Le principe de Redevance Copie Privée est un outil éminemment obscur. Utilisé pour compenser les pertes qu'un créateur subit, lorsqu'un client se décide à effectuer une copie d'œuvre, il touche exclusivement les appareils offrant une solution de stockage. Cassette vidéo, puis DVD et smartphones, cette taxe qui ne dit pas son nom pourrait s'étendre prochainement aux lecteurs ebook. Marc Rees, rédacteur en chef de NextINpact détaille avec nous l'ensemble des rouages de la RCP.
Le 29/04/2015 à 12:51 par Nicolas Gary
Publié le :
29/04/2015 à 12:51
Derrière la RCP, se trouve une commission, constituée de 12 représentants d'ayants droit, et face à eux, six représentants d'industriels concernés et six de consommateurs. Un schéma apparemment démocratique, mais qui laisse rêveur. « Il suffit qu'une personne des industriels ou des consommateurs soit persuadée du bien-fondé, et l'on adopte un taux et une nouvelle assiette [NdR, les supports assujettis] », explique Marc Rees.
La Commission est ainsi chargée de passer en revue les usages, et de jauger les nouvelles pratiques de copies. Ces études sont normalement financées par la Commission elle-même, en réalité ce sont les ayants droit qui mettent la main à la poche. Ces études sont ensuite présentées, discutées et votées. « Ils évaluent les pratiques de copie à un moment précis, et prennent notamment en compte la présence de DRM, pour adapter le niveau de perception. Toute une cuisine interne sur laquelle le commun des mortels n'a pas de visibilité. »
On retrouve souvent cette critique : la redevance serait « du vol », parce que les fichiers contiennent des DRM, interdisant la copie. Fausse piste : « La jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne a réexpliquéen mars dernier que la présence de DRM n'interdisait pas la perception de la redevance. En revanche, si 90 % des fichiers, pour un secteur donné, sont DRMisés, la RCP doit en tenir compte », note Marc Rees avec le sourire. Effectivement, habile solution. « Soit l'on considère que c'est absurde, soit que le droit est le droit, et on l'applique. » Formulation purement rhétorique...
Surtout que la France détient la palme : sa redevance est cinq fois plus élevée que la moyenne européenne. Une étude de l'UFC, s'appuyant sur les chiffres amassés par les ayants droit hollandais auprès de leurs homologues étrangers, a établi une comparaison à l'échelle européenne.
«Le cas français s'explique structurellement, par la démocratie particulière qui préside au sein de la Commission. Cette situation prépondérante des bénéficiaires du flux financier fait qu'ils sont naturellement plus enclins à défendre leurs intérêts que ceux des consommateurs ou des industriels. Une sorte de bête bug administratif, dans la conception. »
240 millions € en 2013, injectés dans la culture – presque
Marc Rees Copieur privé redevable |
Cette représentativité est qualifiée de commission paritaire par ses partisans, mais elle se retrouve elle-même bancale : « L'ADN des représentants d'industriels est très hétérogène. Parmi ceux qui siègent, certains sont en relation directe avec des ayants droit via les plateformes d'offre légale, alors que d'autres sont plus neutres. » Le sac contient donc son lot de nœuds.
L'idée que les lecteurs ebook puissent être prochainement concernés par la RCP ne signifie rien en soi, en regard du marché. « La Commission pose une première pierre, qui servira à construire le modèle d'assujettissement, afin d'ouvrir la brèche pour une éventuelle perception. Si les études montrent que les usages sont en hausse, alors la Commission pourra prévenir plutôt que guérir dans la précipitation. » Et pour cause : chat échaudé redoute les robinets.
En tardant à s'intéresser aux smartphones, et en calquant les pratiques sur le modèle des lecteurs MP3, la commission avait dû agir dans une belle précipitation.Depuis, le Conseil d'État a demandé que les études soient un peu plus solides et réactualisées. « Juridiquement, le principe d'assimilation est un peu dangereux. »
Si les consommateurs grognent, et que les industriels rechignent, il en est un qui se frotterait plutôt les mains : le ministère de la Culture. Sur les 240 millions € que représente chaque année la RCP (chiffre 2013), 25 % sont réinvestis dans la politique culturelle, et le financement de festivals. Et ce, alors que l'argent est réinjecté avec une grande liberté : « La Sacem a déjà évoqué ce point, et Jean-Noël Tronc [Patron de la Sacem, NdR], lors des Rencontres cinématographiques de Lyon, l'avait de nouveau souligné. » Ce versement génère en effet des liens d'amitié entre les élus qui vont héberger les manifestations, et ceux qui effectuent les versements... Plaisant.
