#Roman francophone

Descente de médiums

Nathalie Quintane

"Des morts ont parlé. D'excellents médiums ont rapporté leurs paroles. Ce livre prend leur relais".

Par Nathalie Quintane
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

Après mon précédent livre, qui parlait de l’amour, je rencontrai l’amie qui m’avait commandé ce livre sur l’amour. Puisque tu as accompli ce que je t’ai dit et que cela n’a pas été fait sans enthousiasme, et que, d’autre part, je ne pensais pas que tu le ferais et que tu le ferais à ce point, je m’en vais te demander un supplément, espérant (c’est une folie) que tu l’accompliras de manière égale, c’est-à-dire jusqu’au point auquel je n’imaginais pas que tu pousserais, avec cet élan et cette fidélité à ce qui te tire et te garde de regarder trop en avant ou trop en arrière, mais bien concentrée, et parce que tu n’as pas su coupler la réforme de l’amour et celle du monde, peut-être sauras-tu entendre ma nouvelle commande.

Sur ton frigo, il y a un petit poste de radio – un transistor. Sur ce poste, le bouton du son a sauté – le capuchon de plastique qui permettait de régler le volume s’est cassé. La pointe d’une lame de couteau enfilée dans la rainure que dissimulait le capuchon augmente ou baisse aujourd’hui le son, selon qu’on tourne vers la droite ou vers la gauche le manche du couteau. Lorsque tu veux entendre mieux ce qu’on te dit à la radio, tu tournes ton couteau vers la droite. Imagine que tu le positionnes de telle manière que tu aies à tendre l’oreille pour comprendre ce qui suit.

On raconte que pour réformer le monde visible, il faut attendre que la situation s’y prête, qu’il ne soit pas trop tôt, et pas trop tard. Il ne faut pas être non plus comme ces Polonais dont parle un capitaine Rollin, qui pensent que tant qu’il n’est pas trop tard, il est toujours trop tôt ; enfin bref, il faut savoir saisir le moment juste.

Personne ne pense que tous les moments sont justes.

Il y aurait des moments plus ou moins justes, ou plutôt, le long d’un seul moment qui est le temps vécu, un point qu’il ne faut pas rater (manquer), une date étant mise pour ce point – tel jour de mars, telle nuit de mai, à telle ou telle heure –, et qu’un petit groupe ou une grande masse, à condition que leur mère les réveille à la bonne heure en tapant dans la porte et en criant leur nom, sera sur pied au moment juste, que le moment juste les trouvera debout tout habillés, bien enfoncés dans des chaussures de marche.

Admettons que tu aies su réunir mille lecteurs, ce qui est bien suffisant, et que tu les persuades que tous les moments sont justes pour commencer la réforme du monde visible, eh bien il te suffira de sous-entendre clairement que tu n’en attends pas moins d’eux pour qu’ils se mettent en branle ou au moins qu’ils en aient l’idée, et que cette idée germe et leur pousse et continue à leur pousser alors même qu’ils seront passés à autre chose (croient-ils), et que loin en avant, quand tu ne seras plus là pour le voir – que tu sois morte ou partie te prélasser au bord de la Méditerranée ou qu’on t’ait jetée dans un cul-de-bassefosse –, leurs chaussures de marche de bonne marque bien lacées, ils descendent, ouvrent en grand la porte où leur mère a tapé, descendent les marches de l’escalier, descendent toujours plus bas dans le hall et dehors, et dehors ils se voient, tous descendus ensemble, mille, disons, prêts à ne pas attendre que la situation s’y prête.

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03/04/2014 184 pages 14,50 €
Scannez le code barre 9782818020265
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