La défense de la propriété intellectuelle est le combat premier des éditeurs. Fait logique : c'est de l'exploitation commerciale des oeuvres que découle tout le commerce du livre. Et si l'on ne protège pas les droits que l'on a acquis, on peut risquer gros. La protection juridique est évidemment une approche première, qui a ses limites à l'ère numérique : c'est là qu'intervient le verrou numérique, qui est protéiforme.
Le 22/01/2014 à 13:52 par Nicolas Gary
Publié le :
22/01/2014 à 13:52
Quelque part en 2010, des clients d'Adobe avaient découvert avec stupeur les conditions dans lesquelles les EPUB pouvaient être utilisés. Le principe des droits numériques était ainsi défini, pour les livres numériques
Copying not allowed
Printing not allowed
Lending not allowed
Reading aloud not allowed
Bon, le principe de copie ou d'impression, voilà qui est déjà difficile à avaler. Le prêt est toujours plus délicat, la question se pose plus que jamais. Mais la lecture à voix haute, cela n'avait pas manqué de faire rire, quoique jaune, les internautes. Évidemment, certains comprenaient qu'il s'agissait là de la fonctionnalité text-to-speech des appareils de lecture, mais l'on entre justement là dans des problématiques de protection techniques de la propriété intellectuelle. Rajoutons que cette restriction à pour conséquence de peser sur des prestataires comme OverDrive, qui fournit un service de prêt numérique aux bibliothèques.
Poussons un peu la réflexion : les solutions techniques de protection de la PI interviennent fort logiquement dans l'environnement numérique. On appose plus facilement un verrou limitatif sur des ebooks que sur un livre papier. Quoique...
L'exemple du gène Terminator Hasta la Vista
Plus généralement, la création industrielle est souvent protégée par des solutions techniques : dans le cas de végétaux, l'exemple du Terminator est assez connu. Il s'agit de l'introduction d'un gène dans un OGM, qui fait en sorte que les graines issues de la seconde génération des plantes, sont stériles, et à ce titre, inexploitables. Ainsi, on comprend bien que l'acheteur de la plante OGM ne pourra pas tirer profit abusivement des industries qui en sont à l'origine. C'est qu'il convient de faire respecter la PI, coûte que coûte. Toutefois, les gènes Terminator ne seraient pas intégrés dans des variétés commerciales. (voir Wikipedia)
Il s'agit également de protéger les brevets que l'art des biotechnologies a su réserver. Avec pour conséquence d'imposer aux agriculteurs de devoir racheter chaque année les semences utilisées l'année passée, puisque les graines sont stériles. N'oublions pas que pour certains, le droit millénaire des agriculteurs est alors purement et simplement bafoué, au profit de l'industriel qui possède le brevet d'esclavagiste en chef. Les laboratoires de recherche auraient pris un ascendant considérable sur les producteurs de matière. Tiens donc...
On comprend bien que, dans cette optique, tout risque de contrefaçon est au moins partiellement écarté, et que celui de dissémination est passablement exclu. Soit.
Mais qu'est-ce que les biotechnologies nous apprennent sur la présence de verrous numériques dans les livres ? Tout d'abord, notons que plusieurs voix s'élèvent contre le principe même du gène Terminator, puisqu'il ira à l'encontre de l'article L. 613-5-1 de la loi du 8 décembre 2004.
Par dérogation aux dispositions des articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3, la vente ou tout autre acte de commercialisation de matériel de reproduction végétal par le titulaire du brevet, ou avec son consentement, à un agriculteur à des fins d'exploitation agricole implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser le produit de sa récolte pour la reproduction ou la multiplication par lui-même sur sa propre exploitation.
En clair, on ne doit pas empêcher un agriculteur de semer le grain qu'il a récolté. Adapté au livre numérique, l'idée serait que l'on ne pourrait pas empêcher un acheteur d'ebook de semer le livre qu'il a acheté. Et dans agriculture, on entend aussi culture, non ?
Environnement propriétaire, le rêve
C'est ici qu'intervient le marchand que tout le monde aime détester, sauf peut-être bien les éditeurs, en tout cas de ce strict point de vue de la défense de la propriété intellectuelle. On l'a dit et répété de nombreuses fois, chez Amazon, on n'achète pas un livre numérique, on achète une licence d'utilisation d'un livre numérique.
