Ce vendredi 26 septembre, la Cour d'appel de Versailles rendra sa décision dans le cadre de la plainte de Sylvie Uderzo pour abus de faiblesse à l'encontre de son père, Albert Uderzo, déposée en février 2011. Un feuilleton judiciaire et éditorial commencé en 2007, avec l'apparition des premières dissentions entre le créateur et sa fille, selon le récit fait par Bernard de Choisy, époux de Sylvie Uderzo, dans La loi des seigneurs, publié chez Michalon.
Le 25/09/2014 à 15:57 par Antoine Oury
Publié le :
25/09/2014 à 15:57
Albert Uderzo et Anne Goscinny, au moment de la sortie du 35e album Astérix chez les Pictes
(ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
Pour les plaignants, la décision rendue vendredi est cruciale : elle fait suite à une enquête de la BRDE, Brigade de Répression de la Délinquance Économique, menée entre le 11 mars 2011 et le 3 novembre 2011, après à une plainte contre X, déposée par Sylvie Uderzo à l'encontre de l'entourage de son père. L'ouvrage de son époux Bernard de Choisy revient sur de nombreux éléments de l'enquête préliminaire menée par les deux enquêteurs chargés de l'enquête.
Les enquêteurs relèvent alors, telles que rapportées dans La loi des seigneurs, nombre d'irrégularités dans la gestion de la fortune et du patrimoine d'Albert Uderzo, suffisamment pour réclamer « l'ouverture d'une information judiciaire », comme le rapporte de Choisy. Ce dernier s'interroge alors sur les suites données à cette enquête préliminaire : les perquisitions pour confirmer ou infirmer les soupçons, ne seront effectuées qu'aux mois de mai, juin et juillet 2012, d'après lui, parallèlement aux auditions des suspects dans l'entourage d'Uderzo, quelques mois après celles de l'auteur lui-même.
Suffisamment longtemps après la plainte pour faire disparaître les preuves, estime Bernard de Choisy dans son ouvrage, et ainsi mener à la décision de la Cour de Nanterre en décembre 2013, concluant à un non-lieu vis-à-vis de la plainte de Sylvie Uderzo.
L'impartialité de Nanterre discutée
Sans surprise, après ce verdict, Sylvie Uderzo décide de faire appel de la décision auprès de la Cour de Versailles. Pourquoi ce changement de Cour pourrait-il modifier la donne ? Bernard de Choisy fournit une explication personnelle dans son livre, en suggérant que la Cour de Nanterre, placé sous l'autorité du Procureur Philippe Courroye, aurait été victime de trafic d'influence.
Bernard de Choisy suggère que le patron de la BRDE, Patrick Demoly, proche de Philippe Courroye, aurait « étouffé » l'enquête préliminaire et l'enquête elle-même, ainsi que ses conclusions, au profit de l'entourage d'Uderzo et des industriels désormais liés à la maison d'édition de l'auteur, autrement dit Hachette Livre et Lagardère.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
On connaît largement, à présent, la réputation du Procureur Philippe Courroye qui, dès sa nomination début 2007, avait été érigé comme un symbole du « verrouillage par la droite des postes stratégiques » par le Syndicat de la magistrature, suite à sa promotion sur demande du ministre de la Justice Pascal Clément, lui-même sous l'influence, a priori, du président Jacques Chirac et du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.
Ce dernier n'a jamais caché son affection pour Arnaud Lagardère, qui présentait l'homme politique comme son « frère » lors d'un séminaire d'entreprise, en 2005. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Économie entre mars et novembre 2004, aurait alors aidé l'industriel à régler la succession de son père Jean-Luc Lagardère, créant une relation de reconnaissance et de respect mutuel.
Les irrégularités dans la gestion des affaires d'Uderzo
Sur le plan de la gestion des affaires et de la fortune d'Albert Uderzo, le livre de Bernard de Choisy met en avant plusieurs éléments, encore une fois tirés de l'enquête préliminaire et de l'enquête menée par la BRDE. Sont ainsi cités le notaire, le comptable, ainsi qu'un entrepreneur ami d'Albert Uderzo, et les différents montages qu'ils auraient pu effectuer. Si de Choisy cite de nombreux passages des auditions, seule la justice est à même de trancher.
Mais un autre élément, directement vérifiable, suggère en effet qu'Albert Uderzo n'était pas spécialement bien entouré, au niveau administratif. Pour gérer sa maison Albert René, Albert Uderzo avait mis en place une holding familiale, la Syadal (pour SYlvie, ADa [l'épouse d'Uderzo, NdR] et ALbert). Cette holding possédait 80 % des parts de la maison Albert René depuis 1989, les 20 % restants revenant à Anne Goscinny, fille de René Goscinny. La holding elle-même est partagée entre Albert Uderzo et sa fille, respectivement propriétaire de 16.502 actions et 16.498 actions, pour un total de 33.000 actions.
Dans le livre, Bernard de Choisy révèle que les statuts de la société Syadal, déposée au greffe du tribunal, indiquent que le PDG, autrement dit Albert Uderzo, doit quitter ses fonctions à l'âge de 65 ans, conformément à la législation en vigueur sur les sociétés anonymes au moment de la création de l'entreprise.
Les dispositions de l'article L 225-54 (ex- loi du 24 juillet 1966 art. 115-1) sur lalimite d'âge des directeurs généraux sont en outre étendues aux directeurs généraux délégués (art. 107, 2). Ainsi, les statuts devront prévoir une limite d'âge pour l'exercice des fonctions de directeur général et de directeur général délégué qui, à défaut, est fixée à 65 ans, la personne ayant atteint cette limite étant réputée démissionnaire.