« Le tout est introduit dans un circuit, au lieu et place du ministère de la Culture. Les cibles sont définies mais les postes très larges.Le Code de la propriété intellectuelle demande en effet aux ayants droit d'arroser avec ces 25 % la création, la diffusion du spectacle vivant ou des actions de formation des artistes (L321-9 du CPI), outre “des actions de défense, de promotion et d'information engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres”, en clair la lutte directe ou indirecte contre la contrefaçon (R321-9 CPI). Ceci dit, les ayants droit peuvent choisir librement où ces dizaines de millions d'euros seront réinjectées. »
Les 75 % restants sont eux bien dispatchés entre les différentes SPRD qui jouent au poste d'aiguillage – non sans avoir prélevé un montant lié aux frais administratifs que leur intervention implique. Dans le cas des lecteurs ebook, il reviendrait évidemment à la Sofia de gérer la manne nouvelle promise à l'édition.
« La rue de Valois a tout intérêt à ce que cette redevance fonctionne à plein régime, puisque, chaque euro réinvesti au titre des 25 %, c'est autant de deniers publics économisés. Un détail important, il ne s'agit pas d'un impôt, mais d'un prélèvement effectué directement sur les épaules des importateurs et les distributeurs, et par contrecoup, sur celles des consommateurs. Sans passer par Bercy. Pas d'arbitrage douloureux lors de la constitution des budgets : c'est un flux direct, et une véritable manne. »
Anticiper les nouveaux marchés, par précaution
Dans ce cas, comment n'avoir pas envisagé de ponctionner les lecteurs ebook dès les premiers temps ? « En réalité, les industriels ont quitté la table des discussions fin 2013 : en vertu des statuts, il ne peut plus y avoir de réunion possible. Un tel assujettissement aurait donc été possible si la Commission avait perduré. » En parallèle, le ministère prépare donc le terrain pour cette nouvelle formule, d'autant que le contexte est douloureux. Les supports traditionnels sont en fin de vie, et l'on prépare d'autres sources d'approvisionnements. « L'idée de voir réduire le niveau de perception habituel est toujours douloureuse pour ceux qui s'habituent à un certain niveau de confort financier.»
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Dans tout cela, si le consommateur ne se sentait pas encore lésé, il découvrira avec plaisir comment les études d'impact sont réalisées. « La question de la gouvernance et l'évaluation réelle du préjudice sont des questions majeures : rappelons que la redevance est déterminée sur la base d'une duplication, opérée à partir d'une œuvre légalement acquise. L'idée est de calculer le coût de cette copie considérée comme un préjudice pour l'ayant droit puisque finalement le consommateur n'a pas à racheter l'œuvre dupliquée. » Mais dans les faits, c'est plus vicieux.
Veuillez sortir vos EPUBs du véhicule
Au moment de l'enquête, on demande au consommateur d'ouvrir son disque dur. « Imaginez qu'un agent œuvrant pour un système étatique vous demande si tous vos livres numériques ont été légalement acquis : le réflexe est plutôt de jurer que oui. Personne n'apprécie d'être pris la main dans le sac. » Quelle conséquence, que cette fausse déclaration, alors ? « Tout simplement de maximiser le volume des copies licites, qui servent à déterminer le niveau des barèmes, et donc à autoriser les bénéficiaires à prélever davantage. »
Si 10 copies licites et 90 copies illicites cohabitent sur un disque dur, la redevance devrait être indexée sur les 10 copies légales. Or, avec une déclaration mensongère, la redevance est donc calculée sur 100 copies légales. Elle augmente donc énormément....
Les consommateurs sont donc frappés, alors que les professionnels sont, en vertu d'un arrêt européen d'octobre 2010, logiquement exemptés. « Logiquement », s'amuse Marc Rees. Comme la TVA, la redevance devrait donc être remboursée pour les achats de supports que frappe la RCP. Un libraire, un éditeur, un auteur, ou tout autre professionnel du livre qui achèterait une tablette, aujourd'hui, ou probablement un lecteur ebook, demain, devrait pouvoir récupérer le montant RCP.
« Pour ce faire, comme le veulent la loi sur la copie privée et ses textes d'application, le vendeur doit vous présenter une facture qui intègre et affiche clairement le montant de la RCP facturé par le distributeur. Seulement, faites un test autour de vous, peu de distributeurs proposent de vous fournir une telle facture avec RCP. Pourquoi ? Tout simplement parce que mettre à jour l'ensemble des systèmes de facturation avec des barèmes tortueux est pratiquement impossible. Conclusion : les professionnels payent la copie privée mais ne parviennent que rarement à se faire rembourser ». (un exemple)
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