturelles relèvent essentiellement des États membres et la compétence culture est faible au niveau de l'Europe », a-t-il rappelé, soulignant que la coopération des États était donc indispensable.
L'eurodéputée Julia Reda avait, le 13 mars dernier, publié un article sur son blog dans lequel elle déplorait l'attitude des eurodéputés français : « Les députés européens français se distinguent de leurs collègues européens sur la question du droit d'auteur par leur ralliement pour le non changement. J'espère néanmoins pouvoir continuer la discussion avec eux pour expliquer davantage mes propositions, mais aussi écouter leurs arguments, pour comprendre de quoi ils ont si peur », écrivait-elle.
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