« Or, Albert est âgé de 80 ans, donc il serait un PDG en situation plutôt inconfortable. Et cela depuis 1992 ! », note Bernard de Choisy, suite à l'absence de modifications des statuts. Entendant prouver au dessinateur les irrégularités dans la gestion de ses affaires, ils signalent l'erreur en janvier 2008, mais un procès-verbal d'une assemblée générale extraordinaire qui se serait déroulée le 29 juin 2007 leur est alors adressé, assurant que les statuts ont été modifiés.
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Nulle trace de ce procès-verbal dans les archives de la société, sur le site de la greffe du tribunal ou celui de societe.com. Le procès-verbal d'une assemblée générale avec modifications des statuts, daté du 27 juin 2002, signale que la société se met en conformité avec la limite d'âge applicable, suivant la loi du 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Économiques, mais il n'a été déposé à la greffe du tribunal qu'en mai 2008.
Le tribunal de commerce signalera « des irrégularités constatées », mais désignera un médiateur pour réparer ces dernières. Suite à l'appel de Sylvie Uderzo quant à la gestion de la société, la Cour d'appel déboutera la plaignante, en expliquant que Sylvie Uderzo « ne démontre pas l'urgence qu'il y aurait à statuer sur les conditions apparemment régulières d'une assemblée, ce qui exclut le caractère sérieux de la contestation ».
En retour, le 4 juillet 2008, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre lance une procédure à l'encontre de Sylvie Uderzo et Bernard de Choisy pour discrédit d'Albert Uderzo et de son entourage professionnel, dans le but de garder le contrôle de la maison Albert René, à la demande de cette dernière. Le 10 décembre 2008, la Cour d'appel de Versailles infirme l'ordonnance du TGI de Nanterre, pour absence de preuves. En se rappelant cette décision, l'intervention de la Cour d'appel de Versailles ne semble pas anodine dans le dossier...
La vente à Hachette, « éditeur historique » mais pas meilleur offrant
Le lecteur se demandera à juste titre en quoi les affaires d'héritage d'Uderzo, ou la façon dont il a pu gérer sa maison d'édition Albert René en décidant de la vendre à Hachette Livre en décembre 2008, regardent la justice. La plainte de Sylvie Uderzo pour abus de faiblesse conteste l'honnêteté de l'entourage du cocréateur d'Astérix, bien sûr, mais remet aussi en cause la cession à Hachette.
En décembre 2008, les 16.502 actions de la Syadal d'Albert Uderzo reviennent à Hachette Livre, représentée par son Président Directeur Général Arnaud Nourry, qui devient alors actionnaire majoritaire de la société anonyme. Le montant officieux de la transaction est évalué à 12,7 millions €, avec 10 millions € supplémentaires versés à Albert Uderzo pour obtenir le droit de publier de nouveaux albums après son décès. L'assemblée générale ordinaire du 6 janvier 2009 consacrera aux postes d'administrateurs Biblio Participations et HL 93, deux holdings du groupe Hachette, quand Sylvie Uderzo, toujours actionnaire minoritaire, et ses représentants sont écartés.
Rappelons que, par cette opération, Hachette Livre devient propriétaire à plus de 40 % des Éditions Albert René. Parallèlement, toujours en décembre 2008, Anne Goscinny décide de vendre ses propres parts des éditions Albert René à Hachette Livre : 400 actions seront cédées pour un montant de 5 millions €, correspondant à 20 % des Éditions Albert René. Au sortir de l'opération, en janvier 2009, Hachette Livre dispose ainsi de 60 % des Éditions, pour un montant total de 17,7 millions €.
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Ce montant a aussi attisé la suspicion de Sylvie Uderzo et Bernard de Choisy à l'égard de l'entourage d'Albert Uderzo : dans l'hypothèse où la part de Sylvie Uderzo aurait été rachetée par Hachette Livre au même prix que celle de son père, le total du rachat complet des Éditions aurait à peine dépassé les 30 millions €. « Nous l'avions pourtant évalué avec des experts indépendants à 50 millions d'euros », affirme Bernard de Choisy dans La loi des seigneurs.
Il rapporte d'ailleurs deux rencontres avec d'autres magnats de l'édition : Vincent Montagne, président du groupe Média Participations, aurait proposé 50 millions € pour le rachat de la maison Albert René, quand le milliardaire Jean-Claude Darmon aurait posé sur la table au moins 60 millions €.
Le 17 mars 2011, c'est au tour de Sylvie Uderzo de céder ses propres parts de la Syadal, dont elle a été écartée du conseil d'administration, et donc de la maison Albert René. Cette décision avait été vivement critiquée : pourquoi vendre après trois années de résistance ? Si Bernard de Choisy ne révèle pas le montant obtenu pour les parts restantes de la Syadal, il explique ce choix par le nécessaire financement du « combat judiciaire » pour faire reconnaître l'abus de faiblesse exercé d'après eux. La justice, en rendant sa décision demain, lui dira si elle a fait le bon choix.
Le plus étonnant, après la lecture de l'ouvrage, reste peut-être l'absence de poursuites judiciaires suite à la publication de La loi des seigneurs : « Tout s'est très bien passé pour nous, nous n'avons pas reçu de plaintes, pas de réclamations, pas de demandes particulières », nous informe l'éditeur. Au vu des procédures précédentes, mais aussi des faits et des noms cités dans l'ouvrage, y compris ceux qui relèvent d'une affaire pénale en cours, l'absence de plainte pour diffamation serait presque le plus dérangeant, dans toute l'affaire.
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