La cage dorée ?
VinothChandar, CC BY 2.0
Quand on impose une restriction sur un livre numérique - une DRM qui limiterait par exemple à 5 transferts d'un fichier - il n'est plus possible de parler réellement de vente ou d'achat. En fait, le consommateur est clairement trompé dans son geste, et mécontent une fois qu'il se rend compte qu'avec le numérique, il doit abandonner les différents droits et usages auxquels il s'était habitué avec les livres papier. Et le fait de se retrouver contraint de rester dans l'environnement Kindle est clairement... une mesure technique de protection de la propriété intellectuelle.
Le droit d'accès, qui se substitue à la vente réelle d'un livre numérique, représente pour certains une solution de défense absolue - oseraient-ils parler de parfaite ? - du droit d'auteur. Surtout que le droit encadre et protège les mesures techniques de protection elles-mêmes, en interdisant leur contournement, sinon pour quelques rares exceptions. Contraindre le recours à un unique appareil, limiter le nombre d'appareils accessibles, imposer un format unique et l'écosystème qui va avec représenterait une « fabrication de marchés multiples », selon l'expression de MM Jean-Michel Vivant et Michel Bruguière (voir Droit d'auteur, collection Précis, Ed. Dalloz).
Mais la tendance répressive, voire régressive, de ces pratiques ne devrait pas causer autant de tort au consommateur. Surtout que l'efficacité des MTP, Mesures Techniques de Protection, ou DRM, Digital Rights Management, résistent rarement à l'enthousiasme des internautes. Aucun mécanisme ne résiste bien longtemps au travail patient de celui qui a décidé de ne pas s'en laisser conter.
Don't feed the (Patent) Troll
Finalement, et sans trop abuser d'interprétations floues, on doit rapprocher les MTP d'une autre pratique bien connue : le dépôt de brevet abusif, qui permet de générer une activité économique, par le simple fait de déposer des brevets. La formule est connue sous le nom de Patent troll, ou troll des brevets. Le troll est cette créature malfaisante qui vit sous des ponts qu'ils fabriquent eux-mêmes : pour avoir le droit de traverser, il faut alors s'acquitter d'une taxe.
Dans le cas du Patent troll, c'est le même principe : on dépose des brevets à outrance, et l'on attaque en justice toute personne dont l'activité pourrait, de près ou de loin se rapprocher dudit brevet enregistré. Or, celui qui détient le brevet n'a pas produit de richesse, pas plus qu'il n'a inventé quoi que ce soit : il profite simplement de la production de tiers, qui, ignorant la préexistence du brevet, se sont lancés dans la réalisation de quelque chose.
Troll Gimli_36, CC BY SA 2.0 |
Quelle différence alors, entre le DRM et le Patent Troll ? Le respect du Code de la propriété intellectuelle, qui rend l'éditeur responsable et le contraint à protéger les oeuvres qui lui sont confiées.
Certes.
Mais en apposant des DRM sur un livre numérique, l'éditeur ne fait pas mieux que le Patent Troll, car il ne protège pas le contenu de l'oeuvre de la contrefaçon. En revanche, il contraint le client, et lui impose des restrictions éminemment contestables. Et l'accord tacite des éditeurs, qui cautionnent l'environnement propriétaire d'Amazon ne vaut finalement guère mieux.
Une situation que le Code pénal pourrait joliment qualifier, cela s'appelle la complicité : « Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. » (Article 121-7)
Mais que l'on se rassure, la loi du 1er août 2006, DADVSI a rendu valables juridiquement les MTP. Et l'article 9.2 de la Convention de Berne, et le test en trois étapes, évoquant l'atteinte à l'exercice de l'exception de copie privée pour le consommateur. En janvier 2006, le TGI de Paris avait condamné Warner Music France et Fnac à verser des dommages-intérêts, invoquant notamment ce dernier point. Sauf que la Cour d'Appel, en juin de l'année suivante, avait infirmé la condamnation.
Le Patent Troll, autant que les DRM, sont décidément bien ancrés dans nos sociétés.
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