Ecouter la musique jouée devant soi va de pair avec le fait inévitable de porter son regard sur ses interprètes. Mais cette évidence, qu'impose la nature même de notre corps récepteur, et que rien a priori ne remettrait en cause, ne nous coupe-t-elle pas progressivement de l'essence profonde de la musique ? Celle-ci relève-t-elle (aussi) de l'ordre du visible ? L'auditeur a-t-il donc besoin de ses deux faces, apparente et inapparente, pour comprendre pleinement l'oeuvre ? A-t-il besoin, par conséquent, de se faire aussi (et autant) spectateur ? Oui s'il faut en croire I. Stravinsky, compositeur obstiné pour qui la vision s'impose comme soutien de l'écoute. Non s'il faut en croire à l'opposé E. Varèse, créateur radical de matière sonore inouïe. Entre ces deux avis tranchés, il faut donc explorer et tracer une troisième voie vers l'intériorité de l'écoute. Il s'agit pour finir de savoir dans quelle mesure la musique ne relèverait pas de ce radical "bonheur d'aveugles" défendu par Ernst Bloch, philosophe et mélomane averti. Est analysée ici la nature de cette interdépendance, de cette interpénétration oreille/oeil, de cette distorsion entre eux. In fine, leurs luttes d'influence montrent qu'en dépit de toute sa matérialité visible, la musique ne saurait se réduire d ce conflit sensoriel. Car elle s'épanouit surtout comme intériorité, intériorisation, sous les auspices desquelles l'auditeur prend connaissance de l'oeuvre au plus intime, au plus haut point.
Par
Matthieu Guillot Chez
Presses de L'Université de Provence
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